Besiktas : L’étoffe d’un futur grand ?

Très méconnu dans le paysage du football, Besiktas Jimnastik Kulubu est l’incarnation parfaite du « grand parmi les petits ». Pas assez costaud pour jouer dans la cour des grands clubs et trop performant pour lutter face aux petits, le club stambouliote rêve de passer un cap. Aujourd’hui, les aigles noirs peuvent espérer gagner l’Europa League et faire comme Galatasaray en 2000. Et comme les coéquipiers d’Hakan Sukur de l’époque, cette équipe a tout pour réaliser un parcours fantastique.

Une traversée du désert productive

Le Besiktas Istanbul n’est pas et ne sera peut-être jamais le plus grand culb de Turquie. Malgré tout, il est celui qui déchaîne le plus les passions grâce à ses supporters délirants. Véritable atout, les amoureux du BJK ont un vrai impact dans la vie du club au point d’influencer l’arrivée de grandes stars. Lorsque Guti Hernandez cherche un point de chute après 15 ans au Real Madrid, Besiktas se montre intéressé. Face à la rude concurrence du Zenit et du rival Galatasaray, les noir et blanc ont peu d’arguments à faire valoir pour convaincre la star espagnole. Mais l’ancien merengue va choisir l’équipe coachée par Bernd Schuster. Les raisons du choix de l’expert du Taconazo sont simples : « Le football est un spectacle et c’est l’une des raisons qui m’ont poussé à venir en Turquie, pour vivre une nouvelle expérience au côté du magnifique public de Besiktas. Quand le président et le vice-président m’ont témoigné leur intérêt et les sacrifices qu’ils étaient prêts à faire pour moi, cela m’a touché ».

Car avant d’être un club de football, Besiktas est une grande famille qui accueille à bras ouverts n’importe quel joueur quels que soient son statut et son passé. Que ce soit Guti, Quaresma, Demba Ba, Gokhan Gunul, Caner Erkin ou Mario Gomez, tous ont été accueillis magnifiquement par le club.

Aujourd’hui, les aigles noirs (Kara Kartal) sont considérés à juste titre comme le club le plus structuré du pays. Si les deux autres rivaux possèdent une plus grosse manne financière, l’équipe préférée de Pascal Nouma grandi saison après saison.

Tout a commencé lors de l’exercice 2009-2010 et un titre de champion qui échappait au club depuis 2003. Les arrivées de Guti, Quaresma et le retour de Nihat durant le mercato estival confirme la donne : le Besiktas veut rentrer dans une nouvelle ère. Si les Brésiliens ont toujours fait partie de l’ADN du club, une autre colonie va venir s’implanter du coté de l’Inonu. Après Quaresma, ce sont les Portugais Hugo Almeida, Simao Sabrosa et Manuel Fernandes qui vont rallier BJK. La réussite de l’ancien ailier de l’Inter Milan est une aubaine qui voit ouvrir des opportunités en matière de transfert. Mais malgré un investissement important, le club ne va rien remporter hormis une maigre coupe de Turquie.

L’arrivée d’un nouveau stade permet au club d’avoir plus de revenus et de rentrer dans une nouvelle ère. La construction est évaluée à 90 millions d’euros. L’opérateur Vodafone s’engage avec le club à verser 145 millions sur 10 ans ; en contre partie le stade se nommera « Vodafone Arena ». Le club signe des partenariats avec Coca-Cola, Turkish Airlines et Beko dans le futur. L’officialisation du projet de la Vodafone Arena en 2012 va être vu comme une vraie bouffée d’air frais.

En proie à des gros problèmes de trésorerie dus au fair-play financier et à une gestion catastrophique des directions, le club doit se séparer de ses stars. Avec les départs de Simao et Quaresma, Besiktas va vivre une période de flottement durant laquelle, trois entraîneurs vont se succéder entre 2011 et 2013 avant le renouveau.

