Le football se résume parfois à des rencontres, des opportunités. Pour Han Kwang Song, difficile d’espérer grand-chose, lui qui vient de l’impénétrable Corée du Nord. Et pourtant, le petit prodige a joué à la Juventus. Jusqu’à ce que l’ONU s’en mêle.
Pour le commun des mortels, le football en Corée du Nord se résume à un but d’un certain Ji Yun Nam, à la 89e minute d’une défaite 2-1 contre le Brésil lors de la Coupe du monde 2010. Ce mondial sud-africain avait été marquée à l’époque par les rumeurs du sort cruel réservé aux joueurs et au sélectionneur, après leur élimination en phase de poules et la défaite 7-0 face au Portugal de Cristiano Ronaldo. Aujourd’hui, les Chollimas (surnom de l’équipe nationale qui provient d’un cheval ailé de la mythologie coréenne) bataillent pour participer à ce qui serait la troisième Coupe du monde de leur histoire, après 1966 et 2010.
Il y a 10 ans, le Portugal claquait un 7-0 à la Corée du Nord…pic.twitter.com/zsPLn3HCDZ
— Feuille de Match (@Feuille2Match_) June 21, 2020
Sur leur dernière feuille de match lors des éliminatoires, le 19 novembre 2019 face au Liban (0-0), on trouve trois joueurs évoluant en dehors du pays le plus secret de la planète. Ri Yong Jik au FC Ryukyu (Japon), Pak Kwang Ryong au SKN Sankt Pölten (Autriche) et Han Kwang Song, attaquant de 21 ans, qui joue déjà chez le pays hôte du prochain Mondial, à Al-Duhail au Qatar. Han est sans doute le plus grand espoir de l’histoire du football nord-coréen. Mais il doit jongler avec les sanctions de l’Organisation des Nations unies vis-à-vis de sa terre natale, et sa carrière prometteuse va sans doute en faire les frais.
Contrairement à ce que l’on croit, la Corée du Nord entretient des liens, certes très restreints, avec des pays européens. Surtout la Suisse, où le dirigeant de l’État communiste Kim Jong Un y a effectué ses années collège. C’est notamment lors de ce passage en Occident que le dictateur s’est pris de passion pour le basket-ball -on le sait aujourd’hui très ami avec Dennis Rodman- et pour le football, LE sport populaire sur le Vieux Continent. La fièvre du football qui touche l’intégralité de la planète avait déjà gagné du terrain en Corée du Nord, mais a passé la vitesse supérieure avec l’arrivée au pouvoir en 2011 du successeur de Kim Jong Il.
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Pyongyang, la capitale du pays, dispose du plus grand stade du monde avec 150.000 places où se tiennent défilés militaires mais aussi matches de football. À côté de cette enceinte a été inaugurée en 2013 l’École internationale du foot de Pyongyang, où les 135 meilleurs enfants âgés de 9 à 14 ans y étudient et s’y entraînent. Certains sont envoyés régulièrement en stage en Italie et en Espagne.
« Le principe de tous les pays communistes est de mettre les sportifs et les scientifiques au centre des préoccupations du régime, raconte Juliette Morillot, écrivaine et spécialiste de la Corée du Nord. On l’a vu pendant les Jeux Olympiques d’hiver 2018. Le football est extrêmement populaire en Corée du Nord. Les professeurs dans les écoles primaires repèrent ceux qui sont doués autant en physique et en maths, en musique et en danse, que ceux en sport. Les enfants doués vont dès 6 ans dans des internats et ont des entraînements de haut niveau. Pour Kim Jong Un, avoir des sportifs dans des grands clubs, ça compte. En Corée du Nord, il y a une chaîne spéciale de sport, les matches de football sont diffusés et les Coréens connaissent les grands joueurs de football occidentaux. »
Premier Nord-Coréen à jouer et à marquer en Serie A
Han Kwang Song a donc rallié l’académie Marcet de Barcelone en 2013, où il a pu progresser une année, avant de revenir dans l’équipe de Chobyong basée à Pyongyang. Après un championnat d’Asie U16 remporté avec le brassard de capitaine, c’est le sénateur italien Antonio Razzi qui donne un tournant à la carrière du jeune Han. En 2014, ce passionné de la dynastie des Kim a repéré, avec une délégation de scouts, plusieurs joueurs lors d’un voyage en République populaire démocratique de Corée.
Alessandro Dominci, président de l’Académie ISM (Italian Soccer Management) de Pérouse, était du voyage et en a accueilli quelques-uns. En mars 2017, Han signe son premier contrat professionnel avec Cagliari. Un mois plus tard, il enchaîne premier match face à Palerme et premier but face au Torino, une première pour un Nord-Coréen, qui plus est à 18 ans et en bourreau d’un certain Joe Hart. Les seuls mots que l’on peut trouver de la pépite sur internet sont une interview faite par le club, où on peut noter que le jeune joueur s’exprime avec un italien parfait et explique vivre comme n’importe quel jeune de son âge.
