Superligue européenne : et maintenant, que fait-on du football ?

Alors que le monde du football s’attendait à accueillir une réforme de la Ligue des champions ce lundi, c’est une autre petite bombe qui est officiellement tombée il y a quelques heures. Douze clubs européens viennent d’annoncer la création de la fameuse «European Super League» (Superligue européenne), dans les tuyaux depuis déjà pas mal d’années. Une ligue semi-fermée qui ne cache ni sa cupidité ni son avidité. Et qui risque fort de bousculer les contours du football tel qu’on le connaissait. 

Elle revenait régulièrement dans les débats telle une chimère, elle est désormais bien réelle. La Super Ligue vient d’être proclamée par ses douze clubs fondateurs : le Real, le Barça, l’Atlético, la Juve, les deux Milan, les deux Manchester, Liverpool, Chelsea, Tottenham et Arsenal. Un conglomérat de puissants, où certains tiennent leur place sur un aspect historique ou marketing plus que sur de véritables performances sportives récentes. Un conglomérat de puissants qui défie les yeux dans les yeux l’UEFA mais aussi une partie des ligues nationales du «Big Five» qui ont déjà prévu de sévir à leur égard. Un conglomérat de puissants qui a accéléré son projet (ou s’en sert comme excuse) depuis la crise du COVID et ses pertes induites. Un conglomérat de puissants qui déracine les «valeurs» et les fondements de son sport, si tant est que ces derniers étaient encore véritablement vivants.

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Car qu’on se le dise, l’argent domine le football depuis maintenant plusieurs années. L’argument des «belles histoires» brandi par les anti-Superligue, ne tient debout que jusqu’à un certain point. Les exemples Ajax, Bergame … sont de belles parenthèses, de celles qu’on raconte à nos enfants pour leur prouver que tout est possible, que David peut battre Goliath. Mais elles restent d’une rareté mesurable, aussi cynique soit le constat. Les chocs entre grosses cylindrées sont de plus en plus monnaie courante, dans une Ligue des champions où les phases de poules servent grossièrement de warm-up à tous les clubs qu’on s’attend à retrouver dans la compétition en février.

L’argent ne domine pas le football depuis hier

A ce niveau, les perdants (pour le moment) sont les gros clubs des ligues mineures. Ceux qui dominent régulièrement et outrageusement leur championnat domestique hors Big Five. On pense alors instinctivement à Porto, Benfica, l’Ajax ou encore le Shakthar. Même si l’histoire ne dit pas encore qu’ils ne seront pas les fameux «invités» à la table des rois. A noter également la position politique des pensionnaires contactés de Ligue 1 et Bundesliga, qui ont l’intelligence (et la fourberie) d’attendre une clarification des positions de chacun avant de choisir leur camp.

Non vraiment, ce que nous apprend ce projet de Superligue, ce n’est pas que l’argent domine le football. Il n’y a qu’à voir à l’échelle nationale, le traitement disparate des clubs devant la DNCG selon si l’on est une grosse cylindrée ou un vaillant club de Ligue 2/National pour s’en rendre compte sans sortir de l’Hexagone. Ce que nous apprend ce projet de Superligue, c’est que 12 clubs européens se sentent désormais assez puissants pour diligenter un coup d’état en prenant le risque de se couper de leurs institutions nationales ET d’une part de leurs supporters. Avec une question latente : ces mêmes supporters vont-ils penser à leur sport et son histoire, ou tout oublier par clubisme et amour aveuglé ?

En l’instant, difficile de répondre. Chacun réagit à chaud, et l’humain, naturellement hermétique au changement, est toujours apte à s’adapter lorsqu’on lui laisse du temps, qu’il en ai ou non le choix. Mais pour creuser cette question et ses éventuelles réponses, il faut sans doute remonter aux fondements de l’amour liant un supporter et son club. Est-ce une attache territoriale, familiale, de longue date ? Est-ce un attachement induit par l’histoire de ce club, les valeurs, le palmarès qu’il représente ? En ces termes, il semble difficile à première vue, de ne pas être a minima choqué de la tournure prise par cette douzaine de clubs, reniant pour beaucoup une compétition qui les a cimenté dans l’histoire de ce sport. Mais une partie des magnats à la tête de la conspiration n’ont sans doute que faire de ce que représente la C1 à l’échelle du football.

