Depuis quelques mois, quelques années pour les plus pressés, des passionnés se saisissent des nouvelles plate-formes de publication afin de proposer une analyse différente du football. YouTube ne déroge pas à la règle et s’est vu envahir par les Wiloo, Elias Baillif ou Mickaël de TMF. Ça tombe bien, pour Ultimo Diez, ces trois créateurs de contenus reviennent sur leur expérience du YouTube game. Aujourd’hui, première partie de ces entretiens croisés : ils dévoilent leurs objectifs ainsi que leur vision du football et du paysage médiatique qui l’englobe.
Partager un regard pointu sur le ballon depuis YouTube, un phénomène qui ressemble gentiment à une nouvelle mode. Et pour l’adopter, pas nécessaire de foudroyer des télés façon Momo Henni. Non, simplement un bureau, une chambre ; une caméra et un visage collé à l’objectif. Sans pour autant chercher à les fuir, ces youtubeurs sortent des sentiers tracés par les médias de sport «classiques». On étudie tout ça avec trois de ces vidéastes qui ont su séduire une audience, chacun dans son style. Wiloo auréolé de sa casquette et de sa poésie. Elias et ses sourcils, aussi hypnotisant que sa voix est apaisante. Et Mickaël muni de ses petites blagues d’introduction.
Par ici les CV
Âgé de 26 ans, Wiloo est lyonnais et compte 369 000 abonnés. C’est en sortant diplômé de Sciences Po qu’il s’est lancé sur YouTube en septembre 2017. Pas réellement séduit par un quelconque «métier classique», il est inspiré par des steamers spécialisés dans le jeu vidéo, comme Bruce Grannec. «C’est en regardant ses vidéos que je me disais qu’il était possible d’en faire un métier.» Loin d’associer les mots youtubeur et chômeur, Wiloo démarre sur Fifa avant de ne consacrer ses vidéos qu’au «vrai football».
Mickaël aussi a 26 ans et tient également une chaîne où il parle gaming. Le Nantais a créé l’été dernier Talk My Football, alors qu’il s’était déjà essayé à la vidéo footballistique en 2016. À cette époque, d’après lui le contenu des youtubeurs foot «était un peu cliché avec ce côté supporter qui était très important. En 2016, je ne trouvais pas que c’était un secteur bouché.» 3 ans plus tard, il relance son projet TMF mais ne se voyait pas percer. Il est aujourd’hui suivi par 61 200 abonnés.
En dehors de YouTube, Mickaël est le gérant d’une agence webmarketing. Elias Baillif lui, projette de devenir reporter. Mais en Suisse, «il n’y a pas de filière préconçue pour être journaliste». Étudiant de 22 ans en sciences politiques, avec quelques piges à son actif, il a vu la plate-forme comme un moyen «de préparer la suite, de montrer ce qu’il sait faire». Actif depuis novembre dernier, le déclic lui est venu du bouquin Soccernomics dans lequel «deux chercheurs appliquent des statistiques au football et déconstruisent énormément d’idées reçues».
Chacun ses petits combats
Le voici l’objectif d’Elias : «déconstruire des idées reçues et exposer au grand public des sujets que peu de monde connaît». Typiquement, le Suisse s’est amusé à nager à contresens de l’opinion générale à propos de Guardiola ou a présenté des personnages méconnus comme Juanma Lillo. La chaîne Talk My Football rebondit quant à elle sur l’actualité de nombreux clubs. Mickaël prend du recul et s’appuie sur deux principes : la nuance et «l’honnêteté intellectuelle». Wiloo est lui un assoiffé de savoir. «En même temps que je fais la vidéo, j’aime bien moi progresser dans ma vision du foot», résume-t-il.
