US Sassuolo: Le loup déguisé en agneau du calcio

Juve, Inter, Lazio, Roma, Milan. Tous ces grands noms de la Serie A ont pour point commun d’avoir laissé des plumes dans leurs confrontations avec l’US Sassuolo cette saison. Comme lors de chaque exercice depuis quelques années, ce club, dont le nom n’évoquera absolument rien à quiconque s’est désintéressé de l’élite italienne depuis les années 2010, est capable de contrarier n’importe quelle équipe sur 90 minutes. Comment les neroverdi sont-ils soudainement passés de l’anonymat à exemples du « petit qui gagne avec des idées et du beau jeu » ? Le Sasol, exemple avant tout d’une promesse de ne plus retomber dans le néant.

Une improbable sortie de l’anonymat

Les mastodontes du foot italien sont toujours représentants de villes importantes du pays. Poids démographique ou alors économique à un moment donné dans l’histoire ; Turin, Rome, Gênes, Milan, pour ne citer qu’elles, auront toujours une résonance forte que n’a jamais eue et n’aura jamais Sassuolo. Il faut dire qu’il est compliqué pour la ville de 40 000 habitants de trouver un peu de lumière dans une région d’Emilie-Romagne extrêmement dense sur le plan historique, mais aussi footballistique. Hormis les deux géants locaux que sont Parme et Bologne, l’endroit abrite bien d’autres clubs encore aujourd’hui en Serie A, Serie B, ou ayant connu le monde professionnel et emmené leur fervent public dans les tréfonds du calcio avec eux. La SPAL de Ferrara, Cesena, Piacenza, Carpi, Modena et enfin la très proche Reggiana de Reggio-Emilia, située à 20 kilomètres. Dernier arrivé, dernier servi dans les tribunes.

À LIRE AUSSI – Bologne, une saison pleine de promesses

Le club, fêtant ses 100 ans aujourd’hui, voit son histoire prendre un tournant majeur en 2002. Ayant donc longtemps vécu dans l’anonymat du football amateur et semi-professionnel, l’US Sassuolo, en grande difficulté financière, est menacé de rétrogradation au niveau régional. C’est alors que l’homme providentiel apparaît : Giorgio Squinzi, décédé très récemment. Le boss du groupe MAPEI, mastodonte de l’industrie du bâtiment, reprend le club qui voit au même moment sa rétrogradation annulée par le simple fait que trop d’équipes se trouvaient hors des clous économiques à ce moment-là. Début d’une nouvelle histoire et d’un jeu de dupe génial orchestré par le Mister Squinzi.

Peu à peu, les neroverdi montent en grade, remportant leur championnat de Serie C en 2008, puis la Serie B en 2013. Ce dernier trophée, à ce jour le seul dans les armoires du club, lui ouvre les portes de l’élite. Sassuolo arrive dans la peau du petit promu, jouant dans un stade hors de sa ville, au nom si peu connu que la redescente immédiate semble être le seul scénario parfaitement crédible. Chose finalement évitée de peu avec une 17e place finale, mais en exposant des principes assez peu communs. Effectif jeune, très largement composé d’italiens, et une tendance à rendre les matches spectaculaires. 12e attaque avec 43 buts marqués, 2e pire défense avec 77 pions encaissés.

Sassuolo veut jouer au ballon, alors même que l’inexpérience de ses joueurs et de son coach Di Francesco ne s’y prête pas vraiment. Une formule instable qui occasionne aussi bien d’énormes déroutes, comme face à l’Inter (0-7), que de grands moments du championnat, comme face au Milan (4-3). Sur ce match, le jeune Domenico Berardi, formé au club, plante un quadruplé. Cette victoire, c’est le symbole de ce que Sassuolo revendique. Du made in Italy, du local, du jeune, du spectacle, du neuf. Le fameux « petit club avec des idées » qui s’oppose aux mastodontes, tournant à l’argent balancé par les fenêtres. Une image qui va lui coller à la peau dans sa montée des échelons vers le milieu du tableau et jusqu’à l’Europa League. En 2016-17, Lucerne et l’Etoile Rouge de Belgrade font les frais de l’enthousiasme vert-et-noir en tours préliminaires. Même chose pour l’Athletic Club de Bilbao lors d’un match de poule inaugural qui restera comme la seule victoire européenne des Emiliens jusqu’à aujourd’hui (3-0). Petit aux grandes idées, une demi-vérité qui n’explique pas tout de la stabilité qu’a trouvé le club dans sa courbe de progression.

Yo tout le monde, c’est Squinzi

Lors de sa montée en Serie A, l’US Sassuolo n’a ni stade aux normes sur ses terres, ni public propre tant il se trouve noyé dans la masse de clubs locaux. Sans compter que l’apparition du club parmi le monde pro en moins d’une décennie a laissé bien peu de temps pour lui attribuer une identité définie. Comme en atteste l’écusson, qu’on pourrait croire être une copie trentenaire d’un vieil écusson du Barça, le club a peut-être grandi trop vite pour pouvoir réellement exister à ce niveau. La solution pour se faire une place ? Giorgio Squinzi va la trouver, d’une façon qui représente avec clarté ce qu’est véritablement le Sasol aujourd’hui.

