Football et télévision : une lente histoire d’amour

Des demi-finales Chelsea-Barça en Ligue des champions, diffusées en clair sur TF1… Je vous parle là d’un temps que les moins de 10 ans ne peuvent pas connaître. Aujourd’hui, pour mater du football d’un minimum de qualité – hormis la Coupe de la Ligue, bien entendu –, il faut mettre la main au porte-monnaie. Mais ce n’est pas pour déplaire aux clubs professionnels, qui tirent profit de la situation, tout autant que les diffuseurs, au détriment des téléspectateurs. Retour en arrière sur les relations qui se sont progressivement nouées entre football et télévision.

Des débuts difficiles…

Le football préexistant à la télévision, diffuser le ballon rond ne va pas encore de soi aux débuts du petit écran. D’autant plus qu’à l’après-guerre, le foot n’est pas encore le sport national qu’il deviendra en France. Le cyclisme, ou encore la boxe, lui font concurrence dans le cœur des Français. Il faut attendre le 4 mai 1952 et la finale de Coupe de France entre Bordeaux et Nice pour voir le premier match retransmis à la télévision française.

Mais petit à petit, le football s’imposant comme le sport n°1 en France sans aucune contestation possible, celui-ci va prendre de plus en plus de place au sein de la télévision. Les Français peuvent désormais suivre la Coupe du monde, l’hégémonie du Stade de Reims dans les années 1950, ou encore l’épopée des Verts en 1976, dont la finale face au Bayern Munich rassemble des millions de téléspectateurs. Le football prend une nouvelle dimension en France, et la télévision n’y est pas étrangère.

Forcément, la masse d’argent générée par ces diffusions télévisées suscite des convoitises du côté des clubs professionnels, à l’époque où la retransmission est encore libre et gratuite. Le président emblématique des Girondins de Bordeaux, Claude Bez, est le premier à réclamer sa part du gâteau au début des années 1980. Jusqu’à interdire la présence au Parc Lescure des chaînes de télévision qui ne veulent pas rétribuer le club : les « droits télé » sont nés. En réalité, Bez craint que les diffusions télévisées des matches de son équipe fassent diminuer la fréquentation de son stade. Pas forcément visionnaire sur ce coup-là… Car si le Matmut Atlantique est aujourd’hui loin d’être rempli à chaque journée, pas sûr que les absents se réfugient devant beIN Sports MAX 6.

… En attendant l’apogée

En face de Claude Bez à l’époque, il y a Bernard Tapie, le président de l’OM. Contrairement à son rival bordelais, Tapie va faire de la télévision son alliée, dans l’intérêt de ses propres affaires. C’est également au cours de ces années-là que va apparaître Canal +, qui va vite devenir un partenaire essentiel du football français : en s’octroyant tout d’abord les droits TV du championnat de France, puis en devenant actionnaire du PSG dans les années 1990. Orphelin de la perte de vitesse des Girondins et en bon homme d’affaires qu’il est, Bernard Tapie va monter de toutes pièces une rivalité avec le club de la capitale – celui-là même qui appartient à Canal +, belle coïncidence… Le « Classique » deviendra alors le symbole des « années Canal » ; preuve de l’importance énorme qu’occupera la nouvelle chaîne payante, au sein du paysage footballistique français.

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En face de Canal, les chaînes hertziennes (TF1, France Télévisions, M6) continuent de diffuser les autres matches, notamment les rencontres de l’équipe de France et les affiches européennes, dont les diversement célèbres France-Bulgarie et OM-Milan AC en 1993. La Coupe du monde 1998 en France, largement diffusée et relayée dans les médias, finit d’achever le processus de l’âge d’or du football à la télévision, avec les commentaires en finale de Thierry Roland qui finiront par devenir aussi mythiques que les images elles-mêmes.

