[LIGUE 2] Que se passe-t-il au Racing Club de Lens ?

Samedi 22 février 2020, il est environ 16h50 quand Sylvain Palhies siffle trois fois, au coeur d’un stade Bollaert-Delelis médusé. Le Racing Club de Lens vient d’encaisser 4 buts à domicile et s’incline 1-4 face au Stade Malherbe de Caen. Les 27 000 supporters présents à Bollaert accusent le coup, trop habitués à voir leur équipe l’emporter facilement dans son antre depuis le début de saison. L’atmosphère est pesante, une avalanche de sifflets accompagne le retour aux vestiaires des Sang et Or, comme pour poser un point final à cette humiliation et attiser une révolte désormais nécessaire. 

Après un début de saison canon et un titre honorifique de champions d’automne, les joueurs lensois accusent sérieusement le coup en 2020. Sept points en autant de matchs : un bilan bien inférieur à la cadence soutenue imposée depuis le mois d’août. Incapables d’imposer leur rythme et de conclure le peu d’occasions qu’ils se créent, les Sang et Or enchaînent les résultats décevants et les prestations indigestes. Pourtant, malgré les sérieuses turbulences rencontrées par le club depuis la reprise, personne ne s’attendait à ce que la situation prenne une tournure aussi radicale : après 1 an et demi de bons et loyaux services, Philippe Montanier est remercié par le board lensois.

Ultime coup de poker

Surprise, doûte, colère, peur, espoir… Depuis l’annonce du licenciement de Philippe Montanier, les supporters lensois accumulent les émotions paradoxales. Assommés par la nouvelle, ils ne comprennent pas le timing de cette décision forte de conséquences. Malgré les résultats difficiles, le Racing pointait toujours à la troisième place, à seulement une longueur de l’AC Ajaccio. Plus surprenant encore, les récents mauvais résultats du club pouvaient en partie s’expliquer par le calendrier difficile dont ils ont hérité en janvier/février (Clermont, Le Havre, Troyes, Guingamp notamment). Bien que très déçus par le spectacle proposé, les supporters s’attendaient à ce que l’expérience de leur groupe finisse par mettre toute l’équipe dans le droit chemin, pour finir la saison comme ils l’avaient commencé. 

La nouvelle fera alors l’effet d’une bombe dans l’univers lensois. Après des années d’instabilité et d’incertitude financière, les supporters rêvent aujourd’hui d’un retour dans l’élite. Mais ils rêvent également de calme et de sérénité. Malheureusement et comme souvent en Artois, cette saison s’annonce plus agitée que prévu. En décidant de suspendre P. Montanier de ses fonctions, les dirigeants lensois tentent un énorme coup de poker, à l’aube du si disputé sprint final pour l’accession en Ligue 1. 

Et comme si cela ne suffisait pas pour les nerfs du public de Bollaert, Joseph Oughourlian (président et actionnaire majoritaire) et Arnaud Pouille (Directeur Général) prennent la décision de confier l’avenir du club à Franck Haise, jusqu’alors entraîneur de la réserve lensoise. Du National 2 à la Ligue 1, il ne pourra y avoir que 12 matchs pour celui qui n’a connu le niveau professionnel que lors de 2 maigres rencontres, dans la peau d’un intérimaire, suite à l’éviction de Sylvain Ripoll du FC Lorient en 2017.

L’action comme maître mot

Cette décision forte du board lensois intervient à un moment crucial : les forces vives ont déjà pris leur place dans le haut du classement et le sprint final est d’ores et déjà lancé. Comme souvent en Ligue 2, le haut de tableau ne se figera qu’en toute fin de saison, alors que les meilleures équipes alternent entre chaud et froid depuis plusieurs mois. Lens fait partie du quinté de tête qui devrait se battre pour les deux premières places. Lorient, Troyes, Ajaccio et Clermont seront leurs principaux adversaires et ils peuvent dorénavant se regarder droit dans les yeux. 

