Tout le monde le sait, l’Allemagne ne compte que des clubs de tradition (NDLR : Traditionsverein), des clubs historiques dans ses rangs. Depuis quelques années, de nouvelles têtes – surnommées Plastik-Clubs – ont fait leur apparition, au grand dam des vieux briscards. Ces derniers ont vu leur système chamboulé, et bon nombre d’entre eux n’acceptent pas ces clubs. Celui qui est au centre de cela est le désormais bien connu RB Leipzig.
Difficile d’avoir loupé l’intronisation de club né en 2009 sous l’impulsion du groupe Red Bull. En effet, le club situé en ex-RDA s’est rapidement construit, et a fini par atteindre la Bundesliga à vitesse grand V. Au rythme des saisons, pourtant, ils n’ont cessé d’attiser la haine des autres équipes et notamment des supporters. C’est simple : le RB Leipzig fait globalement office d’ennemi public numéro un. La majorité des clubs s’accordent sur un point : ce qu’ils font n’est pas acceptable.
Sans se montrer aussi virulent que les supporters, certains clubs n’hésitent pas à montrer leur avis sur la question par le biais de gestes simples : tableau d’affichage vintage histoire de dire « on était là avant », ou oubli du logo du RBL lors des opérations de communication avant les matchs. Avec subtilité, les anciens montrent au petit nouveau qu’il ne sera pas accepté en un rien de temps.
Chez les supporters, les actions, elles, ont été un tantinet moins subtiles. Si le boycott est devenu monnaie courante quand il s’agit de se déplacer au Zentralstadion (ou Red Bull Arena), certains sont allés bien plus loin. Outre le désormais célèbre « Nein zu RB », d’autres banderoles violentes ont été affiché dans la Südtribune à Dortmund en 2015. Cela a entraîné un huis-clos d’un match pour le mur jaune. Les supporters de l’Erzgebirge Aue, eux, ont littéralement comparé le Dietrich Mateschitz (co-fondeur de Red Bull) à un nazi par l’intermédiaire d’un étendard affiché lors d’une rencontre de 2. Bundesliga en 2015. Enfin, du côté du Dynamo Dresden, une tête de taureau (pas en papier mâché) a été jeté au bord du terrain. On vous laisse en déduire la signification, mais rien de très cordial.
Et ceux qui suivent les Roten Bullen alors ?
Ceux qui s’époumonent pour leurs clubs historiques ne cessent de montrer leur ressentiment envers le RB Leipzig qui, pourtant met souvent leur club à l’amende sur les terrains. Et si on entend souvent ce côté-là de l’échiquier, rares sont les prises de parole des supporters du RB Leipzig. Ce sujet, est d’ailleurs épineux car comment supporter un club si récent ? Pourquoi ce choix-là quand on connaît la richesse du football allemand ? On ne peut évidemment pas répondre à la place des principaux concernés. Toutefois, dans l’optique de connaître le point de vue de ceux qui soutiennent le club et subissent les critiques, nous avons souhaité discuter avec quelques fans.
Et c’est d’abord l’un des groupes majeurs, Die RB Fancommunity, créé au même moment que le club, agissant aussi bien sur internet que dans les stades. C’est Sören Minx, l’un des membres de ce groupe, qui a accepté de prendre la parole et de représenter les siens.
U10 : Comment vivez-vous le fait que votre club soit si mal perçu en Allemagne ? Est-ce que les actions des ultras de Dresde ou Dortmund vous ont inquiété, ou au contraire vous encouragent à soutenir votre club quoiqu’il arrive ?
Ce n’est pas un problème si ce ressentiment n’est pas démontré comme l’an dernier à Dortmund, où des supporters avaient été touchés physiquement. Ce ressentiment peut être encourageant, cela nous aide à rester soudés. Mais ça peut aussi être dangereux, et certains peuvent développer une certaine agressivité ou victimisation (NDLR : mentalité d’état de siège) et certains en sont déjà là.
Mais après tout, la haine, les frictions, et même le dégoût ont toujours fait partie de la vie des supporters de football. Quand cela dépasse un certain niveau, ce n’est pas grave car cela rend certaines victoires plus savoureuses que d’autres. Et ceci s’applique aussi à nous, une victoire contre Dortmund sera plus appréciable qu’une autre par exemple, car ils ne nous aiment pas.
U10 : Est-ce problématique pour vous, en tant que fan de Leipzig, que votre club ait cette réputation ? Ou au contraire, ça ne vous dérange pas compte tenu du succès du club au niveau européen notamment ?
Je n’étais pas embêté quand la mauvaise réputation était déjà là et que le succès non plus, donc pourquoi l’être maintenant ? J’étais déjà en tribunes quand nous étions moins de 2000 et sans aucune chance d’être promu. Alors maintenant jouer en Bundesliga, la Ligue des champions ou l’Europa League c’est plus que ce que l’on pouvait espérer il y a six ou sept ans.
U10 : Y-a-t-il une chance que les critiques constantes, voire même les menaces, dirigées vers vous et votre club finissent par être déstabilisantes ?
Je ne pense pas tant que le RB Leipzig et les supporters restent. C’était peut-être une décision rationnel (NDLR : dans le sens où c’est une structure particulière destinée à réussir) de devenir supporter de ce club mais ça ne reste pas moins éprouvant émotionnellement. Donc en dépit des critiques et des menaces, je et on ne se voit pas faire machine arrière car les autres aimeraient trop cela. Après tout, les supporters du Bayern ne vont pas s’arrêter de suivre leur club simplement parce que beaucoup d’allemands n’aiment pas le Bayern. La même chose s’applique aux supporters du RBL.
