Si le grand public cite aisément Thierry Roland, Thierry Gilardi ou Grégoire Margotton comme commentateurs marquants, un petit nouveau est en train de rapidement grimper dans la hiérarchie. Julien Brun, commentateur pour beIN Sports, a récemment été élu 3ème meilleur commentateur foot de France. Il revient pour nous sur son parcours et la vision de son métier.
Est-ce vrai que vous souhaitiez exercé le métier de commentateur depuis tout petit ?
J’ai toujours aimé le foot. Quand j’étais gamin, j’ai joué au foot dès que j’ai marché, en débutants. Ça a toujours été une partie intégrante de ma vie. J’allais chez mes voisins les après-midis et les soirées pour regarder des matchs avec eux. Après, durant mes études, j’ai voulu faire du journalisme spécialisé. J’ai hésité entre sport et politique mais pas très longtemps …
Et du coup, comment devient-on commentateur sportif ? Quel cursus suivre ?
Il n’y a pas de cursus obligatoire ou parfait. J’ai fais un cursus classique : fac, école de journalisme puis entrée dans le métier. C’est le plus simple pour être journaliste. Pour être commentateur, il y a une part d’acquis mais il y a une part d’inné. C’est aussi une question d’envie lorsqu’on se lance. Après, certains n’ont fait aucune école et ont démarré dans une petite radio ou ont lancé leurs propres productions … Il faut l’envie et un peu de chance. La chance joue. Je dis souvent que c’est une histoire de réseau, mais j’ai grandi en Picardie, je ne connaissais personne. Il n’y a rien d’impossible. Ëtre commentateur sportif, ce n’est pas être Thomas Pesquet. C’est accessible mais très concurrentiel. Il ne faut pas se mettre de barrière, beaucoup y arrivent sans piston. Et pour ceux qui n’ont que du piston, ça se voit rapidement !
Qui vous a donné envie d’exercer cette profession ?
Celui qui m’a tapé dans l’œil dès qu’il est arrivé à l’antenne, c’est Grégoire Margotton. Avant même qu’il soit le numéro 1 à Canal ou TF1, j’aimais sa manière de faire, son côté classe, distancié sans l’être vraiment. A l’époque, je n’avais pas d’autres références que la télé française. Depuis, j’adore écouter l’anglais Martin Tyler.
En parlant de vos confrères étrangers, on dit souvent que votre style est plus anglophone, mais est-ce que vous êtes tenté de vous inspirer de l’Italie, de l’Espagne ?
Au départ, il y a une question de langue. J’ai eu moins tendance à m’y intéresser car je ne le parle pas, ou bien moins bien que l’anglais. La langue anglaise passe bien avec le foot, le rythme, la tonalité, ça me correspond plus. J’aime un commentaire qui suit le rythme du match, qui est en accompagnement du match, et les Anglais le font bien. Dans le commentaire latin classique, je trouve que le commentateur est trop mis en avant. C’est une question de gout. Ça vient aussi du fait que je ne comprends pas ce qu’il se dit ! C’est une question de nature, je ne suis pas extraverti.
Pendant l’Euro 2016, un commentateur anglais que je connais bien, était en France et regardait la télé française pour écouter les commentaires français. Il m’a dit qu’en m’écoutant, j’étais l’un des leurs. Franchement, c’était le plus beau compliment qu’on puisse me faire : un commentateur anglais qui parle en français.
Les générations de commentateurs précédents avaient la particularité d’avoir généralement la voix grave. C’est moins le cas désormais. Est-ce que ça correspond aussi à ce qu’attend le public actuel ?
Thierry Roland n’avait pourtant pas la voix si grave ! Idem pour Christophe Josse qui est là depuis pas mal de temps… Il y a eu, et il y a toujours des voix graves, Margotton, Gilardi mais en France, il n’y a pas d’uniformité. Il y a toujours eu un peu de tout, et c’est pas plus mal ! Rien qu’à beIN, entre Omar Da Fonseca, Jean-Charles Sabattier, Christophe Josse ou moi, on a tous un style différent sur les voix, le rythme… Il n’y a pas une seule école française.
Est-ce qu’il y a des qualités que vous souhaiteriez prendre à Grégoire Margotton ?
Quelques tons graves ! Sa voix est chaleureuse et fait partie de l’empathie qui se dégage du commentaire. C’est agréable d’avoir quelqu’un qui vous emmène dans le match sans vous prendre pour un idiot. Sa façon de dire « venez, on va passer un bon moment ensemble ».
On a toujours l’impression que vous racontez le match, et non pas simplement le commentez. Comment travaillez-vous ce storytelling ?
J’ignorais que c’était le cas, ce n’est pas quelque chose que je travaille consciemment. J’ai la volonté d’avoir un fil conducteur, pas juste une litanie de mots. Mais je veux toujours raconter, sans inventer. Je me dis qu’on est là pour passer un moment ensemble, donc tout le monde va s’ennuyer si je ne donne que des noms, moi le premier. Je suis arrivé aux commentaires quand le métier a changé, quand on a demandé aux gens de commenter aussi pour le grand format proposé derrière. Il faut donc qu’on puisse découper ce que je raconte et qu’il y ait un sens global.
Est-ce qu’il y a une situation que vous redoutez commenter ?
