[Edito] La réforme de la Ligue des Champions ou le sens de l’histoire

Après les nombreux débats suscités par la volonté affichée de l’UEFA de réformer ses coupes d’Europe, une récente annonce de temporisation a permis de calmer les ardeurs des ligues et clubs opposés à la réforme. Néanmoins, l’idée de réformer la Champions League et sa petite sœur n’a jamais été autant d’actualité au sein de l’organisation européenne qui a même annoncé, malgré la temporisation, que la réforme devrait être définitivement mise au point avant 2022.

Le changement c’est donc maintenant, et la plupart des clubs européens l’ont compris malgré la résistance de certains. Parmi les opposants de cette réforme, on retrouve généralement les ligues nationales, apeurées par les retombées économiques négatives que pourraient créer des coupes d’Europe XXL sur les championnats nationaux. En effet, tout n’est ici qu’une histoire de gros sous. Les ligues nationales craignent une baisse des droits TV dont les championnats pourraient être victimes avec l’émergence d’une telle compétition. Les clubs les plus modestes de ces championnats, peu habitués à participer aux Coupes d’Europe, redoutent eux de voir leur part diminuer dans les mêmes proportions que le butin total. A ces derniers « oubliés » de la réforme s’ajoutent aussi une part de sceptiques, conservateurs et nostalgiques, guidés par la peur d’un changement radical qui bouleversera durablement le paysage footballistique des prochaines décennies, mais apparaissant pourtant comme étant nécessaire et évident.

Économiquement, des retombées toujours plus fortes

Il paraît tout d’abord compliqué de remettre en cause cette réforme de manière rationnelle tant ses retours économiques seront positifs. L’objectif principal de l’UEFA est ainsi de multiplier le nombre de matchs et donc de faire exploser les droits TV générés par la compétition. Plus d’argent pour tout le monde, voilà le principal effet direct qu’aura cette réforme, voyant les principaux clubs européens concernés s’accorder sur sa nécessité. Si les mauvaises langues auront le réflexe de critiquer cette décision sous prétexte qu’elle aurait pour unique but de renforcer le business autour du sport-roi, il paraît donc pertinent de s’intéresser aux externalités que produira la réforme, notamment sur le plan sportif, qui s’avèrent globalement positives.

Tout d’abord, l’instauration d’une ligue semi-fermée permettra aux outsiders de la compétition de se renforcer. En effet, le fait de fermer en partie les portes de la Ligue des Champions va permettre aux clubs participants de limiter les risques économiques. Une non-participation à la C1 représentant aujourd’hui une catastrophe industrielle pour les clubs ayant l’habitude d’y figurer, le fait de réduire ce risque permettra de stimuler les investissements au sein des outsiders de la compétition tant les retombées économiques d’un investissement bien senti pourraient s’avérer colossales. Le modèle devrait donc tendre vers celui de la NBA où les réglementations ont pour objectif principal de resserrer la compétition au maximum, augmentant alors l’incertitude, le suspens et donc le spectacle de la compétition qui se vendra ainsi toujours mieux. En fermant les portes de la Ligue des Champions, l’UEFA la rendra alors plus ouverte que jamais.

La nécessité de relancer un format vieillissant

Sur un plan purement sportif, les détails de la réforme permettraient au format actuel vieillissant de se renouveler. Les phases de poules deviennent en effet de moins en moins attrayantes et le suspens qui y règnent n’est en général que peu présent quant aux 2 équipes qui réussiront à sortir de chaque groupe. Un nouveau format permettrait donc de rendre la compétition plus passionnante dès le début, d’autant plus que, si l’on s’appuie sur le modèle proposé par l’ECA en début d’année, les clubs joueront leur qualification en Ligue des Champions de l’année suivante via leur parcours européen de l’année en cours. Ainsi une logique de montée-descente serait mise en place entre l’Europa League et la Champions League, les demi-finalistes de la C2 étant promus en C1 l’année suivante tandis que 4 équipes de Ligue des Champions seraient rétrogradés en Europa League. Ce point précis permettra aux clubs de faire passer les compétitions européennes définitivement au 1er plan. L’Europa League bénéficiera donc de cela puisqu’une présence en demi-finale sera le seul moyen pour les équipes qualifiés en C2 d’accéder à la C1, ce qui la rendra assurément plus passionnante, rajoutant un enjeu certain à la compétition alors qu’elle ne devient regardable qu’à partir des quarts de finale dans la formule actuelle.

