Alors que le Red Star FC, l’emblématique club de Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis est à la peine en Ligue 2, il semble assez viable du point de vue de la popularité auprès des marques plus ou moins « hype » qui recherchent toutes des partenariats avec le club. Cela cache en réalité une situation en demi-teinte : une forme de gentrification du point de vue du supporterisme puisqu’il y a une volonté délibérée de certains de remplacer le public initialement populaire du Red Star par des populations plus aisées à des fins économiques. En plus des motivations économiques, cela s’inscrit dans une forme de « boboïsation » de l’est parisien qui dépasse le seul cadre du foot et qu’il donc impossible de décrypter dans son intégralité ici.
Le Red Star : le cœur rouge, la tête dans le réel et pas dans les étoiles
Un (voire plus) article serait nécessaire pour évoquer ce qu’est l’identité Red Star au travers de l’histoire de ce club mais aussi de ses racines et des joueurs, l’objectif est donc ici d’être synthétique pour bien comprendre ce qui initialement a construit et fait ce qu’est le Red Star aujourd’hui. Pour en savoir un peu plus, rendez-vous ici.
Le Red Star c’est un peu le bébé choyé par toute la Seine-Saint-Denis, toute la « banlieue rouge », ce symbole qu’aucun Dyonisien ne souhaite oublier car il est l’un des rares témoignages encore vivant de ce qui a forgé le 9-3 : la classe ouvrière. Ancré en plein territoire industriel, le RSFC a été un lieu de luttes. Durant tout le XXème siècle pour réclamer des conditions de travail plus décentes pour les travailleurs, dans les années 1930 pour lutter contre le fascisme ou sous l’Occupation quand Rino Della Negra, immigré italien, était joueur du club et résistant en même temps. Il a par ailleurs été assassiné au Mont-Valérien le même jour que Missak Manouchian, de l’emblématique groupe Manouchian. Récemment, les ultras se sont mobilisés pour protester contre la réforme de la SNCF (banderole « Bauer avec les cheminots ci-dessous).
Crédits : Facebook de "Rail Paris Nord"
Pour montrer à quel point cette équipe était vecteur de cohésion à l’époque, de nombreux témoignages de supporters affirment par exemple que le samedi après-midi, dès que les ouvriers des usines avaient une pause, ceux-ci se pressaient aux fenêtres de leur usine pour assister au match qui était en cours au Stade Bauer.
Bauer, un symbole meurtri
Bauer était en effet localisé autour d’usines, d’où l’accessibilité visuelle pour les salariés des usines. Aujourd’hui, ces usines ont été troquées par des HLM, suivant finalement les évolutions socio-urbaines du XXème siècle dans la banlieue est-parisienne. Ce stade, du nom d’un médecin communiste résistant fusillé par les Nazis en 1942, est donc chargé d’histoire. Bauer est le témoin muet des transformations du siècle où tout est allé très vite, où tout est allé trop vite.
Ce n’est pourtant pas au stade Bauer que le Red Star joue à domicile mais à Beauvais, en territoire picard, à 80 kilomètres de Saint-Ouen. Bauer n’étant pas considéré comme aux normes voulues par la Ligue de Football professionnel (LFP), les supporters, même s’ils sont peu à le faire, font le déplacement deux fois par mois pleins d’entrain. Mais le mal est là : le RS n’a pas la possibilité de jouer dans son stade historique et donc de recevoir l’appui maximum de tous ses fans. À défaut de normer l’enceinte du club, la volonté de la direction est de reconstruire un nouveau stade novateur en la matière puisqu’il contiendrait une galerie commerciale en son sein. En plus d’être un lieu de rencontre et de communion pour les supporters, le stade sera donc un véritable centre commercial. C’est une étape majeure dans le foot-business car les gens ne se déplaceront plus seulement pour aller voir un match de football, mais aussi – et sans doute, surtout – pour aller faire du shopping. Il y a ici une volonté absolument évidente d’attirer de nouvelles populations vers le stade. Évidemment, cela n’a rien de négatif au premier abord mais si l’on compare avec l’autre club qui a fait cela, le Neuchâtel Xamax FCS en Suisse, le prix des billets a augmenté causant de facto une « gentrification des tribunes » avec les populations les plus pauvre qui n’ont plus la même accessibilité au stade.
