Pareille question peut porter à sourire dans un premier temps, tant différentes façons de jouer au football existent : un football de possession, un football de contre, un football défensif, le fameux kick and rush anglais,… À chaque vision du football ses prophètes : aux Pep Guardiola s’opposent les José Mourinho, aux Antonio Conte les Jurgen Klopp…
Pourtant, en dépit de la multitude de visions possibles du football, un mode de pensée manichéen s’installe dans les esprits : il existerait une bonne façon de concevoir ce sport et une mauvaise. Certains nieraient l’essence même du foot « en parquant le bus » tandis que d’autres en seraient de purs artistes.
Mais cette perspective-là n’effectue pas le tri entre les différentes visions offensive ou défensive du football. On apprécie le football total de Jupp Heynckes et on savoure le jeu de possession haute de son successeur Pep Guardiola tout comme on vilipende le bétonnage d’un José Mourinho ou plus globalement du “coach français“ avec, comme têtes de gondole, les Elie Baup et autres René Girard.
Ainsi, le schisme entre ces deux visions se reproduit au sein même des médias : aux Daniel Riolo et Didier Roustan s’opposent les Pierre Menès et Pascal Praud. Didier Roustan loue Riquelme, esthète sur gazon, tandis que Pierre Menès relève son échec au FC Barcelone et son palmarès européen inexistant. Les premiers accusent les seconds de corporatisme et ces derniers rétorquent par une accusation de populisme.
Tel argumentaire relève de la basse cour politicienne. Pourtant, il se prolonge jusque dans les débats entre lambdas, même avertis. Le football serait-il ainsi politique par essence ? À nouveau, il faut être prudent. Si la politique consiste à faire des choix, à trancher entre deux solutions, deux points de vue, tout est possiblement politique. Pour ce qui est du football, il convient de ne pas se tromper dans l’analyse du sujet.
En effet, ce n’est pas le football offensif qui est opposé au football défensif. Personne, jamais, ne confessera avoir pris un plus grand plaisir devant un 0-0 des familles que devant un 5-4 si la qualité technique des deux matchs a été identique. Le problème se situe ailleurs.
En réalité, le football n’est jamais scindé que par deux types de visions : celle du procédé opposée à celle du résultat. Un exemple concret se trouve du côté de l’Olympique de Marseille : doit-on préférer la période extraordinaire par le jeu du perdant magnifique Marcelo Bielsa ou la reconquête du prestige passé obtenue par le combat et le physique du champion de France Didier Deschamps ?
Parfois, la vision romantique du football arrive à conjuguer manière et résultat. Le FC Barcelone de Pep Guardiola, l’Ajax d’Amsterdam et le Milan AC d’hier en sont le porte-étendard. D’autres arguent le fait que ces équipes-là ne sont jamais entrées dans l’histoire que parce qu’elles ont, justement, obtenu des résultats.
Jean-Marc Furlan restera-t-il dans l’histoire du football ? Quid aussi de Christian Gourcuff ? Si l’on peut en douter, on peut aussi douter du fait qu’un tel objectif soit la raison d’une vision si romancée du football chez eux. L’interview récente de Christian Gourcuff à propos d’une possible suppression du hors jeu comme proposé par Van Basten en est le parfait exemple. Refus catégorique de ce Salvador Allende du football, jusqu’auboutiste dans ses idées et qui ne concevra jamais le football autrement que comme une affaire de principes, de convictions. On ne sacrifie pas l’amour du jeu sur l’autel de l’argent, le président Féry en subit la piqûre de rappel par cette saison lorientaise.
Pour certains, ce n’est jamais que par le jeu que l’on obtient des résultats. Jouer le nul serait le meilleur moyen de perdre, vouloir éviter de concéder un but serait le meilleur moyen d’en encaisser ! À ce propos, Bossuet affirmait en son temps “Dieu se rit bien de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes“. Telle phrase doit trotter dans l’esprit de ceux qui ont eu peur, qui ont refusé de prendre des risques et qui ont récolté le revers de la manche.
Et pourtant. Pourtant, José Mourinho est l’un des plus beaux palmarès de ces vingt dernières années. Pourtant, le Real Madrid brouillon de Zinedine Zidane est en tête de la Liga et dernier vainqueur en date de la Ligue des Champions. Pourtant, Didier Deschamps a rendu au peuple marseillais toute sa fierté après plus de 17 ans sans titre. Pourtant, le Portugal a remporté le dernier Euro.
Mais alors, qui a raison ? Les poètes maudits du football ? Les vainqueurs à la gloire éternelle ? Est-ce vraiment une affaire de choix ? On ne discute pas des goûts et des couleurs.
Face à la question du choix à faire entre le palmarès et les principes, entre le nom gravé sur le trophée et l’honneur de la romance, il convient de noter que le football refuse de choisir. Les hommes aussi, refusent de choisir entre mourir avec panache ou vivre timidement. Personne ne dispose de l’apanage de la vérité. Personne n’a l’exclusivité de la raison.
Avant hier Mourinho triomphait, hier Pep Guardiola, aujourd’hui Zinedine Zidane. Définitivement, le football n’est pas une affaire de raison pure : c’est une affaire de sentiments fous où, chaque jour, David a une nouvelle chance de terrasser Goliath. Le football n’est pas une science exacte, quantifiable, qualifiable, figée dans le temps et dont on peut répondre par oui ou par non. La magie du football vit en chacun de nous pour une simple raison, c’est qu’elle finit toujours par échapper à toute forme de raison. Le Paris Saint Germain en a désormais la certitude.
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