Enfin cette nouvelle formule pourrait aussi s’avérer plus juste sportivement. Le parcours de l’Ajax Amsterdam est symptomatique de l’un des défauts majeurs de la formule actuelle. Eliminé en demi-finale l’année dernière après avoir frôlé une qualification en finale, le club néerlandais avait dû jouer des tours préliminaires cet été pour se qualifier à la nouvelle édition de la Ligue des Champions comme se doit de le faire le champion des Pays-Bas chaque année. Un système permettant de récompenser les bons élèves des années précédentes apparaît donc plus juste et logique, à condition que ce dernier soit bien réalisé et qu’une ascension soit réellement possible pour l’intégralité des clubs européens.

Les championnats nationaux vont se transformer et non pas agoniser

Le risque lié à l’écrasement des compétitions nationales est en effet probablement surestimé. Les compétitions européennes étant encore promises à des matchs en semaines pour les prochaines années, le public sera toujours demandeur de football en week-end. En outre dans un contexte d’inflation généralisée, il paraît peu évident d’annoncer avec certitude que les droits TV seront forcément revus à la baisse au sein des championnats nationaux qui s’exportent toujours mieux sur les continents étrangers. Le véritable souci que pourrait poser cette réforme serait de creuser un déséquilibre toujours plus fort entre les budgets des clubs engagés en coupe d’Europe et les autres au sein de chaque championnat. Et pourtant, les championnats nationaux pourraient paradoxalement se resserrer.

En effet, l’enjeu présent au sein des matchs de championnat ne sera plus aussi présent qu’avant puisque la qualification pour une compétition européenne se jouera dorénavant directement pendant la campagne européenne de chaque club, à l’exception de la C3, nouvelle compétition qui devrait voir le jour avec cette réforme. Le fait que les clubs majeurs de chaque pays se concentrent désormais sur leur compétition européenne pourrait finalement resserrer la concurrence des championnats puisque les matchs nationaux seront probablement l’occasion pour ces clubs de faire tourner leur effectif. Le risque pris n’est de toute façon pas immense à ce niveau-là tant le monopole exercé par les clubs leaders de chaque pays s’accroît d’année en année. Ainsi rares sont les saisons où le Bayern en Allemagne, le PSG en France, la Juve en Italie ou encore le Barça et le Real en Espagne n’ont pas remporté le titre de champion national lors de ces cinq dernières années. Seule exception de cette règle, l’Angleterre s’avère sûrement être le pays le moins enclin à accepter la réforme, tant les revenus télévisuels que son championnat génère battent des records toujours plus impressionnants. De là à imaginer un Brexit allant jusqu’au bout du bout, il y a quand même encore plusieurs pas…

La réforme proposée par l’UEFA s’avère donc être la meilleure solution pour accroître la popularité et la qualité du football européen. Bien que certaines failles dans le modèle présenté en début d’année aient été mises en évidence, ce dernier sera amélioré d’ici 2022, alors que ses grands principes permettront de donner un nouvel élan à nos Coupes d’Europe vieillissantes. Enfin, si les championnats nationaux et leurs petits clubs pourraient pâtir de cette réforme, les ligues nationales auront quoi qu’il arrive l’opportunité de redessiner les championnats nationaux afin de pouvoir permettre aux clubs compétents et organisés d’en ressortir gagnants.

Crédit photo: Petter Arvidson / Bildbyran / Icon Sport

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