Qu’est-ce que c’est beau la vie d’Aritz

Cela aurait dû se faire à la fin de la saison mais la faute à ce fichu virus et à un corps qui dit stop, Aritz Aduriz, attaquant emblématique de l’Athletic Club de Bilbao, a publié ce mercredi un message qui en a fait pleurer plus d’un dans les chaumières basques: « Le moment est venu… » pour le n°20 zurri-gorriak de mettre un terme à sa carrière, et pour le monde du foot de saluer unanimement un joueur exemplaire à la carrière pas comme les autres.

Le rendez-vous était pris: le dimanche 24 mai, la saison de l’Athletic aurait dû être tout juste achevée. Les membres du club seraient peut-être même  en train de fêter la fin de cette saison après un ultime déplacement à Grenade. L’ampleur des festivités aurait sans doute en partie dépendu du résultat de la finale de Coupe du Roi du 18 février. Une finale avec le derby basque entre l’Athletic et la Real Sociedad à l’affiche. Le baroud d’honneur idéal pour celui qui marqua le premier but de son histoire en rouge et blanc face au rival représentant sa ville natale de San Sebastián. Enfin plutôt Donostia, en euskara.

Au lieu de ça, nous voilà aujourd’hui avec l’annonce toute fraîche du retour du football espagnol dans une poignée de jours. La saison ira à son terme, oui, une poignée de jours trop tard. A travers son message empli d’amertume, Aduriz explique qu’il devra être rapidement opéré de la hanche pour pouvoir tout juste vivre le reste de sa vie sans complications. Il n’y aura pas de dernière finale glorieuse, pas de coupe levée au ciel, et encore moins de larmes, chants, tifos ou instants mémorables lui étant dédiés dans un San Mamés bondé au terme du dernier match à domicile de la saison face à Leganés. Une conclusion aussi triste que l’histoire fut magnifique.

Comme le bon 20

Les 39 ans passés au compteur, vingt ans de carrière au total et pourtant une image construite quasi exclusivement sur la dernière décennie écoulée. Pas besoin de faire les comptes bien longtemps, vous tenez une adaptation plutôt crédible de l’Etrange Histoire de Benjamin Button. Sauf que là, l’histoire n’a rien de fictif.

Aduriz passe les dix premières années de sa carrière dans l’anonymat du commun du football professionnel. Si l’on relèvera la belle progression qui lui permet de grimper peu à peu de la troisième à la première division, il ne parvient jamais non plus à atteindre la barre des dix réalisations dans l’élite espagnole. Un cap qu’il fût déjà difficile de franchir en D2 sous le maillot de la réserve bilbaína et qui aura nécéssité une première émancipation.

Aduriz lors de son second passage à l’Athletic, en 2006 – Photo: Iconsport

Le fonctionnement particulier de l’Athletic ne lui permettant d’aligner que des joueurs basques va en revanche toujours ramener le jeune Aritz vers lui: Dès lors qu’un joueur local réussit plus ou moins quelque part, le club a tout intérêt à le rapatrier, n’ayant pas foule d’alternatives possibles. Le garçon voyage donc entre Burgos, Valladolid, puis Majorque et Valence (avec qui il marque 23 et 17 buts en Liga étalés sur deux saisons à chaque fois), entre plusieurs retours auprès des Lions. La troisième fois sera la bonne: en 2012, Aduriz pose définitivement ses bagages à San Mamés, et commence enfin à écrire sa légende.

Pour donner une idée du tournant que prend sa carrière à ce moment-là pour lui qui est dans sa 31e année, il faut savoir qu’il est alors auteur d’un peu plus d’une cinquantaine de buts dans l’élite. Il achève aujourd’hui sa carrière en ayant fait sauter la barre des 220 unités, après 568 matchs au plus haut niveau. Une révélation sur le tard impensable, une dynamique de progression exponentielle qui ne s’enclenche qu’au moment où le football actuel voudrait déclarer le joueur déjà bon pour la casse. Même sa barbe et son dégradé n’auront jamais été aussi soignés qu’au crépuscule de sa carrière. Arrivé avec un record personnel de 12 buts en Liga, il fait directement mieux, puis toujours plus les saisons suivantes: 14,16, 18, 20… devenant alors le meilleur buteur espagnol du championnat, et par deux fois meilleur buteur de l’Europa League.