Le pire qui puisse arriver, c’est par exemple le décès de Marc Vivien Foé sur la pelouse. La situation te dépasse, elle te touche personnellement, il faut en dire sans trop en faire. Si quelque chose de ce genre m’arrive, il faut gérer ses propres émotions sans faire de faux pas. C’est le pire qui puisse arriver. Je n’aime pas qu’il arrive quelque chose de grave à un joueur, les ralentis sur une blessure… J’ai peur de ce manque de subtilité ou de ne pas trouver la bonne balance entre informer et en rajouter. Récemment, j’ai commenté Caen-Nantes, et les supporters caennais ont fait un bel hommage à Emiliano Sala. Ce genre de moment, je me dis que mes mots peuvent être maladroits. Chacun peut ressentir ça à sa façon, donc le mieux est de ne pas parler, laisser les gens vivre l’émotion comme ils le veulent. Au-delà des faits graves, on ne doit pas dicter les pensées et les émotions. Sur une erreur d’arbitrage, on doit le dire mais c’est à chacun de penser si c’est un scandale, si c’est pas si grave…
Le métier de commentateur a-t-il vocation à évoluer ?
J’entends ça depuis longtemps, mais les nouvelles formes de commentaires sont difficiles à mettre en place. On a tenté les supporters commentateurs, c’est une bonne idée mais on ne peut pas systématiser ça, ça peut vite partir en bataille. Le commentaire seul, il manque quelque chose, notamment dans le rythme sur 90 minutes. Il y a des choses à améliorer mais le système commentateur-consultant fonctionne bien, avec l’apport d’un journaliste terrain en bord de pelouse. Ce qu’il faudrait, et ça arrivera sans doute un jour, c’est de laisser la possibilité aux gens d’avoir une piste avec juste le son du stade. Beaucoup de gens en ont peur dans nos métiers mais je pense que ce ne serait pas le cas. Je pense que pour la majorité des gens, le commentaire n’est pas l’ennemi, que les gens ont envie d’avoir ce rythme et qu’ils seraient nombreux à continuer d’écouter avec commentaires.
On entend de plus en plus parler de corporatisme dans le métier. Qu’en pensez-vous ?
Je ne le ressens pas vraiment. Ça existe peut-être mais je ne vois pas à quoi ça fait allusion. Il m’arrive de lire des choses qui m’énervent, d’autres qui me plaisent. De l’intérieur, je n’ai pas ce sentiment-là, mais ça reste un monde concurrentiel, on ne fait pas que se serrer les coudes, ça se met parfois des coups dans les chevilles. Pour moi le problème majeur, pour le journalisme en général, on part sur un journalisme d’opinion plus que de description, le fait que tout le monde se sente habilité à juger les choix des entraîneurs. Que ça existe pourquoi pas, mais que ce soit systématisé, ça me gêne. En ce qui concerne le foot, si on pense détenir la vérité, on n’a rien compris. Personne n’a la science infuse à ce niveau, et ça c’est cool. Il n’y a pas un type d’entraîneur, de système… Il n’y a pas de certitudes, et c’est ce que j’aime.
Pour finir, petite série de questions en rafales. Quel est le premier match commenté ? Quel sentiment avant le début du match ?
C’était en 2005, un match de Middlesbrough, avec un doublé de Viduka. Je ne me souviens que de ça. C’est incroyable que je ne m’en souvienne plus. J’avais très envie de commenter des matchs et je voulais savoir si j’étais fait pour ça. Merci Mark Viduka. Après le match, j’étais soulagé. Je ne savais pas si j’allais faire une grande carrière mais je savais que je pourrais y arriver.
L’équipe que vous aimez commenter ?
En ce moment, il y a Manchester City pour l’inventivité de Guardiola et le fait d’apprendre des choses. Et Liverpool pour l’excitation que génère cette équipe. J’adore Klopp et la façon dont il fait jouer ses équipes. J’adorais le Manchester United de Ferguson pour la même raison.
Le stade où vous préférez commenter ?
Le Westfalenstadion, où j’ai vécu de nombreuses belles soirées européennes. Au moment du match, ce stade gris devient ultra chaleureux et coloré.
Le joueur que vous aimez commenter ?
Il y en a un paquet mais j’ai longtemps beaucoup aimé commenter les matchs d’Arjen Robben. Désormais, c’est plutôt Eden Hazard.
Votre match référence aux commentaires ?
Depuis la dernière Coupe du monde, le match qui m’a plu, c’est le Belgique-Japon. A la mi-temps, on se regarde avec Bruno Cheyrou, on se dit, pour un huitième de finale, c’est un peu dur, il ne se passe pas grand-chose. Et la deuxième mi-temps est exceptionnelle. Tu sors de là, tu te dis que c’était une chance incroyable de vivre ça. J’étais content de ma propre prestation, ce qui n’est pas toujours le cas, mais j’étais cuit physiquement.
Le consultant avec lequel vous aimeriez collaborer et avec lequel vous n’avez jamais travaillé ?
Michel Platini. Ça me rappelle mon adolescence, je l’écoutais à la télé, il savait ce qui allait se passer, un 6ème sens. Je suis né en 78′ et l’Euro 84 est mon premier souvenir donc…
Le joueur que vous auriez aimé commenter ?
Maradona, ça aurait été bien. Le côté excitant était constant avec lui. Et Bruno Cheyrou ! C’est quelqu’un avec qui je bosse, qui est devenu un pote, mais avant de le connaître, c’était un joueur que j’aimais beaucoup. Il faisait partie de l’équipe de Lille avec Vahid, une équipe étonnante et attachante. Il y avait beaucoup de joueurs laborieux et lui régalait avec son pied gauche.
Un grand merci à Julien pour sa disponibilité.