Au sortir d’une campagne de Ligue des Champions remportée par un Liverpool et où un certain Ajax d’Amsterdam a brillé, c’est un parfum de gloire passée qui a trotté dans l’air de Madrid. Les légendes d’hier seront-elles toujours les victoires de demain?
Premier jour de juin 2019, la nuit recouvre le ciel de son voile noir. Scènes de liesse à Madrid. Jamie Webster l’avait pourtant répété, “From Paris down to Turkey” s’est écrite l’épopée des Reds. En remportant leur 6ème Ligue des Champions, pour la première fois depuis 2005, les Anglais se sont rapprochés du grand et frère ennemi Milan AC, orné de ses 7 coupes aux grandes oreilles.
Pour autant, Milanais et Liverpuldiens ont longtemps respiré le bon vieux football de papa. Celui des tribunes debout, des moustaches, des gardiens à casquette. Non pas que ces deux clubs n’aient pas existé depuis – ils se sont si bien attachés à le rappeler à Istanbul – mais parce qu’ils incarnaient si bien la longue tradition de gloires déchues.
Hélas, entre, 1999 et 2019, le Milan AC n’a remporté que deux petites Serie A. Liverpool, lui, a détenu le record de titres de champion d’Angleterre jusqu’en 2011 alors que le club n’a pas été couronné depuis 1990. Il n’a jamais été célébré sous l’ère de la Premier League.
Au panthéon des grands clubs d’hier, Italiens et Britanniques ne sont, dans leur malheur, pas seuls. L’Ajax Amsterdam, ses 4 sacres et le regretté Johann Cruyff viennent à l’esprit. Les Néerlandais se sont rappelés à ceux qui les avaient oubliés cette année. Avec un titre et une demi-finale de la Ligue des Champions (Real Madrid écrasé au passage), les Bataves ont retrouvé leurs lettres dorées.
Ce si reluisant tableau en aurait fait saliver plus d’un s’il n’avait pas été entaché de l’inévitable destin du football libéralisé : l’Ajax a déjà perdu son meilleur joueur (de Jong) et s’apprête à en perdre beaucoup d’autres (de Ligt, Ziyech, van Beek, Onana, Neres, Tadic). Ils n’ont pas remporté Ligue des Champions et n’ont gagné que 7 titres nationaux en 20 ans. Le rêve a, si vite, pris fin.
Au delà des songes, l’éternel retour du concret si cher à Lénine. Aussi grands fussent-ils, ces grands clubs ont connu une inévitable chute. Enfermés dans leur passé, ils ont cultivé une mélancolie qui a le don de consumer à petits feux les âmes.
S’il est si bon de se rappeler les jours heureux, ce ne saurait être au détriment du moment présent. Alors, et lorsque cet instant si actuel est si décevant, l’humain – qu’est-ce qu’un club s’il n’est humain avant tout – se morfond, jusqu’à disparaître.
Le panthéon du football est plein de ces désespérés du jour d’après. Chaque nation en regorge (Newcastle, Nottingham Forrest, Hambourg, le FC Nantes, le Torino, l’Athletic Bilbao). Enivrés de succès, parfois jusqu’a la lie, ils ont dégringolé suite à leur période faste. Seuls leurs publics se souviennent encore d’hier, ce si bel hier.
S’il est vrai que le football est un jeu avant tout et que c’est par le jeu que naissent les résultats, la vérité frappe à la porte: les gloires se sont faites sur des titres, sur des victoires, sur des épopées narrées et romancées à des enfants et des petits-enfants. Liverpool serait-il Liverpool sans avoir autant gagné durant les années 70 et 80? Qui parlerait encore du Milan AC des étoiles plein les yeux sans ce si beau palmarès? Que resterait-il à la fierté marseillaise sans ce soir de mai 1993?
Mais alors, qui du supporter ou du titre était là le premier? Sont-ce les titres qui ont crée la passion ou est-ce de la passion qu’est née la victoire? En cette question, un axe fondamental de compréhension de la longue tradition de gloires déchues.
Car, par delà le palmarès, ce qui permet à un grand club dénué de grande équipe de continuer à exister, c’est la passion qu’il suscite. La foi, à travers un champ de ruine, en un avenir radieux, enfin à l’image de son passé. À l’image de l’âme et du corps, lorsque cette foi est partie, le club entier s’éteint. Mais alors, que se passe-t-il si cette foi demeure, contre vents et marées, contre les affres du temps, que se passe-t-il si elle refuse de mourir?
À Saint-Étienne, cette tradition est demeurée. Ils ont eu leur lot de pain noir, de Ligue 2, de gifles. Ils ne gagnent que très peu (une maigre Coupe de la Ligue en 2013, premier titre depuis 1980) et se sont retrouvés le genou à terre plus d’une fois. Pourtant, ils sont demeurés aux côtés de leurs Verts. C’est de leur fidélité et de leur patience qu’une gestion stable du club est née. De celle-ci, l’envie de rendre à ce peuple minier sa fierté et leur permettre de retrouver, pas à pas, les sommets du football français.
Ces mêmes supporters sont ceux qui ont permis à des clubs déclarés cliniquement morts de regagner le monde des vivants. Le RC Strasbourg, tombé en National 3 (CFA2 d’alors), le jurera: les derby contre Sarre-Union et Raon-L’étape, les Jérémy Blayac et les Stéphane Bahoken, cette longue traversée du désert… Vaincre cette souffrance n’aurait pu être possible sans un public alsacien terriblement loyal, empilant les records dans les divisions inférieures. Eux aussi ont été récompensés par un superbe saison pour leur retour en Ligue 1 avec un titre et une qualification en Ligue Europa.
Car à travers les nations et les histoires, à travers les années, les victoires et les défaites, deux choses seules demeurent : les clubs et leurs supporters. Dirigeants, joueurs, tous viennent, passent et s’en vont. Aussi grandes aient été les gloires d’un club, elles ne le surplombent jamais. Le ciel bleu peut bien s’effondrer, la terre peut bien s’écrouler, peu importe! Le baume au coeur, les supporters maintiendront en vie leur club.
Finalement, qu’est-ce qui fait le grand club? Ce sont deux élements, cumulatifs et nécessaires. À la grande passion, le grand palmarès. La poussière d’une époque disparue cumulée aux émotions, bien actuelles, bien réelles, éternellement sincères. Le club et son amoureux, réunis, forment un mélange imperméable aux affres du temps et des résultats. Si le club meurt, enfin, c’est à Edith Piaf qu’il reviendra d’en finir : “si tu meurs, que tu sois loin de moi, peu m’importe, si tu m’aimes, car moi je mourrai aussi”.
Giuseppe Maffia / SportPhoto24 / DPPI