Il y a un collectif qui est actif et tente de lutter contre la possibilité que cela se produise tout en essayant de faire en sorte que le Red Star revienne à Bauer : c’est le groupe Red Star Bauer. Menant une lutte sur deux fronts, ces amoureux de leur club ont réussi à obtenir une place à la table des négociations dans le cadre du projet de futur stade. Impossible de savoir à quel point le groupe a pesé dans le prise de décisions mais difficile de croire qu’autour de la Mairie de Paris (dans le cadre du projet du Grand Paris et des Jeux olympiques 2024) et de grosses entreprises, leur voix ait vraiment pu peser.
Des partenariats qui font perdre l’essence du club
Depuis l’été 2017, le Red Star a un sponsor maillot. Cela peut paraître anodin dit comme cela mais c’est en réalité plutôt rare dans l’histoire du club qui, fidèle à ses valeurs privilégiant la passion par opposition à la surmonétisation du sport, en a finalement peu eu. Ce sponsor c’est Vice Media, le média anti-conformiste qui traite de sujets pour le moins atypiques par excellence. Alors que certains vantaient ce partenariat comme logique car Vice développe une forme de « street culture » qui serait la continuité de la culture populaire. Bon, c’est une analyse anthropologique qu’il convient de ne pas discuter ici car tel n’est pas le lieu mais un autre groupe de gens est perplexe quant à cette interprétation. Ce qui dérange ce type de personnes c’est justement qu’à force de donner un côté « underground » au Red Star, sa véritable identité se perd peu à peu au profit d’une toute autre population largement éloignée des supporters emblématiques du RSFC : les millenials coupés des réalités sociales qui ne consomment des produits Red Star que parce qu’ils sont beaux esthétiquement. Vice et Adidas, équipementier du club, agissent par exemple conjointement pour produire des maillots dans les tendances actuelles très appréciés par les jeunes, plus seulement banlieusards, qui consommaient Red Star par conviction, mais aussi d’autres horizons qui consomment Red Star parce que « ça a du flow ».
Ainsi le club, Adidas et Vice agissent ensemble lors des campagnes de communication du club qui ont plus vocation à développer une image de marque éloignée des valeurs du club qu’à développer ces valeurs. Par exemple, pour célébrer les 120 ans du Red Star en avril 2017, un maillot spécial a été mis en vente et la campagne promotionnelle s’ancrait dans une optique toujours très « underground » presque grotesque avec une idylle créée autour de la banlieue, qui permettrait le développement des valeurs (dévoyées, rappelons-le) du club. Allez demander à un vendeur des puces de Clignancourt qui se lève le matin à cinq heures pour aller travailler et qui rentre chez lui à vingt heures ce qu’il pense de ces pseudo-valeurs idylliques des quartiers populaires prônées par ces campagnes…
Jeudi, nouveau partenariat qui paraissait invraisemblable il y a deux ans : avec Uber. Il consistera en la mise en place d’activités, principalement pour les chauffeurs franciliens, avec le Red Star pour la promotion du sport et de la culture foot. En théorie, l’idée est bonne : aider des travailleurs, souvent précaires, à s’intégrer socialement par le sport ne peut-être qu’une bonne idée, en phase avec ce qu’est le Red Star. Mais là où la contradiction est majeure c’est, d’une part, le fait que les entreprises type Uber favorise la précarisation du salariat de par les mécanismes du statut d’auto-entrepreneur (que Le Monde Diplomatique explique parfaitement ici). Cette association n’est finalement qu’une manifestation du virage qu’est en train de prendre le Red Star, celui du foot-business et de l’argent dominant tout, jusqu’à ce qu’il fédère et créé de la cohésion sociale.
Crédit photo : Geoffrey Van Der Hasselt / AFP