Alors que la Finlande rencontre la Belgique ce lundi soir à 21h, un joueur de l’entrejeu finlandais attire tous les regards des amateurs de football : Glen Kamara. Milieu défensif résilient de 25 ans, essentiel aux bonnes performances des hommes de Markku Kanerva, il est un joueur qui force le respect, sur et en dehors du terrain. Portrait.
Glen Kamara est né à Tampere en Finlande, de parents sierra-léonais ayant fuit la guerre civile. Il est de ces nombreux joueurs de cet Euro à avoir suivi un plan de carrière «peu académique». Ayant fait ses débuts balle au pied sur les terrains gelés finlandais, à OT-77 et au club d’Espoo, il quitte très jeune le grand Nord pour l’Angleterre. À 12 ans, il laisse derrière lui le quartier calme de Soukka, en banlieue d’Espoo (290.000 habitants) non loin d’Helsinki, pour rejoindre Londres avec sa mère. Il continue donc sa formation au Southend United, club de troisième division à l’époque, en 2010 à l’âge de 15 ans.
Formé à l’anglaise
Kamara s’acclimate vite et se fait repérer par Arsenal, alors qu’il évolue en U18. Dès 2012, il réalise donc l’un de ces rêves : jouer pour les Gunners, là où son idole Thierry Henry a brillé. Parce que si on le connaît aujourd’hui comme un très bon milieu central, Glen Kamara jouait alors davantage au poste d’attaquant, d’où son amour pour Titi. Arrivé chez les jeunes londoniens, on le replace rapidement en milieu de terrain et il passe par toutes les étapes, jusqu’à se faire une place dans l’effectif U21. C’est là que les galères commencent…
En 2014, alors qu’il évolue encore au sein de l’Academy d’Arsenal, il a le droit à 90 minutes sur le banc des remplaçants de l’équipe première, face à Galatasaray, en Ligue des champions. En octobre 2015, la veille de son vingtième anniversaire, il fait sa seule et unique apparition sous la tunique rouge, contre Sheffield Wednesday, en 4e tour de League Cup. Un match perdu 3-0, où il part comme titulaire mais sort à l’heure de jeu. Après cela, on ne le reverra pratiquement plus jouer pour Arsenal. Le club londonien l’envoie en prêt au Southend United jusqu’à la fin de la saison, puis le prête à nouveau à Colchester United. Il n’y jouera que six matches et à son retour en club, Arsenal le met sur le marché des transferts.
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Jugé trop frêle, il devra aller faire ses armes ailleurs, pourtant si proche d’un rêve londonien. Glen rebondit à Dundee, dans le championnat écossais. À 22 ans, sa carrière prend un nouveau tournant. Bien que son club connaisse de nombreuses difficultés (sportives et économiques), lui rayonne dans l’entrejeu et sa première saison écossaise est un succès resplendissant : 46 matches joués toutes compétitions confondues, deux passes décisives. La saison suivante, il peine à confirmer, alors que son club fonce dangereusement vers la zone de relégation. 18 petits matches, mais trois passes décisives. Des stats plus à son avantage, qui ne vont pas passées inaperçues à l’heure où Dundee sombre. Glen Kamara reçoit l’appel d’un mastodonte du football écossais et d’un certain Steven Gerrard…
Une explosion sous Steven Gerrard
Le milieu central complet que l’on connaît aujourd’hui, élément clé de la sélection finlandaise qui vit le premier Euro de son histoire, doit beaucoup à un homme : Steven Gerrard. Réputé pour son excellent jeu de passes, sa bonne lecture du jeu mais aussi sa grosse capacité à défendre, c’est sous les ordres de la légende des Reds qu’il a appris.
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Arrivé aux Rangers de Glasgow en provenance de Dundee en janvier 2019 pour une bouchée de pain, il a fortement contribué au titre de champion conquit par le club écossais cette saison. Son prix est d’ailleurs un running gag pour les supporters locaux, qui le surnomment «50 Grand» (50.000 livres). Amenant d’autres registres à son jeu, il se mue en buteur à deux reprises cette saison, dont une fois face au Benfica en Ligue Europa. Plus habile dans les petits espaces, remportant davantage de duels et faisant parler son expérience pour rester calme en toute circonstance, Glen Kamara prend de l’ampleur avec les Rangers et devient un «joueur clé» de la sélection finlandaise, selon les dires du sélectionneur Markku Kanerva.
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Steven Gerrard ne se prive pas non plus pour encenser le travail et la progression du joueur, qui pourrait bien s’en aller cet été malgré la qualification en Ligue des champions des Rangers : «Glen s’est très bien intégré. C’est un garçon bien élevé qui veut apprendre et qui veut travailler. Il faut encore parfois se pincer pour comprendre comment on l’a eu et où il en était, avec tout le respect que je lui dois. Il était en dehors du 11 de Dundee, il ne jouait pas et il était à la fin de son contrat. Il est très rare de recruter quelqu’un de sa qualité dans ces conditions.»
