Il y a 40 ans, la dictature argentine remportait la Coupe du Monde de football 

Opportuniste, habile, espiègle, la politique a toujours su utiliser le football pour s’accorder du crédit, recouvrer sa grandeur et contenter un peuple qui n’a que ce sport pour soigner ses blessures. En 1978, l’Argentine du Général Videla organise la première Coupe du Monde de son histoire, passant sous silence les crimes qu’elle commet, pour mieux gagner, pour mieux donner l’illusion à son peuple et au monde entier que le pays va bien…

Des cris étouffés par les chants du Monumental. C’est ce son atroce qui restera dans l’histoire. Ce son que des voix torturées ont essayé de porter au-delà des murs de l’Ecole Mécanique de la Marine, célèbre pour avoir abrité les supplices de plusieurs milliers d’opposants à la junte politique menée par le général Jorge Videla. L’homme est arrivé au pouvoir en 1976 et cache derrière son visage mince et son épaisse moustache les intentions les plus ignobles que l’Argentine connaîtra. Il n’est pourtant pas le premier à imposer un régime dictatorial en Amérique du Sud : Pinochet l’a fait bien avant lui, Stroessner l’a fait bien avant lui, Branco l’a fait bien avant lui.

Mais comme les autres, l’Argentine y passera et devra composer avec une bande de fous qui, pour faire oublier les ignominies quotidiennes qu’elle commet, se retranche derrière le talent de son équipe de football, derrière la ferveur populaire propre à l’Amérique Latine, pour ce sport, véritable opium du peuple. Alors quand en 1978 l’Argentine accueille la Coupe du Monde de football, le régime veut en profiter pour envoyer un message au monde entier, pour prouver que la nation rayonne par tous les moyens. Ce n’est ni un objectif, ni une volonté, c’est une obligation : l’Argentine doit gagner la Coupe du Monde.

Avant même que la compétition ne commence, le contexte se tend déjà. Quelques années auparavant, une flopée de pays du Tiers-Monde fait son entrée à la FIFA, ajoutant un nombre certain de nouvelles équipes engagées dans la compétition. La FIFA opte pour une organisation à deux phases de poules, un véritable foutoir qui ne durera qu’une seule édition, trop sujet à la confusion et aux arrangements.

Mais ce qui choque le plus, c’est le pays organisateur, l’Argentine, qui est aux mains d’une junte militaire depuis 1976. Est-ce que participer à une Coupe du Monde dans ce pays ne revient pas à tolérer les crimes qui sont commis chaque jour par le régime de Videla ? Dans plusieurs pays du monde, des associations de boycott de la compétition se forgent pour tenter de dissuader les fédérations de participer à ce mondial. La France est d’ailleurs l’un des pays où le mouvement anti-participation fait le plus de bruit.

 

Videla remet la Coupe du Monde aux joueurs argentins dont on perçoit la gêne.

 

Plusieurs intellectuels comme Marek Halter, Jean-Paul Sartre, Louis Aragon ou encore Simone Signoret ont notamment pris part à cette fronde, conférant ainsi un poids encore plus important au mouvement. Mais l’on retiendra aussi et surtout des faits plus sombres et plus étranges comme ce soir où Michel Hidalgo, entraîneur de l’Equipe de France, a failli voir sa vie prendre fin. Barrage de voitures, pistolet dans le dos, hommes cagoulés, l’entraîneur français est emmené dans la forêt sans qu’il ne sache pourquoi. Dans un instinct de survie et sentant la fébrilité de ses agresseurs, il parvient à se saisir de l’arme à feu, qui s’avéra finalement déchargée, et à faire déchanter ses agresseurs qui filent sur le champ.

On ne saura jamais vraiment si ces hommes faisaient partie du mouvement pour le boycott du mondial mais plusieurs indices laissent à penser que ce fut bien le cas. Finalement, Michel Hidalgo, après de nombreuses hésitations, se rendra à un Mondial qui regorge encore d’histoires obscures…

La compétition est lancée, les équipes s’affrontent dans les différentes phases de poules, laissant le tournoi en proie à des arrangements du fait que les matchs décisifs ne se jouent pas en même temps. L’histoire retiendra d’ailleurs ce très étrange Argentine-Pérou, dernier match de la deuxième phase de poule, où l’Argentine était obligée de réaliser un exploit puisqu’elle devait combler un déficit de quatre buts dans la course au goal average avec le Brésil. Le problème est que le Pérou de la fin des années 70 est une équipe redoutable qui traverse une période faste, pas de quoi rassurer les dirigeants argentins.

Pourtant, l’Argentine, emmenée par Mario Kempes, va réussir à battre le Pérou sur le score de 6-0, une véritable gifle synonyme de qualification pour l’Albiceleste. Le pays argentin se hisse donc directement en finale face à un Pays-Bas affaibli par l’absence du très grand Johann Cruyff. Ce dernier s’est fait agresser à son domicile au cours d’un cambriolage où ses enfants et sa femme seront ligotés et bâillonnés. La finale a lieu au Monumental, le stade habituel de River Plate, et les Argentins n’ont pas encore utilisé toutes leurs armes pour s’adjuger le titre final.

Avant le début du match, de nombreux incidents viennent prolonger l’instant où les Hollandais sont soumis à la ferveur du public argentin. De longues minutes s’écoulent pour parfaire cette stratégie de l’intimidation qui fonctionnera plutôt bien puisque l’équipe des Pays-Bas, emmenée notamment par l’ancien stéphanois Johnny Rep, s’inclinera sur le score de 3-1 en prolongation. Les joueurs hollandais refuseront d’ailleurs de participer aux cérémonies d’après-match, laissant à l’équipe argentine tout le plaisir de recevoir une médaille des mains de son dictateur.

40 ans après cette Coupe du Monde, il reste encore des traces indélébiles de cette dictature assassine qui n’a pas hésité à instrumentaliser le football et l’événement le plus suivi de la planète pour satisfaire ses désirs de puissance. On retiendra cette Ecole Mécanique de la Marine, ces vols de la mort et ce sourire pernicieux caché derrière cette moustache qui se satisfait des chants du Monumental, qui se satisfait des cris des mortels.

 

Crédit photo: STAFF / AFP

0

Quand les gens sont d'accords avec moi, j'ai toujours le sentiment que je dois me tromper.