Bundesliga : le marché aux Français, le repère des Frenchies

Nkunku, Upamecano, Thuram mais aussi Diaby, Coman ou Todibo… nous sommes déjà essoufflés mais la liste est encore longue. Plus que jamais, la Bundesliga accueille à bras ouverts des joueurs français qui se pressent au portillon du championnat allemand. La tendance est évidente, mais comment l’expliquer ? Tentative d’éclaircissement de cet amour naissant, entre clubs d’outre-Rhin et jeunes français.

Le football l’avait mise en veilleuse, la Bundesliga a alors accouru afin de nous sauver des griffes de l’ennui et des plaintes de présidents de L1 frustrés. Ça tombe bien, depuis quelque temps, le très caractéristique phrasé allemand prend des accents français. Si Marcus Thuram fait souvent le guignol avec les poteaux de corners, ce n’est pas pour amuser la galerie. Le Poulain symbolise juste la conquête de l’Allemagne par la nouvelle génération française, drapeau en main, tel Armstrong sur la lune.

Derrière l’Allemagne et les 29 Autrichiens, la France est la nation la plus représentée en Bundesliga. Au cœur de cette délégation bleue de 26 joueurs, 16 n’ont pas plus de 24 ans et seul Modeste a dépassé la trentaine. Les recruteurs allemands n’hésitent plus à piocher dans le riche vivier hexagonal, sélectionnant à prix cassés des joueurs à peine formés. Une main tendue que Plea et consort saisissent à pleine dents.

Une mine d’or jusqu’ici inexploitée

Trois noms : Ribéry, Schmid, Delpierre. Voici à quoi se limite l’exode français lors de la saison 2012-2013. Les enchères montent à 8 trois ans plus tard et dépassent la vingtaine dès 2017-2018. La mode est lancée. Auparavant, Lizarazu, Djorkaeff ou, plus tôt, Six, s’étaient aventurés en terre allemande. Plus récemment, la nouvelle génération a de nouveaux exemples à suivre. Mukiele avait confié le ressenti général à Bild  « Nous avons vu Ribéry et Coman frapper ici. » Sur bundesliga.com, Valérien Ismaël, ancien du Bayern ou du Werder, avançait que « dans le passé, les jeunes joueurs français allaient soit en Italie, soit en Angleterre ». Aujourd’hui, la Serie A emploie 18 Français lorsque l’Espagne en compte deux de moins que l’Allemagne.

Parmi les 4 grands championnats, c’est l’Angleterre qui raffole le plus de nos poulains. Cependant, pour eux, Premier League rime parfois plus avec « remplaçant » qu’avec « épanouissement ». D’autant plus qu’en Angleterre, recruter en Ligue 1 équivaut souvent à puncher le porte-feuille pour en sortir quantité d’oseille. Un peu plus à l’Est, acheter français, c’est acheter malin. Notamment pour les clubs les plus modestes. Pour eux, impossible de rivaliser avec les Bayern and Co, mastodontes traquant le moindre joueur qui émerge en Bundesliga.

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Selon Ali Farhat, expert de la Bundesliga : « Les joueurs français sont moins chers que dans d’autres pays. Moins chers que les joueurs allemands, même. Pour des clubs comme Mayence, c’est plus facile d’aller chercher un talent français qu’un talent allemand, déjà courtisé par des clubs plus puissants. » Le journaliste de So Foot cite là l’exemple d’un club qui n’a pas hésité à piquer Diallo à Monaco, Gbamin à Lens, Niakhaté à Metz ou encore Mateta au Havre. Pour ramener chacun de ces joueurs à l’Opel Arena, les 05ers avaient dû débourser entre 5 et 8 millions d’euros. «Des sommes correctes, qui représentent beaucoup pour un club comme Mayence, souligne Ali Farhat. Mais qui, au final, ont été bien investies. Diallo est parti pour 28M€ à Dortmund, Gbamin pour 30M à Everton… »

Formation à la française, éducation à l’allemande

Pour faire fonctionner cette politique de recrutement, les directeurs sportifs teutons raffolent de la formation française. Et ce n’est pas Ralf Rangnick qui dirait le contraire, comme l’a relayé Sportschau : « Il y a de quoi envier les entraîneurs des équipes de France de jeunes. Quand nous cherchons des joueurs qui ont une très bonne formation technique et physique, et en plus la culture du football de rue, la France est un très bon marché. »

Du côté de l’architecte du projet du RBL et de ses homologues, le manque d’expérience au haut niveau n’est pas un facteur atténuant. En 2017, Ibrahima Konaté débarquait à Leipzig avec 12 matches de Ligue 2 dans les jambes et 18 piges sur la carte d’identité. Le même été, Dortmund avait mis le grappin sur Zagadou alors qu’il n’avait pas signé de contrat pro au PSG. Les deux colosses de 20 ans sont déjà des titulaires respectés, malgré un abonnement onéreux aux blessures. Preuve de la confiance et des responsabilités accordées aux Tricolores.

