[EDITO] Cristiano Ronaldo : bronze de Barbedienne

Mardi soir, la Juventus Turin s’est qualifiée en quart de finale de Ligue des Champions après avoir battu l’Atlético de Madrid 3-0. Trois buts inscrits par Cristiano Ronaldo, le plus iconique de tous les bourreaux.

Garcin, Estelle et Inès. Ce sont eux qui font vivre Huis-Clos, pièce de théâtre de Jean-Paul Sartre, réputée pour sa réflexion autour de l’existentialisme. Les trois personnages sont morts. Pire, ils sont en enfer. Une pièce où seuls trois canapés, un livre, une cheminée et un bronze de Barbedienne sont disposés. Oui, c’est cela l’enfer. Aucun moyen de se reposer, de s’échapper et de se détourner du regard de l’autre qui, en l’absence de miroirs, détermine le propre regard que l’on porte sur soi-même. « L’enfer c’est les autres ». Puis, même si l’on essaye de se soustraire de ces regards insistants et déterminants, sur qui tombe-t-on ? Le bronze de Barbedienne. On l’a oublié mais il n’a pas bougé. Tu ne peux pas l’esquiver. Il est là, te fixe, et te fait comprendre que, oui, tu es en enfer. C’est cette statuette qui fait comprendre à Garcin qu’il n’en sortira jamais, d’ailleurs.

Mardi soir, Juventus Stadium, Turin, 22h44, 41000 personnes. On est loin de l’esprit de Huis-Clos. Pourtant, le bronze de Barbedienne est bien là. Il recule, souffle, se lance et prend à contre-pied Jan Oblak. 3-0. Triplé de Cristiano Ronaldo. La Juventus est qualifiée, l’Atlético de Madrid est éliminé. Le Portugais continue ainsi de traumatiser toute une génération de supporters. En 2016, c’est lui qui transforme le penalty décisif et victorieux en finale de Champion’s League face aux Colchoneros. L’année qui suit, c’est grâce à un triplé en demi-finale retour de Ligue des Champions que le bourreau de Madère replonge ses victimes en enfer. Deux années et un exode plus tard : même sentence. Même quand il n’est plus là, il est là. Même hors d’Espagne, sa victime favorite n’a guère changé. Même débarrassé de la tunique du Real Madrid, c’est bien lui qui enfonce les supporters, le staff et les joueurs de l’Atlético. Pourtant, ces derniers se pensaient qualifiés, se voyaient tutoyer le paradis ou chuchoter dans les grandes oreilles de la plus belle des coupes. Puis, à chaque fois, il est apparu pour les rappeler à leur sort. Le match d’hier soir l’a encore confirmé : Cristiano Ronaldo est le bronze de Barbedienne de l’Atlético de Madrid.

Mais qui peut se vanter de n’avoir jamais subi sa foudre ? Qui n’a jamais été envoyé en enfer par Cristiano Ronaldo ? Pas grand monde. 10 avril 2007, quart de finale retour de Ligue des Champions, Manchester United explose l’AS Rome 7-1. CR7 inscrit deux des sept buts et endosse pour la première fois ce désormais célèbre costume de fossoyeur. En 2009, le Portugais écœure Arsenal en demi-finale retour de cette même compétition. Un coup franc de 40 mètres et un second but éliminant définitivement les Gunners. Parlons aussi de ses cinq buts sur les deux confrontations face au Bayern en 2017, son triplé face à Wolfsburg l’année précédente, son pénalty, à la 90ème, face à son club actuel, l’année dernière… Le Portugais a traumatisé ce sport de par ses prestations démentielles, son sang-froid clinique et ses records historiques. Le visage de Cristiano Ronaldo, nous y serons confrontés tous les week-ends, tous les mercredis et cela jusqu’à sa retraite. Son nom hantera nos esprits dès lors que l’un de ses nombreux records sera battu. Puis, même si nous décidons de couper tous liens avec le football, son égo monstre et sa dépendance à l’hypervisibilité nous rattraperont. Nous le verrons sur une jaquette de jeu vidéo, en slip dans notre télévision, à l’intérieur d’un magazine de fringues, collé sur des arrêts de bus, affiché dans des aéroports. N’importe où, n’importe quand. Jamais nous ne pourrons nous échapper de l’enfer que représente Cristiano Ronaldo. Cristiano Ronaldo est le bronze de Barbedienne du football.

 

Jean-Paul Sartre, Huis-Clos, 1944 :

  • Garcin : « Le type suffoque, il s’enfonce, il se noie, seul son regard est hors de l’eau. Et qu’est ce qu’il voit ? Un bronze de Barbedienne. Quel cauchemar ! »

Crédits photos : Jose Breton/NurPhoto

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