Enfin. Après des semaines d’absence, le football est de retour ! En Allemagne, les joueurs rechaussent les crampons ce samedi aprem. À huis clos, certes, mais qu’importe ! C’est même mieux. Seule la vérité du terrain parlera. Non je rigole … c’est de la merde.
« La vérité du terrain. » Rien d’autre. Pas de bruit, pas de gens, pas de gêne. Voilà l’axe argumentatif de ceux se réjouissant presque d’un football à huis clos pour les prochains mois. Honnêtement, cela peut s’entendre. « La vérité du terrain » primera sur tout, puisque rien d’autre n’existera. L’acoustique de l’enceinte n’expliquera pas une défaite. Le sandwich poulet-mayo que ton joueur préféré aura pris sur la tronche en allant tirer un corner n’excusera pas son carton rouge. Enfin, impossible de parler d’« arbitrage maison » après une décision litigieuse de l’homme en noir. Plus de polémiques, que du ballon. Adieu les lamentations futiles, gloire au jeu. Ça en fera du monde au chômage…
Toutefois, « la vérité du terrain » ce n’est finalement que … 22 types courant derrière un ballon. Compliqué, ainsi, de sortir l’argument-bouclier : « Non, ce n’est pas que cela, regarde la passion et les émotions procurées. » Cela ne fonctionnera pas. Ou alors à moitié. Évidemment, tu crieras lorsque ton équipe ouvrira le score. Mais ta voisine t’engueulera. L’adversaire égalisera, tu frapperas alors dans ton canapé, celui-ci acheté à l’enseigne qui prête –contre une trentaine de millions d’euros tout de même- son nom à ton championnat favori.
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Tes poils se hérisseront, à la 89e minute, quand ton attaquant fétiche se présentera, seul face au gardien. Tu vibreras. Derrière un écran, branchée sur une chaîne de télévision -et ce n’est pas la seule- te faisant raquer une somme dérisoire pour ne rien rater des aventures de ton club. But. Le stade est vide. Pas un drapeau, pas un fumigène. Pas un bruit. Si, pardon, le beuglement du consultant. Tu parles d’émotions…
La vérité, rien que la vérité
« La vérité du terrain. » Très bien. Mais allons-y à fond alors. La vérité, toute la vérité. Il n’y a que cela à penser, de toute façon. La vérité, rien que la vérité. Sur la pelouse, le mec le moins bien payé touche, par mois, l’équivalent de trente smic. La vérité, rien que la vérité.
Là ! Le joueur qui déborde ! L’été dernier, après son transfert, son agent a touché une commission à… au moins… six chiffres. Sais-tu d’ailleurs que 5% du montant de chaque transaction file directement dans les poches du directeur sportif de son ancien club ? La belle affaire, ouais ! C’est pour cela que sur les 11 joueurs de cette équipe, la moitié sera vendue cet été. Quoi ? Projet sportif ? Haha. La vérité, rien que la vérité.
Le mec en face de lui, tu le vois ? Le numéro 2 ! Les supporters l’adorent… Cet été, il partira. C’est bête. Le club n’a pas le choix. Ils sont obligés de le céder afin de combler leur déficit structurel et satisfaire leurs actionnaires. La vérité, rien que la vérité.
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Ah ! Voilà ton idole qui part à l’échauffement. Tu l’adores hein… Oui, j’ai vu, il a annoncé qu’il resterait au club l’an prochain. Pardon ? L’amour du maillot ? Ta naïveté te rend mignon… C’est un coup de comm’. Ce qu’il souhaite, c’est simplement négocier un nouveau contrat. La vérité, rien que la vérité.
Les fumigènes et les chants ? Des œillères
Concernant l’équipe locale ? Ils sont entre les mains d’un fond de pension étranger. Depuis leur arrivée, pêlemêle, ils ont foutu les plus fervents supporters dehors et ont avoué vouloir changer le nom, le logo et les couleurs du club afin d’y développer une image de marque plus bénéfique. En gros, ils sont là pour s’enrichir. Preuve en est, il se chuchote qu’ils pourraient prochainement privilégier le dépôt de bilan, en raison de la crise, afin de récupérer leur investissement initial. La vérité, rien que la vérité.
Les visiteurs ? Eux sont tenus par les banques. Chaque été, ils sont contraints de vendre leurs meilleurs joueurs afin de rembourser leurs créanciers. Ouais, cela ne sert à rien de t’acheter le maillot de leur attaquant vedette, fiston. La vérité, rien que la vérité.
Enfin bref… vivement demain. Le choc de cette journée. Tout le monde l’attend ! La vitrine d’un pays où les travailleurs migrants meurent sur les chantiers face à la –potentielle- future vitrine d’un pays qui démembre, au sein d’une ambassade, l’un de ses journalistes. Quel régal ! La vérité, rien que la vérité.
« La vérité du terrain. » Pas sûr que cela me plaise. « La vérité du terrain », c’est celle d’un football rongé par le fric, la marchandisation et le pouvoir. C’est cela, aujourd’hui, « la vérité du terrain ». Les supporters et leurs expressions passionnées : les embrassades, les déplacements, les fumigènes, les chants sont des œillères. Une sorte de médicament qui endort et tempère ce virus du foot business et nous convint, peut-être candidement, qu’il est encore question d’émotions et de sentiments dans le football. Sans eux, la vérité, rien que la vérité, je crois que la « vérité du terrain », aujourd’hui… c’est de la merde.