AC Milan : l’impasse de la banalité

Résultats sportifs maussades, secousses institutionnelles horripilantes, joies, pleurs, rêves, spleen. Voilà à quoi ressemble la dernière demie-décennie de l’AC Milan et de ses supporters. Une Supercoupe d’Italie, une seule participation à la Ligue des Champions, une autre en Ligue Europa cette année, six entraineurs et un changement de propriétaire en 5 ans pour le mythique club lombard. Un espoir en août, une chimère en décembre, une désillusion en mai. Cette chronologie-là, les supporters milanais s’y étaient habitués depuis cinq ans. Mais cette saison, l’espoir estival s’est transformé en objectif concret du fait des affaires réalisées lors du mercato par les nouveaux propriétaires. Et pourtant, la chimère de décembre est toujours là et du coup, la pilule passe moyennement cette année. Malgré un mercato tonitruant, une communication propice aux fantasmes et un début de saison prometteur, les rossoneri sont aujourd’hui au point mort. Huitième, à onze points d’une place qualitative en Ligue Europa et à seize points du podium, le board milanais a pris la décision de licencier Vincenzo Montella la semaine dernière. Une première secousse, un premier obstacle pour le nouveau Milan, qui s’accompagne de nombreuses zones d’ombres pour le futur du club lombard.

Tombé de haut…

Le 13 avril dernier, ce n’est pas une page de l’histoire milanaise qui s’est fermée, c’est une bibliothèque entière. Silvio Berlusconi « triste, ému mais conscient que le football moderne exige des investissements et des ressources qu’une famille ne peut assumer seule » cède son Milan AC à un groupe d’investisseurs chinois. Le rachat officialisé, les promesses peuvent commencer. Les nouveaux dirigeants s’engagent à dépenser 350 millions d’euros pour les trois prochaines années, parlent d’Europe, de Ligue des Champions, d’un Milan « tout en haut ». Ces mots doux caressent l’esprit, le cœur et la nostalgie des tifosi milanais qui ont cette même année redécouvert le bonheur de gagner un titre et d’accrocher une qualification européenne.

Ces promesses vont se concrétiser en actes, en actes forts, et cela dès le mois de juin. Trois semaines, quatre joueurs, cent millions d’euros, le tout alors que juillet n’a pas pointé le bout de son nez. On a connu pire comme début de projet. Le Milan AC réalise un départ canon sur le mercato estival 2017, en signant entre le 22 mai et le 12 juin : Mateo Mussachio, Franck Kessie, Ricardo Rodriguez et André Silva. L’un des défenseurs centraux les plus affirmés de Liga, l’une des révélations de la dernière saison en Série A, l’un des meilleurs arrières-gauche du monde et l’un des plus gros potentiels mondiaux, à qui vont se greffer quelques semaines plus tard Hakan Calhanoglu et Andrea Conti, avant que ce mercato bascule quelques jours plus tard dans le phénoménal. En seulement 36 heures, la rumeur qui emmenait Leonardo Bonucci à l’AC Milan se transforme en transaction officielle. En délogeant un titulaire indiscutable du dernier finaliste de la Ligue des champions et du quintuple champion d’Italie, l’AC Milan frappe un grand coup sur la planète football. Un coup de massue pour solidifier ce projet et affirmer que le grand Milan semble être de retour.

Après une pré-saison estivale parfaitement réussie, les premières rencontres officielles confirment cette sensation de force qui s’était dégagé lors des matchs amicaux. Six matchs, six victoires, quinze buts marqués, un but encaissé, six points en Serie A et une qualification pour les phases de poules d’Europa League permettent aux Lombards d’aborder la première trêve internationale de la saison en toute sérénité. Avant que tout cela ne s’effondre rapidement et violemment.

Au retour de la trêve, les hommes de Vincenzo Montella se déplacent au Stadio Olimpico de Rome pour y affronter la Lazio de Simone Inzaghi. Un premier match test, une première confrontation face à un gros pour les rouge et noir qui accouchera d’une énorme gifle et d’une multitude d’incertitudes. Les Milanais s’inclinent 4-1, amorphes, passifs, vides. Une équipe fébrile, paradoxalement inexpérimentée, sans fondements tactiques, sans fond de jeu, aux cadres -Bonucci en tête- totalement transparents et à l’entraîneur débordé, changeant trois fois de système dans le même match. Un match qui aurait pu et dû servir de signal d’alarme puisque réunissant tous les maux à améliorer pour les Milanais. En vain. Les semaines et les matchs qui suivront vont à chaque fois faire réapparaitre les divers problèmes condensés dans ce match post- trêve internationale.