https://twitter.com/Elias_B09/status/1287296848969990144
Les trois compères sont d’ailleurs des machines à avaler les livres et y trouvent régulièrement des idées de sujets. S’ils abordent événements historiques ou liens entre foot et société, leur programme se construit à l’envie et autour de l’actualité. Que ce soit selon le calendrier de Ligue des champions ou en partant à la découverte des cracks de demain. Quelques restrictions cependant. Elias, largement à l’inverse de ses homologues, se refuse à toucher aux rumeurs de transferts. Pour lui, «tu peux essayer d’analyser la communication de certains journalistes du club, les infos qui filtrent ou pas. Tu te rends compte à la fin que si le club avait envie d’annoncer un transfert que personne n’a vu venir, il le fait.» Wiloo expose cela différemment : «Les gens aiment la projection sur la suite, sur la nouvelle saison qui est l’opportunité de rebâtir.»
Mais c’est davantage par leurs qualités de traitement du football que les vidéastes se démarquent. Et aussi sur leur approche du sport. Son père lui ayant tendu des articles des Cahiers du foot en même temps que le biberon, Wiloo a vite compris «qu’il pouvait y avoir un traitement plus riche que ce qu’on entend sur les plateaux ou sur les antennes mainstream». Dans la même idée, Elias a commencé à écrire pour Furia Liga afin de «parler d’une certaine façon du foot espagnol parce qu’on trouvait qu’il n’était pas bien abordé dans les médias».
Quel avis sur le traitement général du football ?
Dans les médias traditionnels, «je trouve qu’on a tendance à être trop caricaturaux, lance Mickaël. Tu vas aller pousser ton avis au maximum, il va devenir ultra-polémique et faire réagir.» Il faut dire que la position des reporters et consultants peut rapidement devenir assez bancale. «Dans les médias généralistes, les journalistes doivent tellement parler de tout, qu’ils ne peuvent pas tout savoir», déclenche l’animateur de TMF. Une posture qui conduit à la «désinformation» selon Elias et que Wiloo justifie à la fois «d’un manque d’éthique professionnel mais aussi du fait que le foot est une planète impossible à connaître entièrement». Le Lyonnais ajoute qu’il n’est «pas facile de tout savoir sur tous les clubs mais effectivement, ça n’empêche pas de se taire quand on ne sait pas».
«À la télévision je crois qu’on est encore dans une représentation de type ancien monde, explique Wiloo. Les personnes qui parlent à la télé sont comprises comme détenant la vérité. Et ça va être beaucoup plus dur pour elles, vu la culture de ce medium, de dire qu’elles ne savent pas.» Une vision partagée par Mickaël : «Ce qui pousse les journalistes à ne pas avouer qu’ils ne savent pas, c’est l’ensemble de notre société. Aujourd’hui avec Twitter, il faut avoir un avis sur tout.» Une sorte de double-influence entre médias et public. Elias affine encore l’analyse : «Une fois que tu as une audience, il y a cette tentation de se transformer en donneur d’opinion. De se transformer en un thermomètre de ce qui est bon, ce qui ne l’est pas, ce qu’il faut penser d’un tel joueur, d’un tel entraîneur.»
Coup de gueule time : le Suisse trouve inacceptable «de manquer de respect» et de «chercher à apprendre leur métier aux professionnels du football». «Le football, il faut en prendre soin», conclut Elias.
De nouveaux médias respectueux du sport
Durant nos entretiens, les émissions du Canal Football Club, L’Équipe du Soir ou l’After ont été majoritairement citées. Wiloo «avoue ne regarder quasi aucune chaîne de foot» mais salue leur «capacité à construire les narratives». Mickaël aime ces programmes, toutefois leur format les desservirait parfois. «Sur L’Équipe TV, ils se retrouvent avec plusieurs heures de débat par jour. Soit tu es obligé de débattre de rien, soit tu dois débattre sur des thèmes que tous tes consultants ne maîtrisent pas forcément.»