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Ce que cherchent ces magnats, c’est la rentabilité. Dans leur communiqué commun, la donne est claire. L’objectif est de «générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football». Le communiqué poursuit : «En contrepartie de leur engagement, les clubs fondateurs recevront un versement en une fois de l’ordre de 3,5 milliards d’euros destinés uniquement à des investissements en infrastructures et à compenser l’impact de la crise du Covid-19.» Des auto-proclamés bienfaiteurs du football qui ont pour certains plombés sportivement leur club et se sont déjà attirés le désamour d’une partie de leurs fans. Et c’est bien sur ce point que toute la perspective de la Superligue se base : la capacité du client (en l’occurrence le supporter) à continuer d’être le chainon essentiel d’un rouage qui le dégoute. Par amour et obsession pour sa passion.

Face à la Superligue, le supporter a encore le choix

Car oui, même si cette conclusion semble peut être hâtive ou simpliste, le supporter a encore le choix, et peut peut-être changer l’histoire. Pas à court terme, personne ne demande jamais l’avis du petit peuple au moment d’acter une réforme. Mais au moment de sa mise en place, lorsqu’il s’agira concrètement de faire de cette nouveauté une réussite ou un flop. A l’heure où le monde du football reste une économie puissante mais vouée à évoluer, où la bulle financière qui l’entoure n’a de cesse d’être spéculative en tous points, le supporter aura, à un moment donné, un choix à faire. Et celui-ci sera capital.

Si l’on en croit le dernier communiqué des principaux groupes de supporters européens, la pilule risque d’être difficile à avaler. Ces derniers se sont récemment insurgés contre la réforme de la Ligue des champions, autre affreuseté dont il n’est pas ici le temps d’évoquer mais qu’il s’agira sans doute de vomir à un autre moment. Au cœur du problème, des déplacements toujours plus nombreux et grossièrement un train de vie de supporters toujours plus grandissant quand bien même leur train de vie d’homme n’évoluant pas.

Dans cette maison en feu, quid des footballeurs, des principaux acteurs concernés ? Étonnamment muets depuis une grosse année et ce malgré une espérance de vie en bonne santé clairement en déclin, seul Ander Herrera a à ce moment commenté la bombe. Et comme pour le post-COVID, c’est bien dommage. A l’heure d’un football très NBA-isé, la comparaison en termes de prises de position tant sur les sujets sociétaux que sur leurs propres conditions de travail est peu à l’avantage des footeux.

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Cocue de l’histoire, l’UEFA est quant à elle mise devant les monstres qu’elle a elle-même créé. Bien qu’encornée par nos douze salopards, ce qui tendrait presque à la rendre pleurable, la bande de Ceferin est à l’origine des premiers dominos tombés. Si elle souhaitait être à la finalité, avec sa LDC nouvelle formule, elle n’a eu de cesse d’obéir aux désidératas des plus gros. Et se retrouve prise à son propre piège, avec dans ses cartons sa réforme de LDC valant Superligue européenne light, qui devait être annoncée en grande pompe aujourd’hui même. L’ordre du jour de la réunion prévue en Suisse a depuis dû être revu.

On ne sait à cette heure finalement que peu de choses sur cette Superligue. Grâce à quel argent va t-elle pouvoir se monter ? A partir de quand démarrerait-elle ? Avec quel casting complet ? Et quelles répercussions sur les compétitions existantes, européennes comme nationales (voir internationales en cas de sanctions lourdes) ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle a le mérite d’interroger les amoureux de ce sport et les supporters concernés quant à leur consommation. Si l’avidité et la cupidité (et le peu d’amour véritable pour le sport au sens noble) de certains dirigeants n’étaient pas à prouver, ces grands manitous auront eu le mérite de mettre tout le monde devant une question d’une extrême importance : et maintenant, que fait-on du football ?

Crédits photos : Icon Sport

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