Les matchs se suivent et le constat est amer et récurrent. Des prestations individuelles qui posent question, avec en meilleur exemple Leonardo Bonucci, qui au fil des matchs ne laisse place qu’à l’ombre du grand joueur qu’il était, s’incorporant aux problèmes des prestations collectives. Sans fond de jeu, sans réel projet, sans spectacle, sans magie, le Milan endort. Les Lombards pointent à la 9ème position au classement des meilleures attaques et, plus inquiétant encore, encaissent en moyenne 1.5 buts par matchs. Problématique quand on arrive peu à marquer. De cette tristesse offensive et de ce contenu vide, Vincenzo Montella est quelque part responsable. L’ex coach lombard n’a jamais su s’adapter à son nouvel effectif ou n’a jamais su adapter son effectif à ce qu’il demandait. Pour preuve simple, les bouleversements récurrents dans ces onze de départs, aussi bien tactique que techniques. En plus de peiner à inculquer ses idées de jeu à son onze, l’ex coach milanais n’a jamais réussi à trouver la formule magique, l’équipe type.

En 23 matchs officiels, l’ancien technicien de la Roma n’a jamais sorti deux fois la même composition. 23 matchs, 23 compositions différentes. L’exemple qui illustre au mieux cela est celui de Fabio Borini. L’ancien romain a occupé le poste d’offensif droit dans l’initial 4-3-3 du technicien italien pour ensuite se voir confier toute l’aile gauche dans les compositions à trois défenseurs. Montella n’a titularisé que seulement cinq joueurs plus de dix fois en Série A et a, au contraire, abusé des changements de formations. En 23 matchs, l’AC Milan est passé du 4-3-3 fétiche de Montella, au 3-5-2 adapté pour Bonucci, à un 3-4-2-1 tout aussi flou. Une incohérence dans les choix personnels et une perplexité tactique qui se sont matérialisées sur le terrain en fébrilité, en faiblesse, en doute.

Les Milanais comptent six défaites, toutes contre les six premiers du championnat. Naples, Inter, Juventus, Rome, Lazio, Sampdoria, tous ont battu le Milan de Vincenzo Montella. Pire encore, ses hommes n’ont, lors d’aucun de ces matchs (hormis le derby), émis la moindre opposition. Six matchs où le manque de caractère et d’âme de cette équipe est criant. Un défaut, que la vieille connaissance lombarde qui a pris place sur le banc milanais saura inévitablement réparer. Il suffit de d’écouter la première conférence de presse de Gennaro Gattuso, le nouvel entraineur milanais, pour comprendre sur quels aspects le néo coach va insister.

« Nous devons prouver que nous sommes prêts à souffrir, que nous sommes une équipe unie […]. Il va falloir nous comporter comme sur un champ de bataille. »

… afin de mieux se relever ?

Gennaro Gattuso n’était peut-être pas le beau football, mais il était le vrai football. Celui de la hargne, de l’envie, de l’impact, des valeurs, des cojones, des larmes et surtout de l’amour de son métier et de son maillot. Et dans ce Milan AC là, pour les nombreux nouveaux jeunes joueurs ne se rendant peut-être pas compte du poids du maillot qu’ils portent, sans expérience, fébriles et perdus actuellement, Gattuso fait figure d’Homme providentiel. Cependant, les titres ne se glanent pas qu’au courage et à l’amour, et là est la zone d’ombre entourant l’arrivée de l’ancien aboyeur milanais. Genna’ n’en est pas à son premier coup d’essai sur un banc de touche, loin de là. L’Italien a déjà connu cette expérience à quatre reprise, sans franche réussite.

Le début de cette nouvelle aventure pour Gattuso a commencé il y a quatre ans à Sion, en Suisse. Trois mois plus tard; le voilà remercié par le président du club suisse. Nommé à l’été 2013 par le sulfureux Maurizio Zamparini pour prendre en main l’équipe sicilienne de Palerme, l’ex numéro 8 rossoneri ne afit pas long feu non plus. Six matchs, trois mois, seulement deux victoires et voilà Gattuso déjà débarqué. Un an après, revoilà Ringhio sur un banc de touche, en Grèce cette fois-ci, à l’OFI Crète et avec le même résultat. L’italien démissionne en décembre avec à son compteur 5 victoires en 17 matchs et une fausse démission début octobre. Retour aux pays un an après pour Gattuso et retour du succès pour ce dernier. Il fait monter le club de Pise en Série B en terminant second de son championnat. Un succès vite camouflé par l’échec cuisant de la saison suivante. Une dernière place et seulement six victoires font redescendre le club toscan en troisième division nationale. Après être revenu au pays, il est temps pour Gattuso de revenir à la maison, au Milan AC. Le jeune coach prend en main les U19 du club, et cette fois-ci avec succès, avant de gouter la semaine dernière à l’équipe A.

Ce n’est pas la première fois que le club lombard tente le pari de faire revenir une ancienne gloire en tant que coach de l’équipe première. En janvier 2014, Clarence Seedorf prend pour la première fois les rênes d’une équipe en tant qu’entraineur : le Milan AC. Les résultats sont consternant, l’éviction est précoce. Il est remplacé 5 mois plus tard par un autre vierge du poste : Filipo Inzaghi, lui aussi, icone milanaise. Pipo tiendra un petit plus longtemps : une saison entière en ayant accrocher une piteuse dixième place. Ce choix, au vu du double échec qu’a connu à la fois Gattuso personnellement à ce poste et le club milanais en tentant de ressusciter ses anciennes gloires, apparaît soit comme un pari totalement fou, soit comme une inconscience totalement délirante.

