[Portrait] Sakai, le dernier samouraï

« Je crois qu’un homme fait ce qu’il peut, jusqu’à ce que son destin soit décidé ». Avec cette réplique, Nathan Algren a parfaitement résumé la logique d’Hiroki Sakai. Le latéral droit japonais est un joueur d’un autre temps. Son football se résume à mettre en avant ses coéquipiers pendant que lui reste tapi dans l’ombre. Sa finalité  est de mettre ses collègues dans les meilleures conditions et d’engranger des victoires, quitte à ne pas prendre de plaisir. Une attitude qui surprend dans un monde devenu de plus en plus individualiste et calculateur. Derrière un joueur valeureux se cache un homme extraordinaire qui rappelle aux supporters marseillais des bons souvenirs.

Mon voisin Hiroki

Une semaine est passée depuis le match face à Leipizig. Dans l’anonymat le plus total, Rudi Garcia a expérimenté un nouveau poste pour son joueur japonais. Alors que le monde du foot n’avait d’yeux que pour le replacement de Luiz Gustavo dans l’axe, la titularisation de Boubacar Kamara et la défense à trois du technicien marseillais, Hiroki Sakai a été essayé en tant que défenseur central droit. Une nouvelle expérience pour le couteau suisse de Garcia. Après avoir remplacé Jordan Amavi au poste d’arrière gauche pendant un mois, le Nippon se retrouve dans l’axe en compagnie de Luiz Gustavo et Bouba Kamara. Et pour une première sous le maillot marseillais, l’ancien joueur d’Hanovre a sorti une performance impeccable, comme à son habitude. Depuis son arrivée en France, Sakai ne déçoit que très rarement. L’arrivée de l’ancien entraîneur de la Roma l’a aidé à progresser et à mieux préparer ses matchs. Aujourd’hui, il est considéré comme un des joueurs fiables de l’effectif, rarement décevant, toujours au niveau et permet à son coach d’être serein quand il est sur le terrain. Un évènement a rappelé aux supporters marseillais pourquoi Sakai était devenu aussi important à l’OM. Sa sortie sur blessure face à l’Olympique Lyonnais a créé la confusion dans la défense marseillaise. Devenue plus friable, elle va céder minute après minute face aux assauts des visiteurs. L’entrée catastrophique de Bouna Sarr va faire tilt dans l’esprit des olympiens. On se rend compte que sans son Japonais, la défense est beaucoup plus perméable.

La capacité qu’a le Japonais à sécuriser son couloir soulage aussi bien Adil Rami que Florian Thauvin. Ce dernier peut se permettre de ne défendre que très peu quand le Japonais peut gérer des situations de un contre un aisément. Mais sa blessure face à l’OL a permis à Maxwell Cornet de prendre un avantage considérable sur Bouna Sarr. Totalement abandonné par Thauvin, le latéral droit hybride avait pris des vagues sur son couloir. Le Japonais n’a pas l’explosivité de l’ancien messin, mais sa complémentarité avec Flotov est un plus non négligeable. Sakai s’est toujours défini comme un joueur « pas très talentueux », mais qui donne le maximum pour faire briller les autres. C’est comme ça qu’il conçoit sa mission de joueur de football. Lorsqu’on lui parle du talent de Maxime Lopez, il n’hésite pas à dire « j’aurais aimé avoir son talent et son calme à son âge »,  car il le sait, lui a du cravacher pour y arriver. Mais cet état d’esprit, c’est tout ce qu’apprécie le supporter marseillais.

Porco Rosso

La vaillance a beau être une expression sortie de la bouche du rappeur Alonzo, elle représente parfaitement Hiroki Sakai. Comme Marco Pagot dans le magnifique film d’Hayao Miyazaki, Sakai joue pour son honneur avant tout. Le joueur est quelqu’un de valeureux mais l’homme dégage une sympathie sans égal. Sa gentillesse et sa modestie l’ont placé tout en haut des joueurs favoris du peuple marseillais. Le groupe de supporters la Vieille Garde a rendu un vibrant hommage à un joueur qui ne s’attendait pas à recevoir autant d’attention de la part des fans.

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Hiroki Sakai représente un type de joueur qui fait rêver n’importe quel supporter de l’OM. Quand on lui parle de modestie, lui évoque plutôt une normalité. « Je ne peux plus progresser techniquement, c’est une réalité, ce que je veux maintenant, c’est mettre toute ma force pour aider le collectif à gagner ». La lucidité du Japonais contraste avec le comportement individualiste du football moderne. Il n’a pas besoin de stats ou de parler dans la presse pour qu’on évoque son niveau ou son nom. Et Marseille a besoin de ce genre d’homme pour redevenir le club qu’il était. L’OM a été champion en 2010 grâce à des bosseurs qui ont su travailler pour mettre les plus doués dans des conditions optimales.