Elias va plus loin et pose la question : «Pourquoi débattre ? Le débat n’est pas quelque chose de négatif en soi. Pas du tout. Mais ça dépend vraiment de l’objectif qui est derrière. Si l’objectif c’est juste qu’un journaliste impose son avis au détriment d’un autre, ça me paraît être une très mauvaise chose. Si l’objectif c’est de produire de la connaissance parce que les intervenants se relancent, parce qu’ils confrontent diverses visions, là ça devient très intéressant.»
Mickaël se sentirait néanmoins «hypocrite de dire [qu’il fait] quelque chose de particulièrement différent». Il réalise lui même des «débriefs à chaud», mais essaie de ne pas «être dans l’émotionnel à 100%». Et surtout, il parle de jeu. Pour Wiloo la réelle plus-value se trouve bien là. «Sur les nouveaux médias, comme YouTube, il y a une propension à plus parler de jeu. Je pense que le jeu a été le parent pauvre des réflexions historiquement, notamment à la télé.» Si le Lyonnais préfère les commentateurs anglophones c’est parce qu’il trouve que le «jeu passe au second plan» sur certaines antennes françaises où les «private joke» fusent et le téléspectateur devient un «intrus».
«Le mainstream s’enrichit progressivement»
Malgré tout, il est difficile de dresser un tableau général. Les youtubeurs ne sont critiques que sur des points précis, sans faire de généralités. Wiloo est même d’avis que «le mainstream s’enrichit progressivement». Les Julien Brun, Sabattier, le duo Da Silva-Da Fonseca «laissent parler le jeu». Alors que des nouvelles personnalités comme Julien Momont «réussissent à révolutionner la manière dont on parle du foot sur les médias mainstream». Le succès actuel du podcast Vu du Banc, prouve que le contenu technique peut attirer les foules.
Pour finir (et avant l'analyse de demain :)), on peut noter la vraie qualité de ce débrief sur Téléfoot. Forcément, avec Julien Momont et Julien Brun ce n'est pas une surprise, mais quel plaisir. La différence avec ce qu'on trouve sur d'autres chaînes est énorme
— Wiloo (@WilooFootball) September 17, 2020
Et c’est cette audience que Wiloo, Elias et Mickaël ont réussi à attirer. Le second cité comprend l’obligation pour les médias mainstream de s’adresser à un grand public. Mais cela contribue parfois à un «espèce de nivellement par le bas». Face à ce constat, le Suisse aux 19 500 abonnés considère Wiloo comme un inspirant pionnier. «Il a réussi à parler au grand public, tout en connaissant les choses que le grand public ne sait pas», détaille-t-il. De son côté, Elias, en parlant notamment de tactique, a permis à son entourage de déceler une certaine profondeur et une complexité dans le football. «Ça m’a fait le coup avec ma mère par exemple !» Si «ça peut prendre un peu plus de temps pour gagner le public», les vidéastes ont trouvé leur audience.
Wiloo a décortiqué le profil de ses abonnés. «Les gens sont beaucoup moins jeunes qu’on peut le penser.» Sur le graphique, seulement 16,5% de mineurs et «une grosse cohorte entre 18 et 34 ans». Plus surprenant, 20% de son audience a plus de 35 printemps – 10% a dépassé la quarantaine. Au passage, Wiloo accueille sur sa chaîne 10 000 abonnées féminines.
Si «c’est l’action elle-même, qui rend passionné», Wiloo aussi est convaincu que dépasser le traitement classique du sport, «consolide ton rapport avec le foot». Cela permet «de goûter à cette richesse du foot». Ainsi, YouTube n’est pas spécialement une porte d’entrée vers le monde du ballon rond. Non, la plate-forme permet surtout d’inculquer aux consommateurs une vision plus complète du football et de son univers. Comme si on injectait à un u15, la vision du jeu de De Bruyne. Tout en lui administrant l’amour que Bielsa voue au beautiful game.
Au programme de la seconde partie : les avantages ou inconvénients de YouTube et les liens qui se tissent entre influenceurs et médias.