Fraîchement intronisé au club, Slaven Bilic a pour objectif de limiter la casse avant l’arrivée du nouveau stade. Avec un effectif affaibli, le Croate va lutter pour la seconde place avec Galatasaray pour finalement terminer troisième derrière l’intouchable Fenerbahce.

La saison suivante sera celle du renouveau et des premiers exploits. José Ernesto Sosa et Demba Ba vont apporter qualité et expérience dans un groupe qui veut renverser des montagnes. Alors que Besiktas doit quitter l’Inonu, aucun club ne veut prêter son stade en attendant l’arrivée de la Vodafone Arena. Le club paye ses rivalités avec la majorité des clubs stambouliotes. C’est finalement Basaksehir qui va accueillir les coéquipiers de Gokhan Tore durant l’exercice 2014-2015. Cette saison va rester dans les mémoires malgré l’absence de titre. Alors que Besiktas va terminer à une regrettable 3ème place en championnat après avoir craqué lors du sprint final, le parcours en coupe d’Europe va rendre la saison plus joviale.

Les  aigles noirs affrontent Feyenoord pour le 3ème tour préliminaire de la Ligue des champions et vont éliminer les Néerlandais facilement. Puis les coéquipiers de Demba Ba affrontent Arsenal et vont se faire éliminer 1-0 sur les deux confrontations. Mais ce match a permis aux supporters de voir que leur équipe pouvait embêter n’importe qui et elle va le confirmer en Europa League. Victoire face à Tottenham en phase de poule, élimination de Liverpool en seizièmes de finale, BJK fait parler en Europe. En manque de références en phase finale, les matchs face à Arsenal et Liverpool donnent un certain crédit aux Stambouliotes.

Malgré les coups d’éclats en Europe, l’absence de titre va forcer Slaven Bilic à quitter son poste. Abattu par les scénarios lors des deux saisons, le Croate préfère laisser la main « Cela fait deux saisons que nous ne pouvons remporter le Championnat. Il y a des explications pour cette situation mais je suis le seul responsable ». Comme avec Carlos Carvalhal, Bilic va rentrer et rester dans le cœur des aigles noirs pour son honnêteté et sa franchise. Son départ va permettre au club de passer un vrai palier en signant l’une des plus grande personnalité du football turc, Senol Gunes.

Avec Gunes, c’est no limit !

Si Slaven Bilic a une place considérable dans le cœur des supporters de Besiktas, Senol Gunes est considéré comme une légende partout où il va. L’ancien coach de Trabzonspor était le sélectionneur de la Turquie en 2002 lors de la Coupe du monde au Japon et Corée du Sud. Considéré comme un des plus grands entraîneurs de l’histoire du football turc avec Fatih Terim, il a permis au club de passer un cap et de remporter enfin le championnat. Comme avec la Turquie en 2002, Gunes s’est appuyé sur un noyau dur qui se côtoie depuis quelques saisons. Olcay Sahan, Atiba Hutchinson, Oguzhan Ozyakup, Cenk Tosun, Gokhan Tore sont considérés comme les leaders d’équipe. Au club depuis 2013 pour la plupart, ils l’ont vu se transformer. Rapidement rejointe par Tolgay Arslan, la colonne vertébrale fait réagir, étant constituée en majorité de turc binationaux.

Alors que les deux rivaux ont tendance à s’appuyer sur des étrangers, Besiktas décide de faire confiance à une génération de joueurs d’origine turque expatriés dans les 4 coins de l’Europe. Comme en 2002, Senol Gunes veut se baser sur une génération qui se connaît parfaitement. Les joueurs turcs de base possèdent un super potentiel mais n’ont pas la reconnaissance qu’ils méritent. Souvent considérés comme nonchalants, ils ont perdu la confiance des grands clubs. Roberto Mancini expliquait parfaitement cela  » Les joueurs turcs, ils se content trop vite de ce qu’ils savent déjà faire. Ils ont de la qualité. Les Turcs sont forts, mais ne croient pas qu’ils pourraient être encore plus forts. C’est une question de mentalité » disait t-il dans So Foot junior. De Emre Belozoglu à Nuri Sahin en passant par Gokhan Tore, ils ont tous donné raison à l’ancien entaîneur de l’Inter Milan. Et ça, le coach de Besiktas le sait et veut bien faire passer un cap à ses joueurs.