Eternel imprévu

Pas le plus rapide, ni le plus fin techniquement, il se retrouve pourtant toujours là où il faut, quand il le faut, et réalise le geste parfait pour convertir l’occasion en but, et ce en faisant preuve d’un énorme sens créatif malgré tout. Lui se refuse à parler de quelque chose d’inné ou du fameux « instinct du buteur ». Marquer un but se travaille, s’apprend, et il semble être le parfait exemple pour illustrer ses propos. Le travail paie tôt ou très tard.

Paradoxalement, les buts qu’il inscrivait sont pour beaucoup tout bonnement irréalisables pour un autre puisque la magie qu’il y insufflait, il en était le seul détenteur. Sur les 158 buts qu’il a inscrit avec l’Athletic, 124 l’ont été en une seule touche de balle. Quelle que soit la situation, il fallait réaliser le seul geste qui pouvait convenir. Lui jouait au foot pour ce genre de geste, et ce depuis qu’il tapait ses premiers ballons sur la plage de la Concha à Donostia. Le Vélodrome peut en témoigner, comme énormément de stades à travers l’Espagne et l’Europe.

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Dans une équipe qui oscille entre le bon et le moribond, il devient l’un des attaquants les plus craints du championnat. Accrocheur, fort dans les airs, capable d’inventer une façon de reprendre le ballon inattendue, fer de lance parfait pour un club au caractère traditionnellement bien trempé ; aussi craint donc, que respecté.

Contrairement à d’autres, Aritz n’a jamais pu prétendre que sa place lui était due, que tout ce qui avait été acquis relevait de l’inéluctable. Baroudeur parmi les sommets pyrénéens, ou bien surfeur, voilà ce qu’il aurait dû être. Comme n’importe quel basque quoi. Le foot, c’était son autre amour, mais de là à être celui qui porterait la fierté de tout un peuple à travers ce maillot… Jamais au-dessus des autres, voilà qui attire forcément le respect de tous. D’un autre point de vue, strictement professionnel, ses pairs ne peuvent qu’admirer le travail accompli pour être à un tel niveau aussi tard dans une carrière.

Puisque qu’une belle carrière doit être marquée de symboles forts, la sienne entre définitivement dans cette catégorie. Palmarès de l’Athletic depuis l’âge d’or de 1983 ? Le néant, jusqu’en 2015. Bilbao, dernier finaliste de la Copa del Rey, affronte le Barça auréolé du triplé coupe-championnat-Ligue des Champions pour le compte de la Supercoupe d’Espagne. Une double confrontation qui consacre Aduriz comme bête noire des Catalans, et inscrit une ligne à son palmarès collectif. Quadruplé au match aller pour un succès 4-0, buteur au retour en réponse à Messi (1-1) et sceller le sort du trophée. Cinq buts sur ces matchs, un record de plus pour le 3e meilleur buteur de l’histoire moderne des rouge-et-blanc, plus vieux buteur de l’histoire de la Roja lors de ses quelques sélections grattées avec sa place à l’Euro 2016 à l’heure où l’Espagne cherchait du sang frais ; aussi meilleur buteur de l’histoire passé les 30 ans derrière les monstres sacrés Puskas, Di Stéfano, (puis bientôt Messi et Cristiano Ronaldo).

L’histoire ne prendra malheureusement pas fin sur une belle image dans une finale de coupe pour garnir ce palmarès. A défaut, pour fermer le livre, il faut remonter au jour où cette saison s’est ouverte en août dernier. Le corps étant depuis de nombreux mois à la limite de la rupture, il faut remonter jusque-là pour trouver ce fameux dernier but, à l’occasion d’une entrée en jeu victorieuse face au Barça.

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L’adieu, on l’aurait voulu aussi grandiose que ce dernier but. Le moment, bien que triste, autant fêté. Il n’y aura eu que San Mamés vide, ses proches et coéquipiers, une conférence (tenue en basque bien sûr) où le regret et l’émotion bien que palpables auront été refloués derrière le sourire d’un mec simple, préférant répéter que son sort n’avait rien de bien important en ce moment. Joueurs et légendes du foot espagnol, de Xavi à Sergio Ramos, de Xabi Alonso à Ter Stegen, sans compter ses anciens clubs ou même clubs adverses, saluent la légende.

Aritz Aduriz sort une dernière fois de San Mamés, au son de l’hymne du club. Au son des « Athleeeeetic ! », rendant l’instant quasi-martial ou aussi solennel que l’abdication d’un roi. Une place de privilégié que jamais il ne revendiquera, lui qui n’aura même jamais été le porteur de brassard attitré des Basques. Une place que pourtant tous lui attribuent volontiers.

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