Après il y aura sûrement des évolutions. Certains ne vont plus s’identifier à la direction du club ou au football en général qui évolue. Cela dit, ça s’applique à tous les clubs et supporters. Il y a d’ailleurs une augmentation des discussions à propos du recul des taux de remplissage des stades en Bundesliga.
Finalement, le seul élément qui, je pense, pourrait avoir un impact, ce sont les menaces physiques. C’est juste du football, si notre intégrité ou celle de nos proches est en suspens, cela pourrait nous pousser à ne plus aller aux matchs. Tout cela devient questionnable (NDLR : les comportements violents etc.).
U10 : Comprenez-vous l’agacement des autres en général ?
Oui et non. Leipzig est le petit nouveau, juste entré dans la cours, et il a les capacités financières d’intégrer le top 5 du football allemand. Donc quelqu’un va perdre sa place. Rien d’étonnant à ce que cela ne soit pas apprécié de tous. D’un autre côté, je ne comprends pas les discussions intenses autour des vieilles valeurs du football. Un second regard sur le football allemand, avant l’arrivée du RB Leipzig, montre que de nombreux tabous ont été brisé notamment au niveau de la commercialisation et de la façon dont les clubs ont généré de l’argent. Les clubs ont évolué, leurs contours aussi, ils sont partiellement détenus par des entreprises ou côtés en bourse (NDLR : le Borussia Dortmund par exemple), ou bien les droits des joueurs sont achetés. Donc le RB Leipzig n’est pas le problème majeur, c’est uniquement l’un des symptômes d’une commercialisation continue.
U10 : En tant que fan, comment percevez-vous les liens de votre club avec la firme Red Bull et la règle du 50+1 qui domine le football allemand aujourd’hui ?
Sans Red Bull, nous ne pourrions pas parler en ce moment. Donc je suis heureux qu’ils soient venus et qu’ils aient rapporté un football attractif à Leipzig (NDLR : Leipzig est historiquement un des temples du football allemand). Je pense que le réseau footballistique de Red Bull est intéressant au niveau structurel, une partie de notre succès vient de là et c’est sûrement un avantage que les autres clubs n’ont pas à leur disposition.
Comme la règle du 50+1 qui a été confirmée aujourd’hui (NDLR : interview effectué le 22 mars, jour où la DFL a confirmé la conservation de cette règle). Même si c’est l’arbre qui cache la forêt. Cela n’a pas arrêté le RBL, il y a beaucoup d’exceptions (Hoffenheim, le Bayer Leverkusen ou Wolfsburg) et cela n’a pas empêché la chute du TSV 1860 Munich. Si quelqu’un prenait la décision d’intenter une action en justice, je pense que ça s’écroulerait.
De l’autre côté, c’est un témoignage de Sebastian Lenz, ce dernier a pris la parole au nom de l’un des groupes suivant le club avec assiduité : Die Vollzhaller (Littéralement : payer le prix fort pour un ticket). Ce dernier s’est exprimé à propos de son rapport à son club, mais il a posé un regard critique sur les adversaires.
Voici les propos que nous avons recueillis : « Le Rasenballsport Leipzig va fêter ses 10 ans l’an prochain, mais de nombreux habitants de Leipzig aiment le football depuis des années et ont notamment vu Maradona sous leurs yeux contre le Napoli en 1988 (NDLR : Match du Lokomotive Leipzig en coupe d’Europe). La DFB a été fondé à Leipzig en 1900. Cependant, les supporters des autres clubs allemands se font porte-drapeau des traditions, du football professionnel, du succès, des émotions et se plaignent qu’une marque de boisson énergétique dépense son argent pour avoir du succès. Mais ils s’en fichent que leur stade porte le nom d’une compagnie d’assurance ou que l’on puisse acheter des parts du club en bourse. Le RB Leipzig est juste un nouvel ennemi et en fin de compte, on s’en moque. Nous supportons notre équipe chaque semaine et on fait même de l’autodérision avec certaines chansons avant que les autres aient l’occasion de le faire. À chaque nouvelle déclaration contre nous, on se rapproche, comme une famille. »
Et quand on lui a demandé de nous donner plus de détails sur leurs chants, S. Lenz a gentiment accepté (NDLR : ce sera évidemment une traduction) : « Donc la chanson plus ou moins officiel c’est : Nous sommes Leipzig / Rasenballsport Leipzig / Rouge et blanc sont nos couleurs / nous n’abandonnerons jamais. Mais parfois, quand les autres supporters se mettent à chanter des choses sur nous, nous répondons avec ça : nous sommes des cochons / les cochons de Red Bull / nous ne payons pas les tickets / et nous buvons du champagne, pas de la bière. »
Ainsi sans violence, les supporters n’hésitent pas à répondre et finalement se lancer dans l’autodérision est peut-être ce qu’il y a de mieux à faire face à la violence. Mais à côté de cela, ils n’hésitent pas à blâmer les autres clubs, qui eux aussi profitent d’un football moderne qui va de pair avec la commercialisation et l’argent. Même le football allemand, pourtant proche des supporters et qui se dit loin des clichés.
Crédit photo: John MACDOUGALL / AFP