Laurent Edriat (coach mental) : « En France, on veut que l’entraîneur reste le maître de son vestiaire »

Aujourd’hui, les staffs sont composés de nombreux professionnels, respectivement spécialistes des aspects technico-tactiques, physiques, médicaux, nutritionnels… La préparation mentale est elle souvent à la charge du joueur car dans les clubs elle n’existe quasiment pas. Ce phénomène est d’autant plus vrai en France où le sujet reste encore tabou. Le point sur cette pratique avec Laurent Edriat, coach mental qui collabore avec de nombreux joueurs professionnels, notamment de Ligue 1.

Vous vous considérez comme un « développeur de performance », mais en quoi consiste réellement votre métier ?

Il s’agit d’aider le joueur à développer son potentiel et pour ce faire, il faut d’abord qu’il se connaisse. Je travaille beaucoup sur la partie identitaire du joueur de manière à ce qu’il sache qui il est, comment il se comporte et qu’est ce qu’il montre aux autres avec son comportement. Pour développer la performance, il faut toujours un objectif ou un but. Régulièrement, les joueurs n’en ont pas ou n’ont pas le bon. Il y a un travail spécifique à faire sur le véritable objectif : celui-ci doit être suffisamment mobilisateur pour que le joueur ait envie de se surpasser.

Avez-vous une méthode particulière ?

Je l’ai baptisée « revelentiel » : révélateur de potentiel. Je travaille sur plusieurs axes : la partie environnementale du joueur, la notion d’objectif, la stratégie et l’aspect identitaire.

Bon nombre de joueurs très performants sont qualifiés de « flops » quand ils changent de clubs, souvent à cause de la barrière culturelle ou de la difficulté à s’adapter à un championnat différent. Il y a aussi les buteurs qui ne retrouvent plus le chemin des filets pour diverses raisons. Dans ces phases descendantes, fait-on appel à vos services ?

En général, ceux qui font appel à mes services sont les agents des joueurs dans le cadre, bien sûr, d’une méforme mais aussi en vue d’un transfert futur. Quand il y a un problème, on travaille pour que le joueur puisse à nouveau s’épanouir dans un nouvel environnement. Pour moi, il y a deux identités qui s’affrontent : l’ADN du club et celui du joueur qui va être une pièce rapportée et va devoir rentrer dans l’identité de l’équipe. Il faut pouvoir préserver le sien pour être à son meilleur niveau. Pour moi, quand ça ne marche pas c’est qu’il y a une incompatibilité des identités. Il y a une conciliation identitaire à effectuer.

La préparation mentale représente un gain mais est pourtant un sujet tabou : les joueurs n’en parlent quasiment pas. Comment expliquez-vous cela ?

Je pense qu’un joueur a sans doute peur d’avoir honte en avouant qu’il a été accompagné pour développer sa performance. En France, l’aide est certainement mal vue alors que dans d’autres pays, se faire aider par des experts du changement est plutôt vu comme une forme d’intelligence. Après, je pense aussi qu’il y a un problème de communication : certains joueurs ne savent pas qu’il existe des techniques mentales pour développer la performance. Il est facile pour un joueur de penser que ce n’est pas parce qu’on parle avec quelqu’un que cela va changer quelque chose. C’est aussi vrai avec les clubs.

Pour prendre un contre-exemple, il y a le cas Adil Rami : il s’est récemment confié sur son burnout post-mondial et a avoué avoir eu l’aide d’un coach mental pour rebondir. Est-ce que cette prise de parole peut amener d’autre joueurs à en faire de même ?

La fatigue psychologique d’un joueur est très récurrente. Même si on ne joue pas, c’est épuisant d’être joueur de football : on passe son temps à ruminer, on essaye de comprendre les choix du coach, comprendre pourquoi l’agent n’a pas trouvé le club espéré, etc. Qu’Adil Rami en ait parlé, c’est très bien, c’est signe d’une grande maturité et si d’autres en éprouvent le besoin, alors ils doivent le faire à leur tour.

La préparation mentale commence à peine à se développer dans les clubs français alors qu’à l’étranger, les préparateurs mentaux sont parfois bien intégrés au sein des staffs depuis longtemps. Comment expliquer cette prise de conscience tardive en France ?

