Autre choc européen entre le Barça et un club parisien, autre discipline. Le FC Barcelone reçoit ce soir l’ACCS Futsal Club en 8e de finale de Ligue des champions, un match diffusé par la Chaîne L’Équipe à 21h05. L’occasion de faire le parallèle entre la situation des deux clubs tricolores, et de se pencher sur la rencontre entre là aussi, deux clubs déjà rivaux à bien des égards.
Vous l’aurez sans doute remarqué dans la 1re partie de notre dossier hier, sur beaucoup de points côté sportif, le projet ACCS n’est pas sans rappeler les débuts du PSG version QSI. Domination nationale rapide, gros recrutement, l’annonce d’un objectif Ligue des champions et la possibilité d’une plus grande visibilité pour le championnat de France en perspective.
On oserait une comparaison plus directe de cet ACCS avec le PSG en 2013, qui pour sa première C1 sous l’ère qatarie, avait passé les poules et les huitièmes avant de tomber sur l’ogre Barça au moment d’entrer dans la cour des très grands, en quarts. Une comparaison possible, mais à une différence majeure près pour le patron de l’ACCS FC Sami Sellami :
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«À l’époque, le projet du PSG en est encore à ses premières années. C’est la première grosse vague de stars, où on trouve aussi bien des joueurs qui ont déjà l’expérience comme Motta, Maxwell, plus Ibrahimovic… mais il y a aussi des talents sans expérience comme Pastore et Verratti, et les Français comme Jallet… ça reste une équipe en construction, déséquilibrée. Nous, nos internationaux français jouent déjà au club depuis 3 ou 4 ans, ont pris une expérience de 10 ans au contact de nos recrues qui jouaient déjà ensemble par le passé et ont l’expérience de la compétition, de la victoire. Notre équipe est déjà équilibrée et prête pour un rendez-vous à ce niveau.»
Il faut dire que pour en arriver à un 8e de finale si relevé, ACCS a dû mériter sa place dans un contexte loin d’être facile. Avec son statut de débutant, ce sont deux adversaires compliqués qui se sont présentés à Asnières lors des tours précédents. Pour le premier match européen de l’histoire du club, c’est l’Étoile Rouge de Belgrade, championne de Serbie, qui s’est cassée les dents face aux Français (7-3). Une rencontre loin d’être aussi facile que le laisse penser l’image européenne du club serbe en football, la Serbie étant précisément la nation du top 15 mondial que l’équipe de France a échoué à renverser deux fois pour se qualifier à la Coupe du monde 2020 (reportée et dont la tenue reste entre parenthèses pour l’instant).
Une rencontre où ACCS a finalement fait étalage de sa force de frappe, marquée par un triplé de Nelson Lutin, ailier de 23 ans arrivé en 2017 des Artistes de Villepinte alors qu’ACCS venait d’accéder à la D2. Sans cesse comparé à Kylian Mbappé pour, en vrac : leur ressemblance physique, leur jeunesse dans le 93 et leur jeu spectaculaire fait d’accélérations, de dribbles dévastateurs et de buts de plus en plus nombreux, celui que Ricardinho himself considère déjà comme «meilleur que Mbappé, un top joueur à la qualité incroyable» est appelé à être le visage du futsal français de demain, si tant est qu’il ne le soit pas déjà. Sa performance pour le premier rendez-vous européen d’ACCS n’en est que plus symbolique.
Comme attendu, le second tour aura été l’occasion de tirer un adversaire encore plus redoutable, avec le réception du club italien de Pesaro. La Serie A est au futsal au même titre qu’au football un très gros championnat à l’échelle de l’Europe. Déjà champion d’Italie en 2018-2019, le club de la région des Marches occupait, au moment de l’arrivée du Covid-19 début 2020, la première place avec une seule défaite en 23 rencontres, et avait repris sur la saison 2020-21 avec une dynamique presque aussi impressionnante.
