Suite et fin de notre gueulante sur l’état alarmant du football amateur français. Aujourd’hui, nous donnons la parole à un homme qui est plus que bien placé pour parler de ces problématiques, puisqu’il dirige depuis 2010 l’Association Française de Football Amateur (AFFA) : Éric Thomas.
Pour commencer, quel bilan faites-vous de la saison passée pour le football amateur ?
Ce que je souhaite d’abord c’est, comme l’ensemble des bénévoles et des dirigeants du football amateur, nous féliciter de cette magnifique victoire de l’Equipe de France. Tous les joueurs, sans exception, ont été formés dans un club amateur. Cette victoire, ce sont les clubs amateurs, les clubs de foot d’en bas, qui en sont les principaux artisans. Il faut féliciter l’ensemble des bénévoles et des éducateurs pour cette deuxième étoile qui va profiter à l’ensemble de la France. Je serai donc tenté de dire que le bilan est indexé sur la magnifique victoire des Bleus à la Coupe du monde. Après, une fois cette parenthèse enchantée passée, je pense aux clubs amateurs qui vont être confrontés à l’arrivée des gamins et des gamines chez eux au mois de septembre. On estime entre 10 et 15% le nombre de licenciés nouveaux. Et cela ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés.
Justement, en parlant de ces difficultés, de cette urgence, cela fait maintenant 8 ans que vous les traquez et les exposez aux oreilles du grand public. Actuellement, quelle est l’ampleur de cette urgence ? Par quels chiffres, par quels phénomènes se matérialise-t-elle ?
Pour nous, il y a vraiment un message d’urgence à lancer aux autorités sportives et publiques. Actuellement il y a non-assistance à clubs en danger. 4000 clubs ont mis la clé sous la porte ces quatre dernières saisons. On estime que deux clubs mettent la clé sous la porte chaque jour. C’est ce que l’on estime chez nous à l’AFFA, puisque la fédération ne communique pas ses chiffres. Aujourd’hui, le football français est un colosse aux pieds d’argile, avec des clubs qui meurent tous les jours.
Ça n’aura échappé à personne et vous l’avez mentionné plus tôt : la France est championne du monde. Qu’est-ce que cette victoire se doit d’apporter au football amateur français selon vous ?
Il faudrait, et je parle au conditionnel car je pense que ça ne sera pas le cas, que ce soit un électrochoc. Que l’on prenne enfin conscience que l’on doit remettre le club au cœur du football et du sport. C’est dans les clubs que l’on joue au foot. Ce n’est pas à la fédération, pas dans les ligues, pas dans les districts. Or, aujourd’hui, l’impression que l’on a c’est que les clubs servent de variables d’ajustement au football et qu’ils sont au service des instances. Ça devrait être l’inverse. Il faudrait remettre les clubs au cœur du football.
En plus d’avoir gagné une deuxième étoile, la FFF a également reçu 32 millions d’euros de la part de la FIFA. On sait que 30 % de cette somme sera reversée aux joueurs via des primes. En revanche, silence radio à propos des 70% restants. Cela vous inspire quoi ?
Depuis 8 ans qu’existe l’AFFA, on ne cesse de dire que jouer pour l’Equipe de France ne nécessite pas le besoin d’avoir une prime. Jouer en bleu c’est une fierté et cela doit suffire comme cela. D’ailleurs on le voit bien, certains joueurs vont donner l’intégralité de leur prime à des associations caritatives. Cela prouve bien que ces primes sont inutiles. Au contraire, si à la place de ces primes on créait un fond de secours et d’urgence en direction du foot amateur, là ça aurait du sens. Nous ce que l’on veut savoir, c’est à quoi va servir cette argent restant…
Justement, le manque de transparence de la fédération à propos de ses comptes, c’est une problématique que vous soulevez depuis quelques temps.