C’est une très bonne question. Il y a peut-être cette notion de pouvoir au sein des clubs et cette volonté que l’entraîneur reste le maître de son vestiaire. Je pense qu’en France, un coach a besoin de tout maîtriser et il a raison. Peut-être pense-t-il que la partie mentale peut lui échapper ? Quand j’accompagne les joueurs dans les clubs, j’ai quelques contacts au téléphone avec l’entraîneur mais cela s’arrête-là : il n’y a pas vraiment d’étroites collaborations. Avant, il n’y avait pas d’ostéopathe ou de nutritionniste dans les staffs par exemple. Aujourd’hui, le fait que l’on ait besoin de toutes ces personnes est une évidence. D’ici quelques années, je pense que la partie mentale, elle aussi, va devenir une évidence. En tout cas, je l’espère.

Souvent l’arrivée d’un préparateur mental dans un effectif donne l’image d’un club en crise de confiance mais ce problème aurait pu être évité bien avant que cela arrive avec une préparation mentale préalable…

Justement, depuis peu, j’ai été contacté par un club français professionnel dans le cadre d’une opération maintien. On est rarement appelé quand tout va bien et c’est bien dommage car c’est plus facile de développer le potentiel d’un joueur ou d’une équipe puisque l’on va beaucoup moins creuser pour récupérer ce qui pose problème et on va de suite chercher à les amener beaucoup plus haut. On gagnerait à la fois en vitesse et en stabilisation de la performance.

Comment améliorer l’image de votre métier selon vous ?

Il faudrait que les entraîneurs ou les président réfléchissent sur comment développer la performance de leur équipe autrement que par un système tactique ou par le fait d’acheter des joueurs. Il y a peut-être d’autres solutions…

On voit de plus en plus de joueurs exploser très tôt. Est-ce qu’actuellement il y a un travail mental qui est fait au sein des centres de formation ?

Je n’ai pas connaissance de travail mental au sein des centres de formation. J’ai pu accompagner des joueurs dans différents centres, mais ils ne m’ont jamais dit qu’il y avait une structure spécifique.

D’ailleurs, Léonardo Jardim a récemment déclaré en conférence de presse : « Aujourd’hui on casse la carrière de jeunes joueurs car on attend d’eux qu’à 17 ans, ils soient aussi forts qu’un adulte. Un joueur est au top entre 23 et 30 ans. » L’âge influe-t-il vraiment sur le niveau du joueur ?

Ce qui influe sur le niveau du joueur c’est la maturité et cela fait partie de mon métier. Quand on cherche à développer un joueur, on développe son autonomie, sa responsabilité et donc sa maturité. Je dirais que Jardim a raison mais qu’il a aussi tort.

Légère digression : on dit que « le football est un sport individuel au service d’un collectif » sauf que ces dernières années, les statistiques ont pris une place considérable au point d’obséder certains footballeurs. Paulo Dybala a même fait parler de lui en déclarant préférer gagner le Ballon d’Or plutôt que la Ligue des Champions. Selon vous, l’individualité a-t-elle pris le pas sur le collectif et est-ce que c’est un fait que vous ressentez chez certains joueurs ?

Non au contraire, plus je vais développer ma performance individuelle, plus je vais aider mon équipe. Si je suis bon individuellement, je vais forcément apporter au collectif. Dybala a raison : s’il obtient le Ballon d’Or c’est qu’il aura fait beaucoup pour son équipe aussi. On obtient difficilement ce type de récompense si on n’a pas gagné de trophées avec son club.

Parfois pour expliquer les mauvais résultats d’un club, on parle d’un manque d’envie. Est-ce que « la culture de la gagne » se développe aussi avec la préparation mentale ?

Au-delà de vouloir gagner, il y a beaucoup de joueurs qui jouent un match mais leur objectif n’est pas forcément de gagner ce match mais plutôt d’être champion ou je ne sais pas, de finir à telle ou telle place par exemple. Tout est question d’objectif, même s’il y a un objectif de groupe, le joueur peut avoir un objectif différent.

Un grand merci à Laurent Edriat pour sa disponibilité.

Photo crédits : SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP

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