YouTube FC : les «outsiders» des réseaux sociaux, la légitimité et l’appel des médias (2/2)

Aujourd’hui, des passionnés se saisissent des nouvelles plate-formes de publication afin de proposer une analyse différente du football. YouTube ne déroge pas à la règle et s’est vu envahir par les Wiloo, Elias Baillif ou Mickaël de TMF. Dans cette seconde partie de notre dossier, les trois créateurs de contenu se sont épanchés sur les avantages et les inconvénients de YouTube. Ils évoquent également les liens existants entre influenceurs et médias mainstream, sans oublier l’importance des réseaux sociaux.

Hier, nos trois youtubeurs présentaient leur regard sur le pied-ballon et sur les médias gravitant autour. À force d’analyser matches sur matches ou de décortiquer la stratégie des clubs, Mickaël and Co attirent l’attention. Une popularité catalysée par les nouveaux outils multimédia. Quels avis les vidéastes portent-ils dessus ? Tops/flops de l’utilisation de YouTube.

YouTube, la boule à facettes

«L’avantage numéro 1, c’est que beaucoup de monde va sur YouTube, démarre Wiloo. C’est possible de faire beaucoup de vues et du coup, d’en vivre.»

D’emblée, Elias nuance. Il considère important de pouvoir compter au préalable sur un petit réseau. «Personne ne sait vraiment comment ça fonctionne. C’est un peu toi face à ton travail et ensuite on verra ce qu’il se passe avec», explique le Suisse. Ces visions opposées sont peut-être influencées par des objectifs différents. Wiloo considère YouTube comme un métier alors que Mickaël de TMF et Elias placent les questions de vues et de reconnaissances «au second plan».

Les trois vidéastes se sont surtout lancés afin de parler de leur foot. En toute liberté. Ça tombe bien : «Il n’y a pas de barrières à l’entrée, selon Wiloo. C’est l’avantage par rapport aux réseaux classiques.» Réseaux au sein desquels existent plus de pression. «Moi, personne ne va me dire de faire différemment. J’ai aucun boss, aucune ligne éditoriale. J’ai à faire accepter ma vision à personne», complète le Lyonnais. Sans rendre de compte, Mickaël aussi peut «parler de ce [qu’il] connaît» et faire des «tunnels». «À la télévision, les chroniqueurs ont grand max 30 secondes de parole et après ils se coupent, précise-t-il. Sur YouTube tu as la place pour développer des idées.»

Le Tops/Flops de YouTube

Heureux de pouvoir aborder n’importe quel sujet, Elias tape dans la même zone : «Sur YouTube tu peux véhiculer ta vision du football et ta personne aussi (…) Je suis une personne assez calme à l’heure de parler football. Et ça, c’est pas forcément un inconvénient. Il n’y a pas besoin de rechercher le buzz sur YouTube. Si tu veux faire quelque chose de plus posé et réfléchi, ça fonctionne alors que dans certains médias on n’est plus trop à cette heure-là.»

Un vent de liberté qui inspire les influenceurs. Wiloo «aime créer de nouveaux concepts». Pour Elias, YouTube «c’est une façon de créer», simplement. Collectifs, les vidéastes n’hésitent pas à échanger autour de leurs productions. Véritable jungle aux yeux de certains, Indiana “Mickaël” Jones s’aventure sans souci dans l’espace commentaire. «Je réponds à l’immense majorité des commentaires, parce que je considère que j’ai beaucoup à en apprendre.»

Wiloo souligne un bienfait étonnant de ses échanges : «On m’envoie tellement d’idées de sujets que je pourrais arrêter personnellement d’avoir des idées.» L’interaction avec les abonnés est l’une des principales motivations d’Elias Baillif. Cependant, il reconnaît qu’il «n’est pas toujours facile de faire abstraction de commentaires très mal placés». La pression aussi existe sur YouTube et elle monte à différents étages.

Les «outsiders» des réseaux sociaux

«Déjà il faut casser un truc, se rebiffe Mickaël, c’est le fantasme où on dit : sur YouTube tu n’as pas de contraintes.» Pour toucher une audience, il faut respecter «des codes de réactivités, de types de format, de dynamismes». Les vidéos TMF sont filmées sans cut afin d’apporter honnêteté et spontanéité. Cela surprend selon Mickaël. Si leurs vidéos sont plus séquencées, Wiloo et Elias restent dans le même esprit.

