[INTERVIEW] Jörn Andersen : « En Corée du Nord, le sélectionneur travaille comme un entraîneur de club »

Sa photo de profil Whatsapp rappelle l’époque où des cheveux longs blonds, un maillot avec un aigle rouge sur la poitrine et un short court à trois bandes, étaient son tiercé gagnant pour enchaîner les buts. De ce temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, il en a gardé la crinière, qui a certes blanchi, mais qui rappelle sa Norvège natale. Jörn Andersen était un des précurseurs du football nordique, meilleur buteur du championnat norvégien en 1985 avec Fredrikstad, il le fut ensuite du championnat allemand avec Francfort en 1990. Tellement attaché au Deutschland où il a joué pendant dix ans, il en a acquis la nationalité et y réside aujourd’hui.

Sa carrière de joueur s’est étirée de 1982 à 2001, avant de prendre place sur le banc en tant qu’entraîneur en Suisse, en Grèce, en Allemagne, en Autriche et en… Corée du Nord. Andersen a été avec le Hongrois Pál Csernai, l’un des deux seuls sélectionneurs étrangers de l’histoire de l’équipe nationale du pays le plus secret de la planète. Tout cela méritait bien quelques questions.

Vous avez eu une belle carrière de joueur, quels souvenirs en gardez-vous ? Quels sont les joueurs de votre époque qui vous ont marqué ?

A l’époque où j’étais le meilleur buteur du championnat norvégien et que j’ai eu plusieurs offres dans le championnat allemand, c’était une période fabuleuse. Quand je jouais à Francfort, ce n’est que des bons souvenirs avec surtout l’année où j’ai été meilleur buteur de Bundesliga en 1990. En Allemagne, il y avait de vraiment bons défenseurs. En 1990, quand l’Allemagne gagne la Coupe du Monde en Italie, il y avait des joueurs exceptionnels comme Jürgen Kohler, Guido Buchwald. A cette époque, de jouer contre eux me faisait énormément progresser.

Quelles différences majeures notez-vous dans le football de votre époque et celui d’aujourd’hui ?

Le football s’améliore chaque année. J’ai joué jusqu’en 2001 donc j’ai pu voir le football évoluer. Il est devenu plus tactique, plus physique, tout est plus précis.

Vous étiez l’un des premiers norvégiens à réussir à l’étranger…

Oui on était peu à avoir franchi le cap de partir de Norvège. Quelques-uns avaient réussi avant moi mais pas en Bundesliga.

Comment le football norvégien a évolué ?

Le football n’est pas encore très fort en Norvège. La Norvège est un petit pays avec un hiver très long et c’est dur de mettre en place le football toute l’année. Mais quelque fois, il y a des joueurs qui tirent leur épingle du jeu. Je suis content de voir des Erling Haaland et Martin Odegaard, deux gros talents et ce sont deux joueurs immenses pour la Norvège.

Que pensez-vous d’Haaland ?

J’ai joué avec son père en équipe nationale donc je le connais un peu. Je suis vraiment impressionné par son talent, il est bon physiquement et techniquement, c’est un joueur rapide et dangereux. Il a tout pour lui. Il ne fait pas d’erreurs dans sa carrière, il a d’abord joué dans des petits clubs norvégiens, puis dans des grands clubs norvégiens avant d’aller à Salzbourg. Et à Salzbourg, il a dit non à des clubs comme le Real Madrid pour aller à Dortmund. Ses choix sont selon moi très bons.

Vous avez entraîné en Allemagne, en Autriche, en Grèce, en Suisse, et la France alors ?

Le football français est excellent. Je le suis depuis des années. Mon ami Thomas Tuchel entraîne le PSG. C’était un jeune entraîneur quand nous étions ensemble à Mayence. Et quand je suis parti c’est lui qui a pris ma succession. De le voir là aujourd’hui, je suis vraiment très content pour lui. En France, il y a d’excellents joueurs, surtout en équipe nationale. Je comprends un peu le français mais parler non. J’ai joué et entraîné en Suisse donc j’aurais pu l’apprendre, mais c’était dans la partie italienne.

Votre carrière d’entraîneur vous a emmené jusqu’à un poste de sélectionneur de la Corée du Nord de 2016 à 2018. Pouvez-vous nous parler de votre expérience ?

C’était une super expérience. Quand j’ai reçu l’offre, c’était très spécial pour moi car quand on pense à la Corée du Nord, on part avec beaucoup d’a priori. Mais il n’y a vraiment eu aucun problème, la vie est très bonne là-bas. En Corée du Nord, le sélectionneur travaille comme un entraîneur de club, je choisis mes joueurs puis on s’entraîne ensemble deux fois par jour et ils retournent avec leurs clubs le week-end. Mes joueurs étaient très investis, on s’entraînait durs, de manière intensive alors je ne garde que des bons souvenirs. Pour la communication, il y avait toujours un traducteur avec nous. J’ai travaillé avec des gens très professionnels, j’avais tout ce qui était nécessaire pour bien travailler. On s’est qualifié pour la Coupe d’Asie 2019 en faisant de très belles qualifications. J’étais très heureux mais après deux ans à la tête de l’équipe, ils n’ont pas pu me prolonger car ils n’avaient plus d’argent pour me payer.

Vous avez été le premier à sélectionner le prometteur nord-coréen de désormais 21 ans Han Kwan Song, joueur de Cagliari, la Juventus puis Al Duhail.

En Corée du Nord, il y a de très bons joueurs et des talents comme Han Kwan-song ou Pak Kwang-ryong. Ce ne sont pas des top joueurs mais des supers talents. Quand j’ai vu Han jouer pour la première fois, j’étais très impressionné. Il a vite gravi les échelons en Italie. Il est encore très jeune et peut devenir un bon joueur. Le problème est qu’il ne peut pas rester en Europe avec les consignes de son pays. Mais qu’il soit dans l’une des meilleures équipes du Qatar est très bon pour lui.

Après la Corée du Nord, vous avez ensuite œuvrer au Sud pendant deux saisons à Incheon United.

Quand j’étais en Corée du Nord, j’ai eu beaucoup d’offres de pays asiatiques mais la plus intéressante était une de Corée du Sud, j’ai signé avec Incheon United et j’ai aussi beaucoup appris. J’ai beaucoup aimé travailler en Asie car les joueurs sont très disciplinés, ils écoutent toujours l’entraîneur. Alors qu’en Europe, il y a parfois des problèmes entre les jeunes joueurs et l’entraîneur, les coachs peuvent avoir du mal à se faire écouter. Les asiatiques sont très respectueux de la hiérarchie donc pour moi, j’avais beaucoup de possibilités pour mettre en place ce que je souhaitais.

Être sélectionneur de la Norvège vous intéresserait-il ?

Ce n’est pas facile de devenir le sélectionneur de la Norvège car ils recherchent de très bons coachs. Mais pourquoi pas dans le futur si l’occasion se présente.

Quelle est votre vision du football en tant qu’entraîneur ?

Ma vision du football est très offensive. Ma philosophie est tournée vers l’attaque mais avec une stabilité défensive. J’aime jouer avec beaucoup de pressing et avec du jeu court avec peu de touches.

Qu’envisagez-vous pour la suite ?

Si j’ai d’autres offres comme j’ai pu avoir en Thaïlande ou en Australie, j’irai. J’ai pas mal de possibilités en Asie mais à ce moment précis je ne m’y penche pas trop, j’attends que la situation du coronavirus s’améliore.

Entretien réalisé par Alexandre Delfau 

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