Le défi est énorme face aux internationaux italiens et champions du monde argentins qui composent l’équipe, le tout un 16 janvier après un mois entier sans compétition pour ACCS en raison de reports de matchs dus au Covid. Et si les franciliens avaient brillé offensivement mais concédé 3 buts évitables face à l’Etoile Rouge, le scénario s’est cette fois inversé. Les Français concèdent peu mais se montrent brouillons dans le dernier geste. Menés 1-0, ils égalisent à la dernière minute et vont finalement voir leur sort décidé aux tirs aux buts après un nul 2-2. Au bout une interminable séance, direction les huitièmes contre le Barça. Une qualification en forme de soulagement, et un tirage que Sami Sellami veut positif malgré la difficulté :
«Se faire sortir par l’Étoile Rouge ou Pesaro aurait forcément interrogé sur le projet et sa fiabilité. Ce sont de très bonnes équipes, mais qui restent totalement méconnues du grand public. Maintenant on joue le Barça, et tout le monde sait ce que ça représente, même sans connaître le futsal […] En temps normal, avec les plateaux à 4 la difficulté aurait été la même voire plus haute. Une fois arrivés au Tour Elite, c’est très compliqué, il peut y avoir 2 ou 3 gros clubs sur 4 pour 2 places qualificatives. Par contre, l’exposition n’est pas la même, tout est dilué. Le Kremlin-Bicêtre avait joué le Barça il y a quelques années, personne n’en a parlé ! Alors que là, un match unique face au Barça, en plus à Barcelone, ça donne une image internationale, une exposition unique. Même pour nos joueurs les moins expérimentés, c’est une une façon de vivre l’évènement totalement différente, ça leur fixe un objectif. […] C’est le tirage parfait, tirer une grosse équipe comme Ugra ou même l’Inter Movistar, dont le nom n’évoque rien au grand public en France, ce n’était pas aussi intéressant.»
Un adversaire souhaité donc, mais qui n’enlève rien de la difficulté à le sortir, surtout dans ce contexte de Covid qui «impacte totalement le club», regrette Sami Sellami. «La D1 a ce statut de haut niveau qui lui permet de se poursuivre actuellement, mais on a toujours un statut amateur à la FFF. Aujourd’hui, on doit faire sans accès à la salle de gym, alors que pour notre sport, la condition physique est une grosse part du travail. Certains de nos joueurs ont un emploi et ne peuvent donc pas s’entraîner avant 18h et le couvre-feu, les internationaux de retour de sélection passent par des quarantaines… C’est compliqué.»
https://twitter.com/ACCSFutsal/status/1361268973858418690
Un tableau qui dénote complètement avec les grosses cylindrées comme le Barça, entièrement professionnalisées et propriétaires de leurs infrastructures et qui semblent loin de toutes ces contraintes issues du monde amateur. «Pour autant, je nous sais suffisamment armés pour gagner. Ce sera difficile, le Barça est favori, mais tout est possible sur ce match, on est capables de le gagner avec la manière», conclut le patron d’ACCS futsal.
Comme au tour précédent, l’équipe du 92 arrivera avec un calendrier très amaigri par le Covid en guise de préparation. La même semaine que son match contre Pesaro en janvier, ACCS s’est déplacé à Mouvaux-Lille, seule équipe à tenir la cadence infernale en tête du championnat malgré les 45 buts de différence en faveur des Parisiens. A la clé, une défaite 4-2, où l’équipe avait semblé vidée, sans influx, entre fatigue physique et mentale après son match complètement fou contre les Italiens 3 jours plus tôt.
Depuis, un seul match au compteur, il y a une semaine chez la modeste lanterne rouge rhodanienne Chavanoz (1-13). Dans le même temps, le Barça jouait son championnat habituel, jouant chaque semaine un match ou deux. Auteur d’un début de saison plutôt moyen, qui a vu des équipes surprise dépasser les cadors de la Liga, le champion d’Europe en titre a raflé la Coupe d’Espagne 2020 décalée à la fin d’année malgré plusieurs blessés. Durant la semaine écoulée, le Barça a concédé sa première défaite depuis novembre toutes compétitions confondues dans l’édition 2021 de la coupe mais aussi fait tomber deux des trois trouble-fête inattendus du haut de tableau de Liga, Palma de Majorque (2-1) et Carthagène (2-6).
Cerise sur le gâteau, plusieurs cadres internationaux sont revenus de blessure, comme Aicardo, le gardien Didac Plena mais surtout Ferrão. Le brésilien, pivot du Barça et de sa sélection vient d’être élu pour la 2e fois meilleur joueur du monde, en succession de Ricardinho. Sur le banc, Andreu Plaza est lui le meilleur entraîneur du monde, un titre auparavant détenu par Jesus Velasco, aujourd’hui à ACCS. Tout ce beau monde va se croiser à nouveau, et le retour en Catalogne des anciennes gloires madrilènes est très attendu. Carlos Ortiz, qui à son poste défensif a passé plusieurs saisons au marquage du redoutable brésilien, fait déjà monter la sauce.
Malgré la grandeur du Barça, le match est loin d’être acquis côté catalan. Pour Andreu Plaza, ACCS était simplement «le pire tirage possible». Il faut dire qu’au-delà des noms, ce sont deux écoles qui s’affrontent en terme de jeu, et qui se sont déjà opposées pendant des années pour la suprématie en Espagne.