On ne cessait de le dire. Mais là, enfin, un organisme indépendant, la Cour des Comptes, l’écrit. C’est qu’il y a un vrai problème de transparence à la fédération. Elle ne rend aucun compte à ses licenciés. C’est une association de loi 1901 qui devrait nous donner des informations sur l’utilisation de notre argent. Car c’est notre argent. Celui des licenciés, des clubs amateurs. Mais pourquoi n’avons-nous pas de transparence ? Car nous n’avons pas de démocratie. Aujourd’hui, seuls les clubs professionnels votent. Nous, les 14 000 clubs amateurs, on s’interroge. Pourquoi sommes-nous des sous-citoyens du football ? Pourquoi ne votons-nous pas ? Nous demandons un droit simple : le droit de vote. C’est ce que l’on demande depuis 2010 et la création de l’AFFA. Nous sommes face à une monarchie bananière. On ne nous demande jamais notre avis. J’ai demandé le rapport de la Cour des Comptes à Noël Le Graët qui n’a pas voulu m’en faire état lors de l’assemblée générale du 2 juin… Manifestement il devait y avoir beaucoup de choses dans ce rapport pour qu’il soit à ce point confidentiel… Des choses graves j’imagine. Le rapport public parle de pratiques à la limite de l’abus de bien social. C’est extrêmement grave. Personne n’a l’air de s’en offusquer, on est champion du monde.
Plus généralement, qu’attendez-vous concrètement de la part de la FFF pour la saison et les années à venir afin d’aider le football français amateur à sortir de cette situation ?
Franchement, nous n’attendons plus rien. Il n’y a plus d’espoir de ce côté-là. Nous comptons 10 millions d’euros à travers le FAFA (Fonds d’Aide au Football Amateur) qui arriveraient aux clubs amateurs. Et encore, cela ne concerne pas que les clubs ! Il y a aussi les collectivités locales qui, lorsqu’elles ont un projet d’investissement en faveur d’un club par exemple, peuvent en bénéficier. Pour le reste, je ne sais pas ce que représentent les 70 autres millions qu’évoque Noël Le Graët lorsqu’il parle de 80 millions pour le football amateur. À l’inverse, aujourd’hui ce sont les 14 000 clubs amateurs qui font remonter 150 millions d’euros chaque année à la fédération. D’un côté on nous fait l’aumône de 10 millions et de l’autre côté on nous prélève 150 millions d’euros. C’est du racket. Du racket organisé. La Fédération est un ogre qui dévore ses enfants, ses clubs amateurs avec un mépris et une suffisance qui doivent s’arrêter.
En plus des problèmes économiques que vous venez de mentionner, comme tout milieu associatif le football amateur connaît aussi une grave crise du bénévolat. Comment l’expliquez-vous ? Existe-t-il des problématiques relevant uniquement du monde du football amateur ?
Le football c’est le miroir de la société. Il n’est ni meilleur ni pire que le reste de la société. On constate des mouvements plus individualistes que collectifs. Mais nous, dirigeants du foot amateur, avons aussi une part de responsabilité. Nous expliquons peut-être mal ce que l’on fait. C’est difficile d’évaluer le bien-être social que l’on procure et le travail éducatif et citoyen que l’on transmet à tous ces jeunes. Tant qu’on ne saura pas le mesurer, on ne pourra guère le valoriser. C’est une de nos grandes difficultés.
Que faire pour que la passerelle entre le foot amateur et le foot professionnel soit plus bénéfique pour les petits clubs locaux ?
Aujourd’hui, il n’y a pas grand chose qui se fait entre le foot professionnel et le foot amateur. Nous, ce que l’on dit, c’est qu’il devrait y avoir une reconnaissance, un principe de solidarité dès la première licence. Quand un gamin signe à 6 ans dans un club et qu’il devient ensuite professionnel, on devrait reconnaître toutes les années de formation du joueur depuis sa première licence pour que tous les clubs dans lesquels il est passé puissent bénéficier d’une reconnaissance. Mais pas avec des ballons hein… avec une vraie dotation financière.
Parlons un petit peu de l’Etat, des instances publiques. Qu’attendez-vous d’eux dans les années à venir ?
Des actes. Des actes concrets. La mise en œuvre d’actions clairement identifiées. Nous, à l’AFFA, nous avons produit une contribution avec un certain nombre de propositions pour, certes, le sport en général mais pour le foot en particulier. Notamment celle qui consiste, on en parlait avant, à mieux reconnaître le statut des bénévoles et celle qui permettrait de constituer une vraie ligue du football amateur. Ce qui n’existe pas aujourd’hui. Aujourd’hui, ce n’est qu’une sous-commission de la FFF sans autorité juridique et morale. On demande la création d’une vraie ligue amateur dotée d’un vrai budget.
