Dans le football moderne, les couleurs que l’on défend cachent bien plus d’enjeux que ce que l’on pourrait croire. L’interprétation faite d’un joueur est parfois, à tort ou à raison, marquée par les antécédents de sa patrie et de la place qu’elle occupe dans l’histoire du football. Lorsqu’il s’agit de taper le cuir, le postulat de départ est, inconsciemment (ou consciemment), différent d’une nationalité à l’autre. Si l’on vous vante les qualités techniques d’un brésilien et d’un finlandais que vous n’avez jamais vu jouer, beaucoup d’éléments laissent à penser que c’est ce premier qui attirera votre attention, éveillera davantage votre curiosité. Cet exemple ne remet en aucun cas en cause le niveau technique des Brésiliens – de toutes façons les faits parlent d’eux-mêmes – mais entend soulever une question. Est-ce normal, selon son lieu de naissance, de bénéficier d’une légitimité, d’un crédit et d’une reconnaissance variable ? Les critères de jugement ne devraient-ils pas se référer uniquement au niveau de jeu ? C’est une position que l’on voudrait avérer et son contraire révolu. Pourtant, elle n’incarne pas la réalité.
Nombre de joueurs mériteraient sans aucun doute plus grande vitrine. Parmi ceux qui seront cités, certains connaissent certes une grande carrière et sont reconnus comme étant de grands footballeurs mais, dans un autre contexte, leur destin aurait peut-être été autre. Des propos qui rejoignent ceux de Samir Nasri au sujet de Yaya Touré en 2014.
« S’il n’était pas Africain, tout le monde dirait que c’est le meilleur milieu de terrain du monde. Il sait tout faire, marquer des buts, défendre, attaquer. Quand il a le ballon il est tellement puissant. Je suis peut-être un peu partial car c’est mon ami mais il fait partie des trois meilleurs milieux de terrain au monde. Cela ne joue pas en sa faveur d’être Ivoirien. S’il était Argentin ou Brésilien, tout le monde parlerait de lui. Et on serait prêt à payer 50 ou 60 millions d’euros pour le recruter »
À la table des désavantagés (et peut-être doublés d’un sentiment de frustration) il faudrait bien des couverts pour servir tous les concernés. Il est impossible d’en faire une liste exhaustive et les premiers noms nous venant à l’esprit dépendent entre autres de nos points de vue, de notre sensibilité. Les prochains sont, à l’humble avis de l’auteur, les premiers conviés au repas.
L’un joue à Tottenham et l’autre en Italie, à la Juve. Christian Eriksen (Danemark) et Miralem Pjanic (Bosnie-Herzégovine) font probablement partis des meilleurs milieux actuels. En terme de qualité de passe, de créativité et d’impact sur le jeu de leur équipe, ces deux-ci côtoient les sommets. Et pourtant, rares sont les fois où l’on parle d’eux comme tels. S’ils étaient espagnols, le constat serait-il le même ?
Autre cas de figure, l’engouement suscité par un fait de jeu. « Si Messi ou Neymar avaient marqué ce but, ça ferait le tour du monde ». Combien de fois avons-nous lu ou entendu une telle phrase ? Dernièrement, c’est Mohamed Salah (Egypte) qui a remis ce constat au goût du jour. Sans chercher à niveler ces joueurs et à isoler le cas du meilleur buteur de Liverpool, peut-on qualifier cela d’injustice ? Force est de constater que certains joueurs réalisant de merveilleuses actions jouissent d’un relais médiatique plus important en fonction de leur nationalité comparativement à d’autres. Ce qui peut avoir une incidence sur le mercato, que l’on se positionne de l’angle du joueur ou du dirigeant de club. Par exemple, l’éclosion de Neymar a engendré un regain d’intérêt pour le championnat brésilien et ses poulains. Des Lucas, Oscar ou Bernard, bien que talentueux, auraient-ils généré autant d’attente et d’espoirs s’ils n’étaient pas les compatriotes de la star du PSG ? À talent identique mais détenteurs d’un passeport asiatique, auraient-ils connus l’Europe et ses plus grandes compétitions ? Et si c’était le cas, malgré de mauvaises performances, continuerions nous de croire en eux ? Probablement pas. Mais heureusement, certaines échéances dont une en particulier permettent de réajuster un court instant le curseur de l’équité.
En effet cet été, et ce tous les quatre ans, la Coupe du Monde offre aux joueurs des quatre coins du globe la possibilité de se faire un nom, d’être jugé sur une scène commune aux brésiliens, argentins, espagnols et consorts. Un moyen d’alléger, le temps d’une fête, le poids du drapeau.
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