[Portrait] Haris Seferović, l’homme qui tombait à pic

Auteur d’un triplé lors de la victoire suisse face à la Belgique en Ligue des nations (5-2), Haris Seferović n’en est pas pour autant un grand joueur. Mais il est un héros, comme le football n’en produit que très peu. Récit d’un parcours atypique et épique.

Si Superman jouait au football, il ressemblerait à Haris Seferović. Le Suisse ne sort de l’ombre que pour secourir le peuple qui a désespérément besoin d’un but. Et c’est bien d’un superhéros dont la Nati avait besoin au moment d’affronter la colossale Belgique. Les Diables Rouges menaient rapidement 2-0 dans ce match décisif afin d’accéder au Final Four de la Ligue des nations. Personne ne voit comment la Suisse pourrait revenir dans cette rencontre et terrasser la 1re nation mondiale au classement FIFA. Et pourtant, après un penalty de Ricardo Rodríguez, Seferović va inscrire un doublé salvateur avant la mi-temps. Les buts de la victoire, qui seront ponctués d’une superbe tête croisée et qui resteront dans la mémoire d’un pays de 8,5 millions d’habitants. Mais les Suisses n’étaient pas surpris : Seferović a toujours été l’homme qui tombait à pic.

Roulé-boulé à Brasília

Le natif de Sursee, près de Lucerne, était un petit phénomène en 2009. Il flambait alors à la Coupe du monde des moins de 17 ans, inscrivant 5 buts dont celui victorieux en finale face au Nigeria (1-0). Le début d’une idylle avec la sélection. Quatre ans plus tard, les Suisses élisent son but à la dernière minute contre Chypre, au cours des éliminatoires au Mondial 2014, «but le plus important de l’année». Rien que ça. Précisons qu’il s’agit de son premier but en sélection pour son 3e match. Certes, son parcours en club s’avère chaotique, Seferović passant notamment par Neuchâtel Xamax, la Fiorentina ou Lecce sans s’imposer. Mais Ottmar Hitzfeld sait qu’il peut compter sur lui. Son avènement arrivera au Brésil, le 15 juin 2014.

Le soleil brille sur Brasília. Il est presque 15 heures et la Suisse va entamer son Mondial par un match nul (1-1) face à l’Équateur, avant de défier la France. Alors que 2 des 3 minutes de temps additionnel ont été consommées, l’Équateur a le dernier ballon. Valencia centre vers Arroya. «S’il vous plaît, non !», hurle le commentateur suisse en allemand. Et Behrami sauve les siens d’un sublime tacle. Il reste 40 secondes, le temps d’une ultime charge. Behrami sprinte balle au pied, subit une grossière faute mais effectue une roulade (!) afin de poursuivre sa course. Rodríguez est sollicité à gauche et prend le temps de s’appliquer. Il voit. Il sent. Il sait. Seferović va plonger au premier poteau. La magie opère. Le latéral trouve son attaquant qui fait rugir l’Estádio Mané Garrincha. «Tor, tor, tooooooor für die Schweiz !!!», s’égosille le commentateur. Ce n’est que le 2e but de Seferović avec la Nati, mais le plus crucial de sa carrière. Direction les 8es de finale de la Coupe du monde pour la Suisse.

Le miracle de Nuremberg

Faisons une pause. Haris Seferović est-il un bon joueur ? Posez la question aux supporters de Benfica, vous aurez sûrement un timide «Oui». Nous parlons ici d’un attaquant d’environ 1m86, qui peut aussi bien tirer du droit que du gauche que de la tête, et qui semble toujours savoir où se trouve le but. Malgré cela, sa pointe de vitesse reste limitée, tout comme son aisance technique. À vrai dire, ses caractéristiques dépendent d’une chose essentielle : la confiance. Mettez-le à Marseille et la gestion désastreuse des hommes par Rudi Garcia fera de lui l’individu le plus détesté de la cité phocéenne. Depuis plusieurs semaines, le Bosnien d’origine détonne à Benfica de par un jeu épuré, un poids conséquent sur les défenses adverses ainsi qu’une justesse et clairvoyance inhabituelle.

Pourtant, Dieu sait combien le parcours de Seferović jusqu’à Lisbonne fut laborieux. Avant d’aborder ses stats au Portugal qui feraient passer Enzo Crivelli pour un goleador, prenons l’avion. Cap sur l’Allemagne, et plus précisément Francfort. La réputation dont jouit Seferović à l’Eintracht en 2016 est catastrophique : avant le barrage retour pour se maintenir en Bundesliga, le Suisse n’a plus marqué depuis 1 403 minutes ! Néanmoins, il est bien titulaire à l’occasion du match ultime de la saison des Aigles (même surnom que Benfica, tiens…). Francfort ayant fait 1-1 à domicile à l’aller face à Nuremberg, il faut marquer. 0-0 à la pause et on monte à 1 448 minutes pour Seferović… Vous vous en doutez, si nous vous contons cette rencontre, c’est parce qu’un nouveau coup du destin va frapper. Sur un débordement du Serbe Gaćinović, Seferović met le pied en pur renard des surfaces pour mettre un terme à 1 465 minutes de disette. Francfort s’impose 1-0. Seferović entre dans la légende. Oubliez la Grèce antique, le héros des temps modernes est Suisse.

Des chiffres et désespoir

Ce n’est pas pour autant que l’avant-centre, transféré à Benfica l’année suivante, va voir sa carrière relancée. Sa première saison à Lisbonne fut des plus étranges. Il a marqué lors de ses… quatre premiers matches. Nouveau recrutement de génie du SLB ? Entre le 15 septembre 2017 et le 13 mai 2018, Seferović a inscrit… deux buts. Précisons qu’il n’a jamais été blessé et que sa mise au banc s’est faite par choix du coach. Et on ne peut pas louer sa qualité de facilitateur du jeu étant donné que, sur cette période, Seferović a réussi… deux passes décisives. Des statistiques faméliques, et le mot est faible. En l’absence du serial buteur Jonas, le Mexicain Raúl Jiménez lui était constamment préféré. Mais la patience et le dévouement de Seferović ont fini par payer : la blessure de Facundo Ferreyra (27 ans), venu du Shakthar Donetsk, conjuguée au départ de Jiménez et à l’absence prolongée de Jonas lui ont offert une opportunité qu’il a su saisir. Rui Vitória peut difficilement l’enlever du onze aujourd’hui. D’autant plus que la magie du Suisse a de nouveau frappé cette saison.

Les Aigles reçoivent l’ennemi juré, le FC Porto, qui a récupéré le titre de champion quelques mois plus tôt après l’avoir laissé quatre années durant à Benfica. Il faut laver l’affront. Oui mais voilà, le match se révèle de piètre facture. Si seulement le SLB possédait un joueur capable d’inscrire un petit but de raccroc… À qui le cœur que mime Seferović avec ses doigts pour célébrer le tremblement des filets causé à l’heure de jeu était-il destiné ? Peut-être aux socios qui l’ont définitivement adopté en ce 7 octobre.

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Fait amusant : suite à ce (joli) but à l’Estádio da Luz, le Suisse a effectué une Valbuena en se vautrant ridiculement après une tentative de glissade sur les genoux. C’est ça, Seferović. Un héros ? Un zéro ? Personne ne le sait vraiment. Mais une chose est certaine : l’homme est entier. Le footballeur aussi. Et beaucoup lui disent merci.

Crédit photo : Helder SANTOS / AFP

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J'aime beaucoup le foot. Et Marco Verratti. Surtout Marco Verratti.