La stratégie adoptée par le club lensois interroge les supporters et les observateurs du foot français : le timing est-il idéal ? Cette situation est rare et le risque de déception est grand. Le RCL se bat depuis trop longtemps pour essuyer un nouveau revers qui pourrait s’avérer fatal pour le projet lensois. Mais tous les coups de poker comportent une part de risque. Avec cette décision, les dirigeants Sang et Or privilégient l’action à la temporisation. Depuis la reprise en juillet, le message est clair : objectif Ligue 1. Le mot est sur toutes les lèvres et personne ne s’en cache. Une énième désillusion serait très difficile à encaisser pour le board actuel, qui n’ambitionne rien d’autre qu’un retour dans l’élite l’an prochain.

Cette stratégie agressive et inattendue n’est pas sans rappeler certains exemples récents en Ligue 2. La dernière saison du FC Lorient revient d’ailleurs bien souvent pour atténuer les craintes émises par les supporters lensois : après 29 journées à osciller entre la 2ème et la 4ème place, les Merlus finiront par craquer en fin de championnat, pour finir à la porte des play-offs. La question se pose alors : est-ce que le choix de maintenir Mickaël Landreau jusqu’à la fin de saison était le bon ? Un changement de staff aurait-il pu sauver l’effectif lorientais ? L’exemple breton a certainement pesé dans le choix du board lensois. Cette saison encore, les dynamiques varient et les artésiens ne sont pas les seuls à accuser le coup depuis janvier : Troyes se relance après un début d’année chaotique, Ajaccio peine à maintenir son rythme de croisière et les lorientais, encore eux, ont déjà raté 3 occasions de creuser un écart important en s’inclinant à 3 reprises.

Montanier : gestion opaque et bilan statistique positif

Au coeur de la tempête qui a secoué le bassin minier ces derniers jours, Philippe Montanier est resté muet et n’a pas souhaité réagir à son éviction. Arnaud Pouille, quant à lui, a souhaité remercier le technicien normand pour son travail, tout en insistant sur le fait que ce choix était purement sportif : “Nous avons jugé qu’il fallait procéder à un changement parce que nous avons jugé qu’un ressort était cassé” (source : rclens.fr). Au delà des résultats actuels de l’équipe, c’est aussi par rapport à la carrière sang et or de Montanier que cette décision surprend. Si l’on devait dresser un bilan du passage de l’ancien coach de la Real Sociedad en Artois, difficile de ne pas retenir le positif.

Philippe Montanier arrive à Lens en début de saison 2018-2019 pour redresser la barre et ramener les Sang et Or en Ligue 1. Dès son arrivée, le club lensois fait peau neuve : 13 renforts débarquent en Artois pour remettre le club sur les rails. Dans le lot, des joueurs d’expérience comme Guillaume Gillet, Massadio Haïdara ou Jean-Louis Leca, et des belles surprises comme Aleksandar Radovanovic, Mehdi Tahrat ou Yannick Gomis. Après un départ canon, les hommes de Montanier accusent le coup, fortement affaiblis par les grosses blessures de leurs deux rocs défensif (Tahrat et Radovanovic, tous deux touchés au genou). Cette longue période de creux hivernal va coûter cher aux lensois. Malgré un net regain de forme en fin de saison, les Sang et Or terminent 5ème du classement général. Suffisant néanmoins pour disputer les play-offs de Ligue 2 face au Paris FC et Troyes. Deux victoires courageuses les emmènent finalement en barrages face à Dijon. Deux matchs historiques pour retrouver l’élite, alors que personne n’y croyait plus depuis longtemps. La suite, tous les supporters lensois y pensent encore : un match héroïque à domicile, dans un Bollaert en fusion, suivi d’un match retour cauchemardesque et d’une défaite amère suite à des erreurs individuelles terribles. Si près du but, le Racing échoue et repart pour une nouvelle saison de Ligue 2.

Fort de cette expérience, Montanier continue néanmoins de renforcer son équipe, sans pour autant éviter un grand renouvellement d’effectif : 15 recrues pour 10 départs. Malgré ce chamboulement, l’effectif semble plus armé que jamais pour viser les 2 premières places. Yannick Cahuzac, Gaetan Robail, Jonathan Gradit ou Zakaria Diallo viennent notamment apporter leur expérience à un groupe qui a manqué de régularité l’an dernier. Les premières ombres se font cependant plus visibles sur un tableau jusque là plutôt propre : la gestion des cas Yannick Gomis ou El-Hadji Ba (jugés mal utilisés par Montanier et finalement débarqués à Guingamp au mercato), les arrivées tardives de Jules Keita et Moukandjo (Keita n’a eu que quelques minutes de temps de jeu depuis le mois de septembre alors que Moukandjo a été libéré en janvier) ou encore le départ avorté d’Arial Mendy, finalement prêté au mercato hivernal, malgré des prestations encourageantes en 2019.