Si l’on se détache des différentes questions et des différentes problématiques englobant la Fédération et que l’on se consacre à l’Etat, quel avis portez-vous sur la politique sportive du gouvernement actuel ? En attendez-vous quelque chose de concret ?
Oui. Bien sûr. C’est pour cela que l’on a fait part de nos propositions. On a l’espoir, enfin, de bâtir une vraie nation sportive. S’il n’y a plus cet espoir-là, vous désespérez tous les bénévoles, tous les parents, tous les éducateurs de France. Si nous n’avons plus cet espoir-là, leurs missions n’ont plus de sens. Donc oui, on a encore un espoir fort en l’action publique pour bâtir une vraie nation sportive. On a demandé à être reçu par Laura Flessel, donc oui on y croit. On n’attend plus rien de la FFF maintenant malheureusement. Notre seul espoir aujourd’hui, ce sont les politiques…
Malgré les dernières déclarations ?
Surtout grâce aux dernières déclarations. Quand Emmanuel Macron appelle les joueurs et le président de la FFF à ne pas oublier d’où ils viennent, tous sans exception, c’est un message politique fort auquel on veut croire. Mais maintenant il faut des actes, et c’est ce que nous essayons d’amener via les propositions qu’on a faites : reconnaissance des bénévoles, création d’une ligue de football amateur pour que le football français avance sur ses deux jambes : une jambe professionnelle et une jambe amateur…
Mais malheureusement, les actes ne vont pas dans ce sens pour le moment. On assiste à un vrai double discours de la part du gouvernement Philippe. D’un côté, on assiste à la suppression de 270 000 contrats aidés en deux ans fragilisant ce foot amateur, de l’autre côté on remarque une baisse des dotations aux communes entraînant une baisse des subventions publiques, la baisse du budget du ministère des sports…
Je suis un garçon optimiste. Moi je crois à la réforme. C’est quand on gagne qu’il faut réformer. C’est quand on est champion du monde qu’il faut réformer. On a besoin d’un vrai plan pour le développement du football féminin par exemple. On pense, à l’AFFA, que la femme est l’avenir du foot. Pour le développer en profondeur il faut une stratégie, un calendrier, des moyens. Il n’y a aucun de ces éléments-là aujourd’hui.
Si on veut vraiment bâtir une nation sportive, je fais le lien avec Paris 2024 où la ministre parle de 80 médailles et de 3 millions de français et de françaises en plus pratiquant et profitant du sport, cela ne va pas se faire en claquant des doigts. C’est évident. Si nous voulons bâtir cette nation sportive il faut dresser un constat, des perspectives en y invitant toutes les parties prenantes. Aujourd’hui les victoires sportives françaises ne s’établissent pas dans la durée. Pour revenir à plus d’équilibre, il faut une vraie loi ambitieuse pour le sport français en s’appuyant sur ce qui marche bien.
Enfin, pour conclure, vous avez carte blanche. Pouvez-vous nous parler de l’AFFA ?
Aujourd’hui, la faiblesse du football amateur c’est notre désunion. Alors que notre force devrait être l’union. C’est pour cela que l’AFFA existe, afin de dire aux clubs amateurs qu’ils ne sont plus seuls. Afin de dire : « vous avez une association qui porte votre parole ». Mais si ces clubs n’y adhèrent pas eux-mêmes c’est qu’ils ne croient pas en eux. Et de là j’en viens à nos responsabilités à nous, dirigeants amateurs : il faut s’unir, travailler ensemble. Nous ce que l’on veut avant tout, c’est remettre les clubs au centre du sport, au cœur du football. On est un porte-parole, un syndicat mais aussi une boîte à idée. On ne fait pas que critiquer. On fait des constats, sévères, mais nous apportons aussi une contribution, des idées. On met des idées sur la table. Et des idées, c’est ce qui manque cruellement à la Fédération française de football depuis de trop nombreuses années.
Un immense merci à Éric Thomas, président de l’Association Française du Football Amateur, pour ces longues minutes qu’il nous a accordées. Vous pouvez retrouver toute l’actualité de l’association juste ici : http://www.affa.asso.fr/
Photo credits : AFP PHOTO / FRANCK FIFE