Elias rêve lui d’un modèle permettant d’exploiter plus d’images, «comme la NBA le fait par exemple».

Sur YouTube, les trois influenceurs progressent donc en terrain connu. Un territoire dont les frontières rejoignent celles des réseaux sociaux. En particulier Twitter. L’oiseau bleu influence leur manière de penser le football. «J’ai un regard très positif sur les réseaux sociaux car ça m’a permis de rencontrer énormément de monde, d’apprendre énormément de choses au sujet du football et de créer un réseau qui est fantastique pour s’informer, s’enthousiasme Elias. Je trouve que ça a permis pour une communauté, un peu d’outsiders, de parler de football d’une façon qui leur correspondait.»

Le Suisse a du mal avec l’expression : «le caniveau Twitter.» D’après lui, «la façon de parler football d’une personne influence clairement les réponses qu’il va recevoir.» Wiloo s’aligne là-dessus : «Le très mainstream ressort à la surface» et ne va pas profiter à l’analyse footballistique. Mais en creusant, notamment depuis qu’il a démarré sur YouTube, le Lyonnais a découvert certaines pépites. Les créateurs de contenu distillent d’ailleurs régulièrement leurs analyses sur le réseau.

«Des mythes se construisent grâce aux discours produits sur Twitter»

Mickaël pointe le bout de ses tweets très souvent mais le réseau réveille parfois son tempérament de «petit rageux». L’animateur de TMF déplore le syndrome de «culture du présent» : «on a tendance à baser nos opinions sur ce qu’il s’est passé au cours des trois derniers mois.» Il accuse également certains prétentieux de «considérer leur opinion comme argent comptant». Mickaël embraie ensuite sur un nouveau point : celui du «FC Procuration». Autrement dit, les supporters plus prompts à critiquer les clubs rivaux qu’à évoquer leur propre équipe.

Même s’il reconnaît de bon cœur que «des mythes, pas forcément justes se construisent grâce aux discours produits sur Twitter», Elias n’accuse pas le réseau. Le problème viendrait plutôt de «gros comptes qui ont d’autres objectifs que de produire du contenu de qualité». Une histoire de buzz.

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La data aussi débarque sur les réseaux sociaux comme à la télé. «Je pense qu’à l’heure du social media, des petits tweets, des petites phrases, la data met en avant des choses qui simplifient l’analyse de manière caricaturale», avance Mickaël. Les statistiques, «tu peux être très fallacieux dans ta façon de les présenter, renchérit Elias. C’est compliqué parce que c’est un métier en soi d’être analyste.» Le Suisse encourage d’ailleurs les médias à s’appuyer sur des experts capables «d’expliquer aux journalistes comment fonctionnent les stats». Selon lui, les questions des kilomètres parcourus, d’intensité, ou de «comment est-ce qu’on analyse le rendement d’un joueur» devraient être abordées différemment. En somme la popularité de certaines données n’est pas proportionnelle à leur réel intérêt.

La question de la légitimité

Finalement les trois youtubeurs sont favorables au développement des datas. Après tout, «c’est un champ assez nouveau, estime Wiloo. On apprend progressivement à la manier au mieux.»

Selon eux, l’utilisation de la data est légitime. Mais que pensent ces vidéastes, de leur propre légitimité à monologuer sur le foot vis-à-vis des autres médias ? Tout d’abord, ils sont loin de se considérer comme des journalistes. Ensuite, Elias admet que le fait d’être pertinent aux yeux de journalistes ou de «gens du milieu» représente un défi. Le Suisse a confiance en sa manière de construire son contenu et en ses sources.

Wiloo lui, cherche à être cohérent aux yeux des professionnels du football, sans se comparer à eux. Pour le reste il «ne ressent pas de déficit de légitimité par rapport aux journalistes mainstream». L’homme à la casquette en veut pour preuve son succès. D’après lui, la légitimité se mesure davantage par rapport à la «richesse du foot». «La matière est tellement riche que tu es constamment confronté à ton ignorance», détaille le Lyonnais.

