Le FC Nantes va entamer la nouvelle saison avec un nouveau logo qui, bien plus épuré que ses prédécesseurs, divise. Mais il incarne une tendance lourde chez les clubs professionnels de football : la transformation du club en marque.
Quand le nouveau maillot du FC Nantes a été dévoilé, le 22 mai dernier, c’est peu dire qu’il a été fraîchement accueilli par les supporters des canaris et plus généralement par les amateurs de ballon rond. Pour une fois, ce n’était pas le design du maillot en lui-même qui provoquait le courroux des canaris, mais plutôt celui de son nouveau blason.
Et il faut reconnaître que les changements par rapport au précédent logo, en place depuis plus de 12 ans, sont radicaux. Envolé, le bateau. Disparues, les étoiles. La date de création du club et le ballon ? Coupés au montage également. En lieu et place de ces différents symboles, un « N » massif s’affiche, entouré de la mention « FC Nantes » et de l’hermine, seuls survivants du précédent logo.
De tels bouleversements, sur le blason d’un des clubs historiques du championnat de France, ont évidemment fait réagir et les détracteurs du 10e logo du club nantais ont vite été plus nombreux que ses défenseurs. « Le logo de la Juve mais en version éco + », «Le maillot est beau mais le logo est un manque de respect pour le peuple Nantais. Quand le marketing prend le dessus… » ou encore « C’est quoi cette mode de considérer qu’un logo simpliste et épuré jusqu’au squelette est un meilleur logo ? » pouvait-on lire sur Twitter… Un sondage, publié par 20 minutes le jour même, confirmait cette tendance. Sur les 8500 votants ayant répondu à la simple question « Aimez-vous le nouveau logo du FC Nantes ? », seuls 31% répondaient par l’affirmative, quand 59% choisissaient le non, et 10% restaient sans avis. Un accueil plus que mitigé donc, et qui cristallise un débat plus profond qu’il n’y parait : marketing et histoire sont-ils antinomiques ?
Les marques et le football, une longue histoire d’amour
Le marketing dans le football, ce n’est pas nouveau. Les clubs sont des entreprises (presque) comme les autres et comme toute entreprise, il faut gagner de l’argent. Ce n’est pas Jean-Michel Aulas et son précieux EBITDA qui vous diront le contraire. Alors, tous les moyens sont bons et très vite le club et tout ce qui le compose devient un support de communication : le stade et ses panneaux publicitaires, les maillots et leurs patchworks de sponsors…
La puissance médiatique du football est un formidable relais de publicité et les entreprises l’ont bien compris. Les marques ont envahi le football partout où elles le pouvaient, une tendance incarnée encore récemment par le naming des stades puis des compétitions (quel plaisir de regarder une rencontre de Ligue 1 Conforama dans le Orange Vélodrome…). Puis, une autre tendance est née, inspirée directement des Etats-Unis et notamment de la NBA : et si le club, au lieu d’être simplement un support de communication d’autres marques, devenait sa propre marque ? Un parti-pris marketing fort qui va venir s’incarner dans l’élément le plus important d’une marque : son logo.
Quand le blason devient logo, et le club une marque
Le FC Nantes n’est pas le premier club à prendre ce virage en France. Il y a quelques années, le PSG l’avait déjà emprunté, plus prudemment il est vrai. Sous l’impulsion des qatariens, bien décidés à rentabiliser leur investissement, le club de la capitale a lui aussi choisi d’arborer un nouveau logo, présenté en grands pompes le 22 février 2013 et utilisé dès la saison suivante. Pas de grands bouleversements comme pour Nantes, mais de petits ajustements révélateurs du cap fixé par les propriétaires de Doha. Les termes « Paris » et « Saint-Germain » étaient ainsi dissociés, « Paris » restant seul au sommet du logo, dans une taille de typographie grossie, tandis que le landau, qui symbolise la royauté de Louis XIV, et la date de création du club, 1970, disparaissaient. Comme pour Nantes, la tendance est à l’épuration et à la clarté du message. Et comme pour Nantes, cette évolution se fait au détriment de l’histoire du club. Quel intérêt de garder un landau dont tout le monde a oublié la signification, et pourquoi donner tant d’importance à Saint-Germain quand le simple mot Paris est synonyme de popularité mondiale ? Le club regarde vers l’avenir et, fatalement, tourne le dos à son passé.
Cette tendance du marketing tout puissant s’est illustrée dernièrement encore plus radicalement en Italie, chez la grande Juventus Turin. La vieille dame s’est offert un lifting drastique qui n’a laissé personne indifférent. Le 16 janvier 2017, Andrea Agnelli, le président du club, introduisait le nouvel emblème des bianconeri. Le blason historique, qui avait évolué au fil des années mais était resté peu ou prou le même, disparaissait purement et simplement (et tous ses symboles avec), laissant la place à… un J majuscule, surmonté du mot Juventus. La notion de marque est alors évidente : le logo est simplifié à l’extrême, et facilement déclinable sur tous les supports, à l’image de la gamme de streetwear frappée du J lancée quelques mois après par le club transalpin. On aime ou on n’aime pas, mais la Juve fait parler d’elle, et c’est tout ce qu’elle recherche.
Marketing VS histoire
Alors, adopter un logo épuré pour mieux vendre son club, est-ce un sacrilège, ou est-ce simplement vivre avec son temps ? Pour Baptiste Huriez, directeur marketing du FC Nantes, cela ne fait aucun doute : « on s’est basé sur le passé pour écrire le futur », confiait-il à nos confrères de 20 minutes le 22 mai dernier. « On a souhaité l’épurer, le rendre plus attractif pour moderniser notre image de marque. Aujourd’hui, 50 à 60 % des contacts avec les marques se font à travers le mobile. L’écran est tellement petit qu’il était important d’épurer notre logo pour qu’il réponde aux besoins et permette un développement de l’image de marque. Regardez les marques Nike, Adidas, Mac Do, un enfant de 7 ans pourrait tous les dessiner. » Le mot est lâché : la marque. On ne parle plus de club, d’identité, encore moins de jeu à la nantaise ou de Coco Suaudeau. On parle du FC Nantes et de son image de marque, que Baptiste Huriez n’hésite pas à comparer à des mastodontes globalisés. On ne se demande plus si on veut jouer les cinq premières places ou le maintien, on se demande comment on peut mieux vendre l’image du club, en France et pourquoi pas à l’étranger.
Cette tendance de « brandisation » des clubs est bien une réalité, et c’est à chacun de se faire son avis. Les romantiques et les amoureux de l’histoire regretteront le franchissement d’une nouvelle étape dans la course vers l’avant effrénée du foot-business. Les plus pragmatiques et passionnés de marketing salueront cette initiative et s’amuseront à regarder si les résultats économiques suivent. Une chose est sûre en tout cas : le FC Nantes n’est pas le premier ni le dernier club à embrasser cette voie, et la frontière entre le monde du football et celui de l’entreprise n’a jamais été aussi ténue.
Photo crédits : Sebastien SALOM-GOMIS / AFP