Côté Barça, l’équipe évolue en 1-2-1, un losange. Un système basique, qui, bien que généralement plus lisible à haut niveau, a pour but de mettre les (nombreux) grands joueurs de l’effectif dans des situations préférentielles selon leur profil. Un fixe défensif, qui bien que mobile comme son nom ne l’indique pas, est l’homme de base de l’équipe en construction. Deux ailiers, percutants, mobiles, principaux vecteurs de jeu à l’aise en un contre un, et un pivot, capable d’ouvrir les espaces à ses coéquipiers pour les faire marquer comme de faire la différence seul dos au jeu.
Côté ACCS futsal, Jesus Velasco est reconnu pour avoir été le coach ayant tout gagné et ainsi démocratisé un système en 4-0. Un schéma auquel il est difficile de donner une forme précise, basé sur une mobilité totale mais très organisée de l’équipe, où l’on note l’absence de vrai pivot, fait pour casser le pressing et attaquer la profondeur.
On le schématisera ici par la position occupée par les joueurs en phase défensive dans la formule de Velasco qui avait été le kryptonite du Barça ces dernières années : Deux joueurs pressant très haut l’adversaire, un joueur pour couvrir les ballons dans leur dos ou en direction de l’aile opposée, et un dernier chargé de défendre en 1 contre 1 sur le pivot avec un profil de fixé défensif, Ortiz. La formule Velasco, une sorte de «futsal total», très exigeant physiquement, tactiquement et techniquement, mais d’une efficacité absolue une fois maîtrisé.
La connaissance de l’adversaire et le talent de l’équipe d’ACCS ne faisant pas de doute, les principales interrogations porteront sur la profondeur de banc face à celle, pléthorique, du Barça. Sachant que chaque joueur reste autour de 5 minutes sur le parquet avant de devoir souffler, avoir un effectif large est capital. Les Blaugrana comptent a minima une référence mondiale par poste, malgré l’absence notable de leur capitaine Sergio Lozano, victime d’une rupture des ligaments croisés il y a un mois. Rien de moins que le 2e meilleur joueur du monde derrière son coéquipier Ferrão la saison passée.
Du côté d’ACCS, au-delà de l’absence de référence à ce niveau pour certains éléments, il faudra tenir compte de l’absence de Bruno Coelho, suspendu après son expulsion contre Pesaro. Deuxième option de luxe au poste de Carlos Ortiz, il laisse Jesus Velasco avec un sacré dilemme sur les bras pour contenir Ferrão quand l’Espagnol devra souffler. Le rôle reviendra vraisemblablement à un invité de dernière minute : «Edu» Mello Borges. International pour l’Azerbaïdjan originaire du Brésil déjà passé à ACCS entre 2018 et 2020, il termine la saison en prêt au club après l’arrêt du championnat belge où il évolue désormais. Le choix le plus simple mais aussi osé, celui-ci n’ayant eu que la rencontre contre Chavanoz pour se familiariser avec le jeu pratiqué cette saison après plusieurs mois d’inactivité.
Autre point préoccupant : la préparation impactée par le contexte Covid. Entre autres pour un Ricardinho qui serait bien inspiré de se relancer ce soir à l’occasion de ses retrouvailles avec ses anciens rivaux. Le Portugais est en effet un peu à la peine sur le plan comptable depuis son arrivée en Île-de-France.
Épisodes de quarantaine répétés et passage d’un monde où l’on s’entraîne 2 fois par jour dans un club qui ne vit que pour le futsal à un monde semi-professionnel où une seule séance par jour a lieu, ne font pas bon ménage avec le style basé sur la vivacité du joueur de 34 ans. Le N°10 d’ACCS peine donc un peu plus à se rapprocher du but adverse où à faire la différence par le dribble avec la facilité qu’on lui connaît habituellement. A défaut, il se contente d’un rôle de véritable numéro 10, capable de tenir le ballon et orienter le jeu de son équipe même sous un gros pressing.
Ce soir, peu importera l’opposition entre le PSG et le Barça, entre la bande à Mbappé et Neymar et celle de Messi et Griezmann. Nelson et Ricardinho affrontent Ferrão et Dyego. ACCS affronte le Barça pour la meilleure des oppositions franco-catalanes avec pour enjeu bien plus qu’un 8e de finale de Ligue des champions. Et c’est en clair, sur la chaîne L’Équipe, à 21h.
Un grand merci à Sami Sellami pour le temps et la confiance accordés.
Crédit Photo : Bertrand GUIGOU