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Mickaël rejoint Wiloo sur ce point, mais le Nantais ne se pose pas vraiment la question de crédibilité. Il se marre même : «À côté de Wiloo, je suis un tocard.» Il «ne se considère pas plus légitime que n’importe qui» mais pense avoir des avis intéressants. D’autant que lui a du mal à distinguer un réel «travail journalistique» parmi «le gros de ce qui est visible en production foot de la part des médias».

L’appel des médias

En tout cas, les médias traditionnels jettent des coups d’œil appuyés sur les travaux de ces youtubeurs. Elias analyse : «Dans le monde du journalisme, il y a de plus en plus cette tendance à vouloir s’approprier ce genre de contenu avec des formats plus dynamiques, avec des influenceurs ou des créateurs de contenu qui se retrouvent dans les médias. Un pont est en train de se tisser entre ces deux mondes.»

«L’intérêt du monde du média pour YouTube, c’est pas nouveau, complète Mickaël. Énormément de sociétés de médias se sont mises à racheter de grosses chaînes.» D’après le Nantais, la tendance s’applique cependant plus au monde du divertissement. L’audience des youtubeurs foot n’étant pas encore assez élevée.

Wiloo a déjà commenté des matches pour FranceTV sport et intervient sur la chaîne belge LN24. Des canaux «particulièrement en quête de nouvelles écritures» selon lui. Désireux de proposer du contenu de qualité, les deux médias l’ont également sollicité pour l’audience qu’il génère. Cependant, l’influenceur ne veut pas «faire passer le message selon lequel les télés ont absolument besoin d’aller prendre des personnes comme moi». Il n’est pas dans «une posture d’opposition par rapport à leur monde» et voit YouTube comme une simple alternative aux autres médias.

Pour Elias Baillif, plutôt que d’investir totalement les médias, «les créateurs de contenu vont devenir une espèce de presse à eux-mêmes. Les gens paieront pour voir leur contenu.» «C’est une voie à montrer pour la presse dans le sens où si tu arrives à fidéliser une audience en faisant de la qualité, tu peux réussir à avoir un modèle viable, affine-t-il. Mais c’est difficile de faire ce premier pas car ça demande un investissement conséquent de temps, d’énergie, de ressources que la presse n’est pas forcément à même de consentir actuellement.»

La suite

Finalement Wiloo a «pris plaisir à sortir de sa zone de confort» mais YouTube reste sa priorité. De même, Mickaël n’abandonnera pas sa chaîne mais ne dit pas non à participer à une émission qu’il «écoute depuis 10 ans». Elias s’y «amuserait beaucoup» et ajoute que ce serait «une espèce de reconnaissance d’une façon de parler football».

Notons que certains ont presque fait le chemin inverse. Nos interviewés ont par exemple cité Romain Molina, Alex de Castro, Le Club des 5 ou encore quelques reporters espagnols. Pour la plupart déjà journalistes de profession ayant exporté leur voix sur YouTube.

Qu’espèrent les influenceurs pour la suite ? Wiloo rêve de pouvoir «être encore plus proche de la matière en elle-même» et observer les coulisses. Fan d’encre et papier, il se verrait bien écrire un livre. Sans pour autant troquer totalement sa casquette pour un stylo.

Mickaël de Talk My Football souhaiterait projeter sa passion en direct. Faire «du live pour discuter foot avec les abonnés». Elias n’a pas d’objectif futur clairement défini tant qu’il peut «collaborer avec des gens [qu’il] apprécie».

Pour finir, Mickaël va «être attentif à ce qu’il va se développer» sur YouTube. Et Elias table sur un développement prononcé du medium. «YouTube devient un moyen de plus en plus crédible et populaire pour parler de football. On se rend compte qu’il y a de la place pour parler de football sur cette plate-forme. Par rapport à ce qu’il se passe dans d’autres pays, dans le monde francophone on est encore un petit peu en retard.»

Un grand merci à Mickaël de TMF, Elias Baillif et Wiloo pour leur disponibilité.

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