L’émiettement des droits TV

Jusqu’en 2012, s’infliger les commentaires de Christian Jeanpierre et les réflexions toujours très pertinentes d’Arsène Wenger était le prix à payer pour pouvoir mater la LDC en clair sur TF1. Rien n’est gratuit dans la vie, et ça, les chaînes payantes l’ont très bien compris. Jusqu’ici, les droits TV se partageaient essentiellement entre les chaînes hertziennes et Canal +. Mais 2012 coïncide également avec l’arrivée d’Al Jazeera Sports dans le paysage audiovisuel français, qui va bouleverser cet équilibre grâce à des enchères sur lesquelles ses rivaux ne pourront s’aligner. Son bouquet de chaînes beIN Sports récupère ainsi les droits de la LDC, de la Ligue 1, et des principaux championnats européens, affaiblissant ainsi considérablement la concurrence.

Le vent a tourné. les chaînes hertziennes et Canal se le prennent désormais de plein fouet. En 2016, ce sera au tour du groupe Altice et de son bouquet RMC Sport d’entrer dans la danse, qui raflera les droits de la Premier League, puis de la C1/C3, contribuant toujours un peu plus à la fragmentation des droits TV, du gratuit vers le payant. Même France Télévisions perd la diffusion de plusieurs matches de la fabuleuse Coupe de la Ligue, au profit justement de Canal + – qui pense visiblement que remplacer la Ligue des champions par cette compétition suffira à convaincre les abonnés de continuer à payer 50€ par mois.

Cette surenchère perpétuelle entre diffuseurs est loin de contrarier les intérêts économiques des ligues de football professionnel, qui les mettent ainsi en concurrence pour en tirer un maximum d’argent. L’acquisition des droits TV se fait à des montants toujours plus élevés, et ceux-ci prennent donc de plus en plus de place dans les budgets des clubs professionnels. C’est d’ailleurs pour cette raison essentielle qu’un promu comme Fulham peut désormais se permettre de dépenser plus de 100 millions de livres sur le marché des transferts en 2018 : parce que la Premier League est aujourd’hui le championnat le plus cher à diffuser, et de fait, le plus prospère. Cette compétition entre diffuseurs induit donc aussi une concurrence entre ligues de football professionnel, le but étant d’amasser le plus d’euros possible, d’un côté comme de l’autre.

Le streaming comme alternative

Si les clubs professionnels apparaissent aujourd’hui comme dépendants des revenus générés par les droits TV, les chaînes de télévision le sont tout autant. D’où la compétition acharnée qu’elles se livrent pour l’acquisition de ces droits : diffuser la Ligue 1 ou la Champions League, c’est s’assurer la souscription de plusieurs millions d’abonnés, comme l’atteste la montée en puissance fulgurante de beIN Sports au détriment de Canal+.

Malgré ce passage de témoin, beIN Sports n’est toujours pas rentable à l’heure actuelle. En effet, les 4 millions d’abonnés ne suffisent pas à rembourser les centaines de millions d’euros dépensées pour diffuser les matches. Surtout qu’un autre acteur s’est aujourd’hui lancé dans la course en catimini : le streaming. Devenue la seule alternative pour certains aficionados n’ayant pas les 53,90€ minimum pour s’abonner à toutes les chaînes, la pratique du streaming n’a cessé d’augmenter. Elle représente un manque à gagner évident pour la télévision qui, de manière plus générale, perd en audience, notamment chez les plus jeunes.

Se pose alors la question de l’alternative crédible d’Internet et du streaming légal, qui serait susceptible de changer la donne. Récemment, YouTube a annoncé avoir acquis les droits pour diffuser gratuitement sur son site la D2 espagnole dans plus de 150 pays. De même pour Facebook qui, à partir de cette année, retransmet la Ligue des champions en Amérique Latine et la Liga en Asie du Sud. Les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) peuvent-elles à terme concurrencer les chaînes de télévision européennes sur leur propre terrain de jeu ? La lutte s’annonce encore plus acharnée pour les années à venir.

Simon Taine

Crédit photo : JEFF PACHOUD / AFP

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