À LIRE AUSSI – [Rétro] Parme 99, l’âge d’or avant l’orage

En 2013, la Reggiana, club historique du canton, végète en Serie C avec ses problèmes financiers. Squinzi pose alors sur la table un chèque de 3.8 millions d’euros pour racheter le Stadio Reggio-Emilia – Città del Tricolore, maison du club grenat. Une offre acceptée contre l’assurance que la Reggiana continuera d’y jouer moyennant loyer, et que Squinzi s’occupera des rénovations. Affaire conclue. Dans la foulée, le stade est renommé MAPEI Stadium, le musée de la Reggiana laisse place à un restaurant, l’écusson de Sassuolo efface celui des précédents occupants des lieux. L’identité grenate est littéralement effacée des tablettes. La vente laisse place à de violentes manifestations des ultras de Reggio, mais le mal est fait pour eux. Sassuolo s’offre un stade pour une bouchée de pain et par la même occasion une place dans le foot Emilien. Stade qui, pour 700 000 euros de plus, devient l’un des plus fonctionnels d’Italie. Places au nombre de 30 000, suppression des barrières à travers un programme dédié pour améliorer la proximité du public et la présence des familles, premier stade italien où la Goal Line Technology fut opérationelle, premier stade italien à accueillir la finale de la Ligue des Champions féminine.

L’affaire représente au mieux toutes les faces du club. Donc parmi elles, une face impitoyable, représentée en son temps par feu Giorgio Squinzi, cachée derrière l’image vendue par son propriétaire de petite barque bien manoeuvrée avec pas grand-chose. Cocasse, quand on sait que le groupe MAPEI enregistre chaque année un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards d’euros, que le mécénat sportif du même homme avait déjà conduit son ancienne équipe cycliste aux sommets mondiaux et que le financement de son club assure à celui-ci une santé financière que beaucoup envient, voire surveillent. Avoir une entreprise supportant une dette de 50 millions d’euros, assurant un sponsoring maillot d’environ 20 autres millions, le tout couplés à diverses aides est aussi pratique qu’à la limite du répréhensible par l’UEFA, qui n’autorise pas qu’un sponsor unique puisse financer un club au-delà des 30% de son budget.

Avant-garde d’un nouveau football italien

Malgré toute cette face border-line, il serait très injuste d’occulter le fait que l’US Sassuolo est très bien géré. Là où le modèle du trading de joueurs fait des ravages dans bien des clubs européens, le club parvient à terminer ses mercati avec une balance positive, générer un chiffre d’affaire de l’ordre de 70 millions chaque année, tout en conservant une équipe à niveau. Le modèle est aujourd’hui fixé et fonctionne, comme en attestent le classement et les infrastructures de haut niveau du club. L’effectif est composé de quelques cadres d’expérience, comme Magnanelli, joueur le plus capé de l’histoire Sassolesa, Caputo, Aquilani ou Matri par le passé, et de beaucoup de jeunes joueurs, souvent italiens formés ou en post-formation au club.

https://twitter.com/SassuoloUS/status/1187028598944870401

Berardi, resté au club et devenu international italien, symbolise cette réussite. Mais les autres, vendus pour le profit du club et ayant réussi plus haut ou en passe de le faire sont désormais légion: Politano, Sansone, Sensi, Demiral, Vrsaljko, Zaza, Pellegrini, Acerbi, Locatelli, Boga, Traoré… Le tout en proposant un jeu attractif, mis en place par un jeune coach italien. Roberto De Zerbi, 40 ans, est le plus jeune entraîneur du championnat, et considéré comme le symbole de la mue du calcio. Di Francesco avant lui n’était pas bien plus âgé lors de son mandat. Seule ligne au CV de ces coaches avant leur nomination ? Avoir montré que les principes de jeu avec ballon surpassaient tout le reste dans leurs équipes. Avec Foggia, en Serie C en ce qui concerne De Zerbi.

Tous ces éléments sont des conditions sine qua none pour que le club poursuive peu à peu sa croissance. Qu’il puisse enfin affirmer une identité forte, avant-gardiste face à un football italien arrivé au bout du rouleau et en quête de changement. Là où le MAPEI Stadium peine à se remplir aujourd’hui, nul doute que la personnalité noire-et-verte séduira bientôt autour d’elle. Surtout quand, face au changement, certains concurrents comme Parme font le choix de l’investissement étranger (qatari en l’occurrence) et de la perte partielle de leur identité locale. Club moqué ces dernières années pour l’absence de culture ultra chez lui, le voilà en passe de devenir le modèle des club « aînés » qui l’entourent. Par ce qu’il démontre chaque semaine dans sa quête pour exister, ce Sassuolo est déjà inoubliable. Le plus grand tour de force d’un club qui n’aurait jamais dû pouvoir émerger de l’anonymat.

Crédit Photo: IconSport

0