Chaque parole d’Hiroki Sakai nous rappelle les longs métrage du Studio Ghibli. Ses interviews arrivent à émouvoir les supporters. On se rappelle l’époque où l’OM était composé de « chiens de guerre », pas très talentueux mais qui portait là maillot ciel et blanc avec honneur et dévouement. Le calcul était absent de leur réflexion, il n’y avait ni plan de carrière, ni communication réfléchie, juste l’envie de donner mère et fille pour défendre tout une ville. Car c’est ça que le supporter veut voir avant de voir un footballeur de qualité, un homme qui a la fibre OM. L’Olympique de Marseille n’est pas devenu ce qu’il l’est simplement seulement grâce à des esthètes. L’OM, c’est les besogneux, les cols bleus, les joueurs qui mettent les mains dans la boue pour rendre heureux tout un peuple. Hiroki Sakai fait partie de cette caste de joueurs. Comme les Laurent Bonnart, Charles Kabore, Brandao, Fabrice Abriel, ce genre de bosseurs qu’on entendait rarement mais qui représentaient tout ce qu’aime le supporter. Face à ce type de footballeurs, on oublie le niveau du joueur, on le regarde juste se démener pour le maillot qu’il défend. Rajoutez un discours lucide et ce sentiment de gratitude envers ce club et cette ville et vous obtenez un joueur qui fait l’unanimité depuis un an et demi.

Lorsqu’on lui parle du sentiment qui l’habiterait en cas de départ de l’OM, le Japonais parle avec honnêteté. « Je serais très triste de quitter cette ville et ce club. Je n’aurais que des sentiments de gratitude envers les gens qui m’ont fait confiance. Le soleil me manquerait beaucoup. » Ces simples paroles montrent l’attachement qu’à le Samurai Blue pour son club et pour la ville qui l’a accueilli. Un discours plein de sincérité qui prouve à quel point ce club est dans son cœur et qui montre le sentiment de reconnaissance envers Marseille. La fameuse fibre OM est présente chez le Nippon. Il suffit de lire entre les lignes de chacune de ses paroles pour comprendre l’homme bon derrière.

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Sakai a tout du Japonais type et pourtant il passe pour un ovni au sein du paysage du football français. Encore cette foutue différence de culture. Sakai raffole de One Piece et Naruto mais jure qu’il ne regarde que ça, les autres mangas sport ne l’intéressent pas. Pas de Kuroko Basket, ni de Eyeshield 21 encore moins du Olive et Tom, « c’est la génération de mes grands frères ça ». Derrière ses airs de papa poule qui compte toujours sur la présence de sa femme et sa fille en loge au stade Vélodrome, se cache aussi un fils exemplaire. Quand on lui demande ce qu’il pense des tatouages, sa première pensée est directe vers ses parents « Je pense que mes parents n’apprécieront pas, donc je ne le ferais pas ». Comme dirait Sat dans Nous contre eux, « Ce jour-la j’ai plus eu peur de la réaction de ma mère que de la privation de liberté de la cellule des barreaux en fer », car oui malgré son statut de joueur de football, Sakai n’oublie pas qu’il représente une famille, un pays, une nation. Son admiration pour David Beckham ne l’a pas forcé à se faire tatouer, à la différence d’un autre numéro 7 français. Lui reste mesuré, loin de l’extravagance du Spice Boy ou d’Hidetoshi Nakata, son autre modèle.

Et pourtant, sa situation actuelle aurait pu faire péter les plombs à n’importe quel joueur. Du jour au lendemain, il est exposé sur le devant de la scène. Car aujourd’hui, Hiroki Sakai est un des porte-drapeaux des Samurai Blue en Europe. Le peroxydé Keisuke Honda s’est exilé au Mexique, Yuto Nagatomo s’enfile des kebabs du côté de Galatasaray. Avec Shinji Kagawa, ils restent les derniers grands représentants du pays au Soleil Levant en Europe.  Son rêve est de disputer un maximum de minutes durant la prochaine Coupe du Monde. En attendant, il doit amener son équipe en demi-finales face au RB Leipzig, et comme un bon Samurai, il laissera sa vie pour accomplir sa mission.

 

Crédit photo : CHRISTOPHE SIMON / AFP

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« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois.»