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Il faut dire qu’au pays de la bière, « quand un club allemand te veut, il te veut pour de vrai ». Punchline livrée par Ali Farhat qui ne lésine pas quand il faut parler de l’accueil réservé à nos Frenchies : «Les clubs savent ce qu’ils veulent, et quels moyens ils ont pour cela. Et surtout, ils mettent beaucoup de choses en œuvre pour leurs joueurs, pour qu’ils se sentent bien rapidement : des cours d’allemand, des gens au club qui vont les aider pour toutes les démarches possibles et imaginables, que ce soit pour eux ou leur famille. »

En plus de ce chouchoutage en règle, la clique bleue est cadrée sur le plan disciplinaire. Interviewé par Ultimo Diez l’an passé, Evan Ndicka est passé de petit farceur à Auxerre à latéral gauche important de la défense à 4 de Francfort. Auteur de « plein de conneries » du côté de l’AJA, il a évolué et exprimait très bien la rigueur allemande : « Il y a des exigences que j’apprends toujours d’ailleurs. On ne va pas se mentir les Allemands m’ont rééduqué. » De plus, sur le territoire français, les jeunes cracks ne sont pas les derniers à fanfaronner. Outre-Rhin, la barrière de la langue pourrait en dissuader plus d’un de jouer aux starlettes. Étudions Ousmane Dembélé. Étincelant dans la Ruhr, l’ailier a dégagé de Dortmund au premier caprice et est désormais plus coutumier de la case faits divers des tabloïds que de la pelouse du Camp Nou.

Qui veut gagner de l’intelligence tactique ?

Aussi, les nouveaux arrivants tricolores débarquent généralement dans des vestiaires très francophones. C’est le cas à Gladbach par exemple, même si cela n’empêche pas certains Français esseulés de faire valoir leur maîtrise de la langue de Molière. Todibo, son karma et la grand-mère de Haaland peuvent en témoigner.

Mais surtout, ces footballeurs sont l’objet de suivis très personnalisés. C’est le cas à Mönchengladbach. René Marić est proche des joueurs et s’il est capable d’analyses tactiques très poussées, l’adjoint de Rose prône la responsabilisation tactique de ses Poulains. Le duo du banc des Fohlen a transformé Marcus Thuram. Arrivé cet été, l’ex-Guingampais en est à 7 buts et 8 passes décisives et met aujourd’hui son physique et sa technique au service de son cerveau.

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En Allemagne, les coaches s’appliquent à rendre leurs joueurs intelligents sur les plans collectif et individuel. L’idée de miser sur la jeunesse prend alors tout son sens, comme l’a expliquée Peter Zeidler à So Foot. L’ancien adjoint de Rangnick martèle qu’à Hoffenheim, la venue de « joueurs sans rien sur le disque dur interne » leur permettait de mettre en pratique leurs idées. Aujourd’hui, il est clair que Rangnick et son gegenpressing ont inspiré tout une génération d’entraîneurs en Bundesliga.

« En Allemagne, l’entraînement est très dur et très ciblé. Si tu apprends dans cet environnement, tu te développes plus rapidement. Si j’étais resté à Lille, je ne serais peut-être pas champion du monde maintenant. » Benjamin Pavard (bundesliga.com)

Des laptop managers comme Rose ou Nagelsmann ont clairement baigné dans ces idées de recherches d’intensité. Ils défendent désormais une identité de jeu très assumée, comme beaucoup de coaches en Allemagne. Peter Bosz (Leverkusen) et ses confrères savent ce qu’ils veulent, sur le terrain et dans leur vestiaire. Ainsi, de nombreux jeunes Français – et plusieurs pensionnaires de Ligue 1 – présentent des profils particulièrement adéquats à la mentalité de jeu sauce Bundesliga. Un championnat très ouvert, où l’on marque plus qu’ailleurs. Où la vitesse en transition et les duels sont les clés. Pour bundesliga.com, Rouven Schröder, DS du FSV Mayence, vantait le portrait type du joueur français. Des joueurs de Ligue 1 « et aussi de Ligue 2, très robustes et bien entraînés », avec de « bonnes personnalités et un certain dynamisme ». Bref : « Ils sont bien adaptés au football allemand. »

Des batteries tricolores pour un football électrique

Évidemment, ces aptitudes sont recherchées partout dans le football moderne. Mais la Bundesliga est tout de même très particulière et force est de constater que les recruteurs allemands savent construire. Pour satisfaire au jeu très box-to-box de Bundesliga, les briques françaises complètent à merveille les différents puzzles tactiques. Pour aller vite vers l’avant, la technique et la vitesse de Plea et Coman ou l’œil et le coup de patte de Nkunku sont des armes cruciales. Il convient tout de même de rappeler que des joueurs de pivot, forts dans les airs, réussissent aussi. Demandez donc aux fiches de stats de Mateta et de Haller de 2018-2019. Les Tricolores se révèlent être très polyvalents et permettent aussi à leur entraîneur d’adapter leur système.