« Quand on est envoyé à l’étranger, il ne faut pas croire qu’on est un esclave, détaille Juliette Morillot. Il y a d’immenses listes d’attente pour partir et, qu’on soit ouvrier au Qatar ou bûcheron en Sibérie, c’est aussi difficile d’y travailler mais ce n’est pas le goulag. C’est vrai que l’essentiel du salaire est donné au régime nord-coréen. Cela s’appelle le quotient de loyauté. Mais dans le même temps, toute la famille de l’expatrié est entretenue par le régime. L’argent gagné à l’étranger, avec le taux de change, ce sont des grosses sommes. Quand Han va revenir, il aura forcément accumulé de l’argent qui lui permettra de monter une société ou une école de football. Être travailleur nord-coréen expatrié, c’est être un privilégié. Han ne doit pas être seul. Il doit avoir une sorte d’agent qui vit avec lui, qui n’est pas forcément un garde-chiourme mais qui est un peu son mentor idéologique, qui contrôle son salaire et ses sorties. Mais Han doit quand même avoir une bonne marge de liberté, il a le droit de profiter de la vie occidentale. »
Fan de Ronaldo et Dybala, Han a failli jouer avec eux
Han Kwang Song est ensuite venu s’imposer à Pérouse, là où son expérience italienne a commencé, avec deux prêts consécutifs dans le club de la ville qui évolue en Série B. C’est à ce moment-là, le 2 septembre 2019, qu’il part en prêt avec option d’achat à la Juventus. Un transfert qui fait couler beaucoup d’encre. Un Nord-Coréen dans l’un des plus grands clubs de la planète, cela fait jaser. Seulement, Han n’évoluera qu’avec la réserve de la Vieille Dame, avec les U23 en Serie C, où il jouera 20 matches pour 1 but et 2 passes décisives.
Le Nord-Coréen est toujours altruiste sur le rectangle vert, et préférera la passe à un coéquipier bien placé plutôt qu’un tir forcé. D’où des statistiques peu flamboyantes. Sans parler du contexte dans lequel il évolue, que ce soit à Turin ou ailleurs : seul, loin de sa famille et sans aucun compatriote auprès de lui mis à part son « agent ». Après quelques mois à la Juve, et alors que son nom circule à Arsenal et Liverpool, Han Kwang Song part au Qatar en janvier 2020, dans le club d’Al-Duhail, rejoignant deux anciens Turinois, Mario Mandzukic et Mehdi Benatia.
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Le choix n’était pas le sien ni celui du régime de Kim Jong Un qui suit de près sa carrière, mais les conséquences des agissements de ce dernier. À la suite d’un énième test de tir de missile balistique intercontinental le 29 novembre 2017, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2397, qui met en place de nouvelles sanctions des pays membres de l’ONU à l’encontre de la RPD de Corée. Dans celles-ci, on trouve l’obligation de rapatriement des travailleurs nord-coréens expatriés, dans un délai de deux ans. Han n’a donc pu profiter du football européen bien longtemps, tout comme ses compatriotes Choe Song Hyok et Pak Kwang Ryong, obligés respectivement de quitter Arezzo (Italie) et Sankt Pölten (Autriche).
«Il n’avait que 18 ans, mais j’ai vu tout de suite qu’il avait quelque chose»
« C’est un super joueur, confie Jörn Andersen, ancien coach de la Corée du Nord entre 2016 et 2018 et le premier à avoir sélectionné Han Kwang Song en équipe nationale. Quand j’étais sélectionneur, il n’avait que 18 ans mais j’ai vu tout de suite qu’il avait quelque chose. Venir faire ses preuves en Italie si jeune et loin de son pays n’est pas facile et il l’a fait. Il est rapide, bon techniquement. Avec les sanctions sur son pays, il ne peut pas jouer en Europe mais le championnat qatari se développe et dispose de top joueurs. Il peut devenir un super joueur en Asie. Je suis en contact régulier avec Pak Kwang Ryong qui joue en Autriche, il a eu le droit d’aller jusqu’à la fin de son contrat mais va devoir quitter l’Europe cet été. »
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Très peu de Nord-Coréens avaient accès à ce privilège de jouer à l’international. « Le régime est prudent sur les joueurs qu’il envoie à l’étranger, ajoute Juliette Morillot. Il faut que le joueur soit brillant et rapporte de l’honneur au pays, mais il faut aussi qu’il soit bien sous tous rapport idéologiquement et d’un point de vue social. Cela fait donc beaucoup de critères. » La résolution 2397 de l’ONU met donc fin à l’expansion du football nord-coréen, qui manquait de joueurs expatriés pour que son équipe nationale progresse.
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Cela étant, les débuts d’Han Kwang Song en Qatar Stars League sont prometteurs. La saison a été interrompue courant mars après l’avoir vu inscrire 3 buts en 5 matches. Plutôt utilisé dans un système à deux attaquants au côté de Mario Mandzukic, ou en faux numéro 9 lors de ses premiers matches, Han a joué ailier droit dans un 4-2-3-1 pour les trois matches post-Covid. Il reste deux matchs à Al-Duhail pour remporter son septième titre de champion du Qatar, et rester à une place de leader qui ne tient qu’à un petit point devant Al-Rayyan. Ensuite, le désormais ancien Turinois retrouvera la sélection nord-coréenne, et entretiendra l’espoir qu’une qualification à la Coupe du monde 2022. Que ce soit au Moyen-Orient ou avec son pays, Han Kwang Song met un coup de projecteur partout où il passe.
Par Alexandre Delfau (@alexandred98)
Crédit photo : Ipp / Icon Sport