Pourtant, malgré ces légères turbulences, les résultats sont en faveur du technicien : le Racing Club de Lens terminent l’année 2019 en tête du championnat. Suffisant pour passer sous silence les interrogations des supporters et ne pas éveiller les soupçons du public sur une gestion parfois opaque de certains joueurs. La suite, c’est ce début d’année très pauvre et la fin d’une dynamique positive qui coûtera finalement sa place à l’ancien rennais. Vrai choix sportif ou simple opportunité pour les dirigeants de se séparer d’un coach avec qui les relations ne sont plus saines ? Les réponses interviendront certainement à l’issue de la saison en cours. Toujours est-il que le bilan statistique de Montanier est plutôt positif et que son passage à Bollaert restera marqué par une fin de saison 2018-2019 enivrante et une gestion globalement cohérente.

Le stress du sprint final

Le poids de cette décision pèse aujourd’hui sur les épaules de tous les supporters lensois. Les interrogations sont grandes et il faudra apprendre à vivre avec l’incertitude. La première des questions que se pose le public de Bollaert : est-ce que Franck Haise et son staff seront en mesure de relever le défi proposé par le board ? Le manque d’expérience du nouveau coach sera-t-il déterminant  dans le sprint final ? Les premiers éléments de réponses sont tombés lundi soir, alors que le Racing se déplaçait à Charléty pour défier le Paris FC. Sans repartir de zéro, l’ancien coach de la réserve a su insuffler un état d’esprit conquérant à ses joueurs en un temps très court pour retrouver le chemin de la victoire (0-2, doublé de Sotoca). Après ce match encourageant, le Racing reprend la deuxième place du classement et profite des mauvais résultats de ses concurrents pour se replacer facilement.

Face à ce regain de forme flagrant et face au retour d’une solidité défensive qui constitue le socle de cette équipe lensoise depuis le début de saison, les supporters Sang et Or apparaissent en partie rassurés. Mais l’enflammade n’est plus de mise pour un club qui a si souvent déçu son public dans les moments importants. Aussi, les conditions du départ de Montanier n’étant claires pour personne, certains s’interrogent sur les raisons de cette éviction et sur le rôle de certains cadres du vestiaire. Le retour de blessure de Steven Fortes et la reprise du brassard de capitaine à Guillaume Gillet semblent coïncider avec le déclin collectif de l’équipe. De nombreux suiveurs du RCL se demandent si ce potentiel incident diplomatique n’a pas creusé un fossé entre Montanier et son groupe. Un fossé que les dirigeants ne voulaient pas prendre le risque de reboucher, sous peine de rater une opportunité en or d’enfin retrouver l’élite du football français.

Toujours est-il que Franck Haise et son staff ont tranché : Yannick Cahuzac sera le nouveau capitaine de cette équipe. Au coeur d’un effectif bousculé dans son quotidien, les joueurs d’expériences semblent occuper une place essentielle dans le bon fonctionnement du collectif. Jean-Louis Leca, Guillaume Gillet ou Zakaria Diallo seront certainement les meneurs de la révolte artésienne. Sans entrer dans l’auto-gestion, il semblerait que les leaders du groupe ait les clefs en main pour décider du futur de tout un club. Les supporters lensois sont-ils prêts à leur faire confiance ? Les trois prochains matchs donneront de vraies indications sur les ambitions d’un groupe sorti de sa zone de confort à l’approche de la lutte finale. Orléans, Auxerre et Nancy : ce sont les trois adversaires qui se trouveront sur la route des Sang et Or. Avant un nouveau choc contre le leader Lorientais. L’occasion pour Franck Haise de montrer qu’il a grandi depuis son passage éclair sur le banc du Moustoir ? 

Credit photo : Icon Sport 

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