Avec cette ambition constante d’écarteler l’équipe adverse, les latéraux ont souvent de beaux espaces qui ne demandent qu’à être fendus. Des tâches qu’exercent bien des Mukiele ou Pavard – bien que leur pendant (Angeliño et Davies) soient souvent plus efficaces. Mais qui dit projection en masse, dit aussi potentielles difficultés défensives. A ce sujet, Benji le bouclé remplit fréquemment le rôle de passoire.

Pourtant, les Français s’adaptent bien aux exigences du pressing à la Klopp, affichant une belle discipline tactique et des litres d’endurance. Pour couronner le tout, s’il advient que l’opposant se sorte de ce pressing, certains Frenchies ont la tête de l’emploi pour sauver les meubles. Dayot Upamecano est un de ces déménageurs en puissance et possède un volume de courses précieux pour éteindre les contre-attaques. Des retours salvateurs et des duels à l’épaule triplés d’une belle relance.

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Mais tout n’est pas rose non plus. De nombreux Français ne sont pas réguliers d’une année sur l’autre. Mukiele confiait à Bild avoir « sous-estimé la Bundesliga » lors de sa première saison et que ce « football était beaucoup plus rapide ». Excellents l’an passé, Ndicka et surtout Roussillon (Wolfsburg) sont moins en réussite. Niakhaté, défenseur à Mayence, part de loin mais progresse. D’autres souffrent peut-être de l’exigence physique du championnat. Tolisso, Konaté, Coman et Zagadou ont connu de longues périodes de distanciation forcée avec les terrains. Ces derniers avaient tout de même pu briller avant ces pépins. Lucas Hernandez et sa cheville ne peuvent pas en dire autant. Certains Bavarois peuvent se demander s’ils n’ont pas pris le mauvais frangin.

Bundesliga, repère des Bleuets : DD likes this

Ce papier touche à sa fin mais la Bundesliga n’a pas encore livré tous ses atouts. Le plus connu : la ferveur de ses supporters. Outre-Rhin, le silence qui s’abat actuellement sur les stades est un phénomène sans précédent.

Pour Ali Farhat, « les infrastructures, l’identité des clubs, leur organisation, les méthodes de travail » constituent autant d’autres facteurs de bienvenue. D’autant plus que les Frenchies peuvent se « développer tranquillement ». En effet, si la concurrence est rude, les jeunes héritent de responsabilités – souvent plus qu’en L1 – sans être sur-médiatisés. « Et puis ils savent que s’ils réussissent, ils pourront aller ailleurs ensuite, dans des clubs plus prestigieux. » Comme Haller, from Francfort to West Ham, voire Pavard, de Stuttgart à Munich.

Chaque saison, de nombreuses équipes peuvent prétendre à des places européennes. Il y a de l’enjeu à revendre à tous niveaux. Et cela, alors que les caméras françaises ne visent pas le championnat allemand en priorité. Moussa Diaby, double-passeur ce week-end, en est un parfait exemple. « Le Bayer Leverkusen, c’est parfait pour lui, témoigne Ali Farhat. Grand club, mais pas beaucoup d’exposition, ce qui lui permet de bosser en paix, et de progresser. Et de match en match, il est de plus en plus fort. »

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La pression populaire de l’Hexagone est moindre, mais les yeux de Didier Deschamps sont bien ouverts. Le sélectionneur a montré qu’il pouvait aller chercher des joueurs méconnus en France, pour en faire des champions du monde. Pavard le lui a bien rendu. DD manifeste une belle confiance pour des spieler comme Coman. Aussi, il peut voir l’Allemagne comme le repère des Bleuets. Thuram, Nkunku, Diaby, Mukiele, Zagadou, Konaté, Ndicka, Todibo, Cuisance et d’autres ont tous déjà porté la tunique bleue chez les u20 ou les u21.

Désormais, ils n’attendent que l’appel du sélectionneur français et peuvent remercier les anciens, les Modeste, Guilavogui ou Schmid, de leur avoir montré la voie vers la Bundesliga. D’avoir laissé la clé sous le paillasson.

Credit photo : PictureAlliance / Icon Sport

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