La banlieue parisienne, terreau fertile du football français

Huit. C’est le nombre de footballeurs français, champions du monde en 2018, formés en Île-de-France. Et c’est une réalité acquise depuis plusieurs années désormais : la banlieue parisienne est une véritable mine d’or pour le monde du football et pour l’équipe de France.

«La banlieue influence Paname, Paname influence le monde», rappait Médine dans Grand Paris en 2017. Une véritable prophétie puisqu’un an plus tard, sur les vingt-trois joueurs français soulevant le Graal mondial, huit ont été formés en Île-de-France. Et sept d’entre eux sont passés par des clubs de la banlieue parisienne. En 2019, c’est 159 joueurs franciliens qui ont foulé les pelouses du top 5 européen. Soit 6 % des joueurs évoluant en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne ou en Espagne. Excusez du peu.

Un phénomène assez récent

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la banlieue parisienne n’a pas toujours été cette vaste usine de production des futurs talents de demain. Lors de l’Euro 1984, alors que l’équipe de France s’adjuge le premier trophée majeur de son histoire, seul Thierry Tusseau est issu d’un club de la banlieue parisienne. En effet, le milieu défensif a été formé au FC Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis, avant de rallier le FC Nantes. Lors de la Coupe du monde 1998, ce sont trois Français qui ont été formés dans la couronne parisienne. Lilian Thuram est passé par deux clubs de Fontainebleau puis par Melun, avant de rejoindre l’AS Monaco. Patrick Vieira a fait ses classes à Trappes puis à Dreux, et Thierry Henry a bourlingué entre Palaiseau, les Ulis, Viry-Châtillon et Versailles.

«Le football est à l’image de la société. Tu vois des blancs, des maghrébins, des noirs et tu te sens représenté. La banlieue s’est sentie représentée en 1998

Busta Flex, évoquant l’importance du sacre de 1998 pour les banlieues françaises (Source : Onze Mondial).

C’est cette date du 12 juillet 1998, où l’équipe de France a été propulsée sur le toit du monde, qui marque l’entrée dans une nouvelle dimension pour le foot des banlieues. Après l’été 98, ce sont près de 250 000 nouveaux licenciés qui veulent s’essayer aux joies du ballon rond, dont beaucoup sont des garçons entre six et dix ans. Le football fait rêver et nombreux sont ceux qui veulent être les Zidane et Henry de demain. Et ce sont ces enfants de la balle, biberonnés aux exploits de leurs idoles, qui prendront le pouvoir sous le maillot bleu quelques années plus tard.

Une représentation croissante depuis 2000

Dès lors, l’Île-de-France sera toujours très bien représentée lors des grandes compétitions européennes et mondiales. Dès le mondial 2006, ce ne sont pas moins de huit «banlieusards» qui emmènent les Bleus de Raymond Domenech en finale. Et ils sont dix à disputer l’Euro 2008, soit 45% de l’effectif de l’équipe de France. Malheureusement, cette nouvelle génération n’aura pas le même succès que ses aînés et sera éliminée dès les phases de groupe. Mais qu’importe, les faits sont là. Le made-in-banlieue parisienne est un modèle qui s’exporte bien et ces joueurs font le bonheur des grosses écuries européennes.

Face à la Roumanie en 2008, quatre Bleus sont issus de la formation francilienne : Lilian Thuram, William Gallas, Claude Makélélé et Nicolas Anelka (Crédit photo : FFF).

Lassana Diarra est titulaire au Real Madrid, Nicolas Anelka s’adjuge une Ligue des champions avec Chelsea en 2012 et Patrice Evra écrit sa légende sous les couleurs de Manchester United. Le premier est passé par le Paris FC, le deuxième a fait ses classes à Trappes avant de passer par l’INF et le PSG, quand le troisième a joué toute son enfance à Brétigny et aux Ulis. Mais une ombre vient pourtant ternir ce paysage ensoleillé. Et elle est de taille.

Knysna, la fracture avec le grand public

Après l’échec de l’Euro 2008, les Bleus ont à cœur de se racheter et de faire un beau parcours à l’occasion du Mondial 2010. Malheureusement, rien ne se passera comme prévu. La France aborde cette compétition dans un contexte fragile, marqué par les affaires de mœurs entre Karim Benzema, Franck Ribéry et Zahia Dehar, mais aussi par la main très controversée de Thierry Henry face à l’Irlande, qui offre la qualification des Français dans un climat hostile. Pour son premier match, la bande à Domenech fait jeu égal avec l’Uruguay (0-0), avant de sombrer face au Mexique. Les Bleus sont quasiment éliminés de la Coupe du monde au moment d’affronter l’Afrique du Sud.

«Par leur geste, les joueurs ont été capables de réveiller le racisme latent dans la société. Nous sommes dans le raccourci: « Les problèmes viennent du fait qu’il y a trop de noirs en équipe de France ». Quand vous arrivez à ce point à réveiller les mauvais côtés de la société, c’est que vous avez une responsabilité.»

Lilian Thuram s’exprimant à propos de Knysna (Source : Le JDD).

Tout s’enchaîne alors très vite. La une de L’Équipe relayant des propos insultants de Nicolas Anelka envers Raymond Domenech, l’exclusion du joueur de Chelsea, la grève du bus et le naufrage final face à l’Afrique du Sud. L’affaire prend un virage politique et la Ministre des Sports de l’époque, Roselyne Bachelot, dénonce une équipe où «des caïds immatures commandent des gamins apeurés».  La rupture entre l’équipe de France et son public est consommée et l’image des joueurs comme Nicolas Anelka ou Patrice Evra est abimée.

Pogba et Mbappé, les symboles décomplexés de la banlieue française

L’Histoire est faite de cycle et le chapitre de l’Afrique du Sud a fini par se refermer. Et beaucoup de choses changent dans la doxa. Si les joueurs ont toujours été fier d’être originaire de la couronne parisienne, c’est désormais un fait mise en avant par de nombreux médias. Quand Paul Pogba signe son retour à Manchester United à l’été 2016, devenant le transfert le plus cher de l’époque, on met en lumière l’ascension fulgurante de la Pioche.

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Il est celui qui a fait ses classes à Roissy-en-Brie, puis à Torcy, avant de s’imposer sur la scène européenne et en équipe de France. Au-delà de tout ça, Pogba incarne une attitude. Il est un personnage remarquable qui change de coiffure comme certains changent de chaussures et ses célébrations sont reprises dans le monde entier. Depuis son plus jeune âge, il a ce style, cette façon d’être, qu’il a gardé bien après la célébrité. Et c’est cette authenticité qui plaît.

Kylian Mbappé, entouré de jeunes habitants de Bondy, faisant la promotion de la collection « Bondy Dreams » (Crédit photo : Huffington Post)

D’autres footballeurs ont gardé, et cultivé, ce lien avec leur quartier d’origine. Kylian Mbappé est originaire de Bondy, situé en Seine-Saint-Denis. Depuis son retour à Paris en 2017, le jeune attaquant du PSG multiplie les apparitions là-bas. En 2019, avec la marque Nike, il va même jusqu’à lancer une gamme de vêtements à l’effigie de la ville, appelée Bondy Dreams. Pour la promotion de cette collection, Mbappé et la marque à la virgule voient les choses en grand et invitent près de 130 Bondynois au Stade de France pour leur offrir des vêtements de la collection. 93 inscrit en gros sur le tee-shirt, le vert de Bondy omniprésent : tout est bon pour rappeler les origines de KM7.

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Crédit photo : Icon Sport

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