Puisqu’ils évoluent au même poste, Steven Gerrard peut d’autant plus aider son petit protégé, toujours à l’écoute. «Il nous a tous aidés collectivement et il m’a aussi vraiment aidé individuellement, explique Glen Kamara en conférence de presse. Il me fait travailler sur certains aspects spécifiques à l’entraînement et veut que je m’exprime davantage, que j’influence le jeu et que j’ai plus confiance en moi.» Aujourd’hui titulaire indiscutable des Rangers et l’un des meilleurs joueurs de sa sélection aux côtés de Pukki et Hradecky, il reste toujours d’une immense sérénité sur le terrain, déjoue la pression, oriente le jeu avec un excellent sens du timing qui lui laisse faire quelques incursions dans la surface adverse.
Icône de l’anti-racisme malgré lui
Si sa carrière mouvementée lui a tout de même permis d’inscrire son nom dans le football européen, il y a un épisode dont Glen Kamara se serait bien passé. Lors du huitième de finale retour de Ligue Europa contre le Slavia Prague, il se fait insulter par Ondrej Kudela. « Il s’est approché de moi et m’a dit : « Tu es un singe, tu es un putain de singe et tu sais que tu l’es »», témoigne-t-il sur la chaîne anglaise ITV. Kudela sera suspendu dix matches pour «comportement raciste» et privé de l’Euro. Mais Glen Kamara est aussi sanctionné. Pourtant réputé très calme, il est suspendu trois matches par l’UEFA pour avoir agressé son adversaire dans le tunnel après le coup de sifflet final. Aujourd’hui, avec le recul, il explique qu’il aurait sans doute quitter le terrain.
«Je me suis senti humilié», dit-il au micro d’ITV. Et il explique que depuis les paroles immondes Kudela, il reçoit «des insultes racistes quotidiennes sur internet». Désabusé, il semble impuissant face à ces vagues d’insultes auxquelles il fait face : «C’est très difficile car certaines personnes ne connaîtront jamais le racisme dans leur vie. Ils ne sauront jamais ce que ça fait. Malheureusement, de nombreuses personnes en ont fait et en feront l’expérience.»
Un cercle vicieux qu’il semble subir depuis tout petit, lui l’enfant noir ayant grandi dans la banlieue blanche d’Espoo. Un racisme «inconscient» mais «quotidien», rapporte-t-il dans un podcast pour le journal finlandais Ilta-Sanomie Pallokerho. Victime d’un fléau dont on ne devrait plus parler en 2021, il raconte les scènes de son enfance : «Quand une personne me voit sur le trottoir et traverse de l’autre côté de la rue ou quand je vais au magasin et que tout à coup un agent de sécurité me surveille tout le temps… ça vient de quelque part dans la façon dont on est élevé. Ce que vous voyez et entendez. Il est difficile d’oublier ce que l’on a appris. C’est un cycle qui doit être brisé.»
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D’ordinaire très discret, il décide de prendre la parole pour évoquer ces tabous de la société nordique et espère pouvoir faire avancer les choses. «Personne n’espère être victime d’un tel traitement, mais je suis fier d’avoir pu sensibiliser les gens au racisme dans le sport, salue-t-il. Je ne suis pas une personne très publique et je ne fais pas d’histoires sur moi, mais dans l’ensemble, je suis satisfait de ce qui en est ressorti.» «Je sens que j’ai besoin de raconter mon histoire – les messages en ligne que j’ai reçus, les abus raciaux en ligne, ajoute-t-il. J’ai l’impression qu’en tant que victime, il faut que ce soit dit.» Pour autant, du haut de ses 25 ans, il reste pessimiste, malgré certaines prises de conscience : «C’est un sujet difficile, car si je pouvais changer quelque chose, je le ferais. Mais je crains que de notre vivant, nous ne voyions pas de grands changements.»
Un pessimisme qui trouve écho quelques jours plus tard lors de la présentation de la liste de la Finlande pour son premier Euro. Alors que tous les noms des joueurs retenus pour vivre ce moment historique sont annoncés par des personnalités publiques connues, celui de Glen Kamara sera lu par un policier. Un choix que Glen Kamara lui-même aura du mal à comprendre. La fédération finlandaise se rattrapant rapidement pour préciser la signification : «Cela veut dire que la police aime Glen Kamara !» Mouais.
De son côté, Glen Kamara continue de se battre sur et en-dehors du terrain. S’il ne pourra surement pas gagner seul le combat contre le racisme, il peut déjà mener son équipe en huitièmes de finale de l’Euro pour la première fois de son histoire. À condition de battre les Diables rouges ce lundi soir à 21h.
Crédit photo : Icon Sport