Il est des matchs de football qui restent à jamais gravés dans nos mémoires. Les raisons peuvent être diverses et variées. Un but extraordinaire, un scénario improbable ou un fait rarissime. Les chanceux qui ont assisté au huitième de finale de Coupe du monde 2006 Portugal – Pays-Bas ne l’oublieront jamais. Les autres découvrent l’existence de ce match dans les livres d’histoire. Il pourrait s’agir d’un épisode de la Seconde Guerre Mondiale, au sein la deuxième plus grande ville de Bavière, mais nous parlons bien d’un match de foot. La bataille de Nuremberg.
L’affiche sentait la poudre. Khalid Boulahrouz et Mark van Bommel ne sont pas ce qu’on pourrait appeler des enfants de chœur. Face aux provocateurs Luis Figo et Cristiano Ronaldo, on pouvait légitimement s’inquiéter de la tournure que prendraient les événements. Et on ne fut pas déçus. Avec 16 cartons jaunes et 4 cartons rouges, il s’agit encore du match le plus riche en sanction administrative dans l’histoire de la FIFA. Récit d’un pugilat.
Boulahrouz blesse Ronaldo d’entrée
Tout commence à la 2ème minute. Le jeune (21 ans) Ronaldo dépasse van Bommel, qui avait sûrement prémédité ce qui va suivre : un attentat sur le talon de CR17 avec le ballon à deux mètres. Monsieur Valentin Ivanov ne sait pas encore qu’il va entrer dans la légende lorsqu’il distribue le premier carton jaune de ce match. A la 7ème minute, Boulahrouz attaque le ballon pied en avant et blesse Ronaldo à la cuisse. Le Portugais continuera de jouer jusqu’à la 34ème minute avant de céder sa place à Simão. L’agression de Boulahrouz a donné le ton. Le Portugal a compris. La riposte arrive.
Maniche et Costinha, les deux milieux défensifs des rouges et verts, font les présentations auprès de van Bommel et Robben. Maniche est averti à la 20ème et marque l’unique but (dont tout le monde se contrefout au final) de la rencontre. 31ème minute, un ballon perdu, Phillip Cocu s’y précipite. L’occasion est trop belle. Costinha est lancé comme un TGV et découpe le Néerlandais. Carton jaune. Certainement frustré que Cocu soit encore vivant, l’ancien de Monaco recommence avec un pied sur le tibia et l’autre sur le mollet. Pas de sanction (!).
Mawashi-Geri et coup de boule
Bon, il se fera quand même expulsé juste avant la mi-temps pour une main volontaire. Entre-temps, Nuno Valente envoie un Mawashi-Geri sur Robben dans la surface portugaise. Ça joue dis l’arbitre (???). Mi-temps. L’opportunité pour les sélectionneurs – Luiz Felipe Scolari et Marco Van Basten – de mettre au point une nouvelle stratégie afin d’éradiquer l’équipe adverse. La seconde période sera un bain de sang.
50ème minute, van Bommel est de nouveau au sol après avoir été grossièrement accroché par Petit, qui reçoit le cinquième avertissement du match. Ça monte, ça monte… L’heure de jeu est alors une fantastique occasion pour Giovanni van Bronckhorst de rester au sol en raison d’une faute (carton jaune) qu’il a lui-même commise. Figo, la victime dans ce cas précis, perd son sang-froid et donne un coup de boule à van Bommel, qui l’avait de toute évidence mérité. Le capitaine de la Seleçao ne prend qu’un jaune. Mais c’est trop tard. L’affrontement a dégénéré. Le jeu n’a plus sa place sur la pelouse. On est au bord du règlement de compte.
Le football au second plan
Carton rouge. Boulahrouz reçoit un deuxième jaune pour une gifle sur Figo. Les remplaçants portugais sont sur le point d’entrer sur le terrain, l’arbitre les calme tant bien que mal.Un quart d’heure plus tard, Deco se paye Heitinga d’un tacle glissé et ne reçoit qu’un avertissement. Rassemblement autour d’Heitinga, Sneijder balance Petit. La tension est à son paroxysme. Trois minutes plus tard, Nuno Valente met une balayette à Van Persie. Carton jaune. Trois minutes plus tard, Deco se fait expulser pour ne pas avoir voulu rendre le ballon suite à une faute. A ce moment, Petit tente de taper la main de l’arbitre qui montre le carton rouge ! Fort heureusement pour lui, il le rate. Le Portugal est à 9 contre 10.
Les joueurs ne pensent plus franchement au football. Chaque pied traîne sur les sorties des gardiens, Ricardo et van der Sar. A la dernière minute, van Bronckhorst lâche une semelle sur Tiago et reçoit le quatrième carton rouge de la rencontre. Le clou du spectacle d’un match qui n’en fut pas vraiment un. Les joueurs ne protestent même plus, épuisés par ces 90 minutes infernales. Une image captée par les caméras va alors nous faire comprendre le ridicule de la situation. Trois des quatre joueurs exclus (Deco, Boulahrouz et van Bronckhorst) sont côte à côte, assistant à la fin du match. Qu’avons-nous fait ? Pourquoi tant de haine ?
Étonnamment, la bataille de Nuremberg n’aura laissé que peu de traces. Le Portugal s’est qualifié pour les demi-finales sans Costinha et Deco, suspendus. Ronaldo n’a rien eu de grave. Cette parodie de football n’a créé aucune rivalité particulière entre les deux nations, qui se sont notamment recroisées à l’Euro 2012 dans un climat correct. Néanmoins, la guerre du 25 juin a laissé des traces dans les médias et dans l’esprit des gens. « En deuxième mi-temps, nous avons oublié de jouer au football. Tout n’était que chaos », reconnaissait van Basten après le coup de sifflet final. « C’était comme une bagarre qui amusait joueurs et spectateurs, affirmait Fernando Meira. Je n’oublierai jamais la pression ni les émotions ressenties. » L’arbitre Valentin Ivanov a détaillé la façon dont il a vécu le dernier match de sa carrière, parlant du « match le plus difficile de toute (sa) carrière ».
Portugal – Pays-Bas 2006 restera à jamais l’antithèse des valeurs humaines du sport. Violence, colère, rancœur, désir de blesser l’autre. Fort heureusement, Cristiano Ronaldo fut en mesure de jouer le reste du tournoi. Tout est mal qui finit bien. Mieux vaut en rire aujourd’hui. Ce match restera pour l’éternité dans les annales comme un cataclysme du football.
Pour voir tous les cartons sortis au cours de la rencontre :
Pour voir également toutes les agressions qui n’ont pas été punis et les occasions de buts :
Crédit photo : NICOLAS ASFOURI / AFP