Un pari qui a d’ailleurs mal commencé ce dimanche. Milan se déplaçait chez la lanterne rouge du Calcio, Benevento Calcio 1929, qui n’avait marqué le moindre point cette saison. Et c’est après une fin de match lunaire que ces derniers ont pris leurs premiers points, face au Milan AC. Le gardien de but du promu égalisera à la 95ème minute d’un coup de tête irréellement magique et enfoncera encore plus le Milan AC dans ses doutes, pour la première de Gennaro Gattuso.

Certes, le Milan actuel a besoin d’une sorte de retour aux sources identitaire. Les supporters en ont besoin. Cela, Gattuso le comble parfaitement. Oui, certains joueurs ont besoin d’un coup de pied aux fesses, oui le vestiaire a besoin d’un déclic mental. Cela, Gattuso va le réaliser inévitablement. Mais les joueurs ont également besoin d’un plan de jeu concret, d’une base et d’une identité tactique cohérentes et surtout d’une stabilité. Pas sûr que ce pari fou aille dans ce sens, même si ce choix apparait bien évidemment comme un choix intérimaire, en attendant un potentiel nouveau coach en juin 2018. Et d’ailleurs, à ce sujet, les dirigeants milanais auraient déjà quelques idées derrière la tête.

La première de ces possibilités se nomme Carlo Ancelotti et on est obligé d’y penser au vu de l’amour réciproque que lui et le club italien entretiennent. L’ancien milieu de terrain italien s’est distingué sur le banc du Milan AC d’une part grâce à sa longévité (huit ans) et d’autre part grâce à son palmarès. Un titre de champion, une coupe d’Italie, trois finales de Ligue de champions dont deux remportées, et un dernier titre intercontinental : celui du mondial des clubs. Un passage sur le banc des rossoneri qui restera gravé dans le cœur de tous les tifosi milanais. C’est tout naturellement, lorsque le tacticien italien s’est fait limoger du Bayern, que les regards se sont braqués sur lui pour occuper le banc de touche milanais, en pleine période où Vincenzo Montella était remis en cause. Au licenciement de ce dernier aussi les regards se sont braqués sur le bon Carlo. Mais la direction milanaise a opté pour Gennaro Gattuso, avec vraisemblablement une autre cible en tête pour juin…

Cette cible est italienne, plus jeune, et un peu plus probable : Antonio Conte. L’entraineur de Chelsea, sous contrat jusqu’en 2021, aurait, selon plusieurs sources, été approché début novembre par la direction milanaise, et des contacts auraient même débuté, ainsi que des discussions à propos de la saison prochaine en cas de potentielle arrivée. Le tacticien italien est en froid avec ses dirigeants londoniens et son début de saison moyen l’aurait fragilisé un peu plus pour la saison prochaine. Une aubaine pour les dirigeants lombards, qui voient en Antonio Conte le parfait chef d’orchestre de leurs projets. Une solution moins utopique que celle menant à Carlo Ancelotti, puisque Conte a notamment déclaré récemment vouloir revenir en Italie :

« C’est mon pays, je vais revenir. Je ne sais pas quand, mais je vais revenir. « 

La nomination de Gennaro Gattuso semble d’ailleurs aller parfaitement dans ce sens. D’une part, car les deux hommes se ressemblent assez dans leurs manières d’aborder les matchs, les hommes et dans leurs rapports au football. Passionnés, possédés, sanguins, les deux Italiens semblent en effet avoir les mêmes caractères et les mêmes manières de management et de gestion d’un vestiaire : l’émotion et les tripes. Mieux encore, les premiers indices divulgués par Gattuso sur la manière dont il compte faire jouer son Milan ressemblent à ce que semble apprécier et faire Antonio Conte. Le néo coach milanais a affirmé vouloir faire jouer son équipe en 3-4-3, schéma fétiche d’Antonio Conte, notamment l’année dernière avec Chelsea. Gattuso, un Conte BIS en attendant la version premium en juin ? Seul l’avenir nous le dira.

Ce que l’avenir nous dira aussi, c’est la réponse de l’UEFA à propos du fair-play financier. Une réponse est attendue mi-décembre et selon Marca, ça pourrait sentir très mauvais pour l’AC Milan. Selon le quotidien espagnol, l’AC Milan pourrait tout simplement être exclu des prochaines compétitions européennes. Une sanction qui serait un cataclysme pour le nouveau projet milanais qui patine déjà et semble avoir perdu une année dans sa reconquête, dans sa mission : celle de faire renaître de ses cendres le phénix milanais. Le poids du passé sur le dos, la déception du présent et l’incertitude en ligne de mire, le phénix lombard n’a pas totalement quitté ce nuage de fumée dans lequel il stagne depuis maintenant près de cinq ans et semble encore se débarrasser des dernières cendres qui lui traînent dans les ailes, avant, peut-être, de définitivement reprendre son envol ?

 

Photo credits : MARCO BERTORELLO / AFP

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