Dans son 4-2-3-1 fétiche, Gunes va faire de Ozyakup et Hutchinson les deux poumons de l’équipe et faire briller ses deux stars José Ernesto Sosa et Mario Gomez. Si l’Allemand attire l’attention par son statut de star, l’Argentin devient le maître à jouer de son équipe. Artisan principal du titre, le duo va quitter le club lors du mercato d’été pour rejoindre Wolfsburg et l’AC Milan. Des départs qui auront fait plus de bien qu’autre chose au club. Les supporters se sont rendus compte que derrière ce duo magnifique se cachait un collectif ultra solide et rodé. Le parallèle avec la Turquie à la coupe du Monde est tout trouvé. Derrière le duo Hakan Sukur – Hasan Sas, il existait une ribambelle de très bons joueurs qui prenaient un malin plaisir à jouer ensemble.

Exit Mario Gomez, José Sosa, Gokhan Tore et Denys Boyko. Quaresma est redevenu la coqueluche des supporters. Gokhan Gonul et Caner Erkin ont trahi Fenerbahce pour rejoindre les aigles noir. Adriano a cédé à la tentation stambouliote. Aboubakar, Talisca, Inler et Fabri viennent s’ajouter à l’effectif. L’ailier de la Seleçao est devenu le danger numéro 1 de Besiktas, ses différences font profiter Vincent Aboubakar ou Cenk Tosun qui se partagent le front de l’attaque. Le pragmatisme et le cynisme de ce Besiktas contraste avec l’enthousiasme et le jeu offensif de la Turquie de 2002. Forte présence dans la surface, centres en pagaille, vraie menace sur coups de pied arrêtés, buts de raccroc, les coéquipiers d’Anderson Talisca ont toute la panoplie de l’équipe chiante à jouer. Rajoutez-y un public qui peut vous aider à renverser des situations mal embarquées comme face au Benfica (0-3 à la mi-temps, 3-3 à la fin du match), vous avez une équipe qui peut titiller n’importe qui.

Les aigles noirs ont choqué la planète foot par leur retournement de situation durant la phase de poule. La victoire au San Paolo a été la première sensation, victoire 3-2 grâce à un grand Vincent Aboubakar auteur d’un doublé. La remontada face au Benfica a été la seconde. Mais cette équipe a aussi montré des absences incompréhensibles. Comme face au FC Bruges il y a quelques années de cela en Europa League, le Besiktas peut passer complètement d’un événement censé être à a sa portée. La défaite à Kiev 6-0 alors qu’un nul aurait suffi à qualifier les Stambouliotes montre que ce groupe a encore du chemin à faire. Lorsqu’il y a de la d’adversité ou une forte pression, les joueurs ont tendance à se sublimer mais l’inverse est aussi le cas. Les matchs face à l’Hapoel Beer Sheva et l’Olympiakos ont néanmoins montré que ce groupe avait énormément de ressources et apprenait de ses erreurs.

Alors que BJK file vers un second titre de champion consécutif, le match face à l’OL est historique. En cas de qualification, ça serait la première fois que le club dépasse le stade des quarts de finale de coupe d’Europe. Il ferait alors aussi que le rival Fenerbahce qui avait affronté Benfica en 2012 en demi-finale d’Europa League. Mais pour ça, il faudra sortir Lyon et faire sans Quaresma et Aboubakar. Senol Gunes pourra compter sur Ryan Babel -la dernière fois que le Néerlandais était venu à Lyon, c’était pour martyriser la lucarne de Hugo Lloris. Le mot de la fin revient au coach du BJK concernant l’absence de ses deux stars « Tout les joueurs sont importants quels que soient leurs âges et expérience. J’exige d’eux qu’ils prennent leurs responsabilités ».

Crédits photos : Mustafa Ciftci / Anadolu Agency

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»