[Interview] Nicolas Lansalot : « J’ai dormi, mangé et respiré Messi et Ronaldo pendant cinq mois »

Ils ne s’affronteront pas en finale, mais ils seront à l’honneur ce vendredi soir sur RMC Sport (21h). À 24 heures de la finale de la Ligue des champions opposant Tottenham et Liverpool, la chaîne diffuse un documentaire exceptionnel de deux heures consacré aux deux plus grandes légendes de la Champion’s League. « J’ai rencontré un monstre », c’est un film dans lequel 50 footballeurs de renom racontent leurs affrontements avec Cristiano Ronaldo et Lionel Messi. Nicolas Lansalot, auteur du documentaire, nous dévoile la folle conception et les secrets de ce projet.

Comment est-ce que l’idée de ce documentaire a émergé ?

Il faudrait poser la question à Laurent Salvaudon (directeur de la rédaction de RMC Sport, ndlr), qui comme d’habitude, a eu une idée brillante. Je ne veux pas trop cirer les pompes de mon chef, mais si (rires). C’est une idée très simple mais qui s’est révélée très efficace. En fait, quand j’ai parlé du concept à mes amis ou des collègues, tous m’ont dit : « Alors, tu vas faire qui est le meilleur ? » Et justement, non. C’est tout ce qu’on ne voulait pas faire. On voulait entrer dans une radiographie très détaillée de ces deux joueurs. Et qui de mieux placés que les joueurs qui les ont affrontés pour nous le raconter ? On voulait éviter le débat.

Vous étiez nombreux à bosser dessus ?

Oui, on a été un bon paquet. J’ai chapeauté le projet depuis janvier et sollicité beaucoup de monde dans la rédac’. On a des reporters qui bougent tout le temps pour différents sujets, donc parfois on mutualisait. Si on avait quelqu’un qui allait voir Virgil Van Dijk, j’en profitais pour lui glisser 5 questions sur Messi et Ronaldo. On n’a pas toujours pu avoir des entretiens spécifiquement dédiés à mon sujet, même si ça a été souvent le cas. Donc on a été malin, et dès que quelqu’un dans la rédac’ faisait une interview, soit j’allais avec lui, soit je lui faisais poser des questions.

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Tu n’as pas séparé le documentaire en deux parties avec une heure consacrée à chaque joueur. Comment l’as-tu planifié ?

Je me suis fait une feuille où j’ai détaillé chaque aspect du jeu des deux joueurs. Mais vraiment dans le micro-détail, jusqu’à sa manière de contrôler le ballon, d’utiliser plus ou moins l’extérieur du pied… Il y a d’ailleurs des choses qui n’apparaissent pas, j’aurais pu faire 4 heures de documentaire. J’ai fait une liste de pages et de pages entières sur Messi et Ronaldo, en sollicitant aussi des avis autour de moi et en discutant beaucoup avec Laurent Salvaudon. Après, l’exercice de style a été de donner un sens à tout ça, de définir des parties. Je ne voulais évidemment pas faire une heure sur Messi et une sur Ronaldo, ça aurait été chiant et ça n’aurait pas eu de sens. Donc j’ai défini des thèmes, et j’ai essayé de les articuler les uns aux autres pour qu’ils se répondent de manière digeste et, je l’espère, intelligente.

« Honnêtement, la grande majorité préfère Messi »

Est-ce qu’il y a un témoignage qui t’a plus frappé que les autres ?

Pour ce qui est de la récurrence, la conduite de balle de Messi, c’est quelque chose qui revient tout le temps. (Il insiste) Tout le temps. Il y a d’ailleurs une bonne partie là-dessus, sur sa manière d’avoir le ballon qui lui colle au pied et de pouvoir changer de direction sans que les adversaires ne puissent intervenir. Les joueurs sont choqués par ça. Après, il y a des moments forts. Évidemment, le passage avec Souleymane Diawara. Des gens, et je peux les comprendre, disent qu’il se vante d’avoir blessé Ronaldo. Mais il raconte l’histoire plus en détails dans le documentaire. Il explique que Ronaldo chambre beaucoup avant et qu’il se sent un peu con après car il ne voulait pas passer en boucle sur YouTube, mais finalement, tout le monde a revu ces images. Mais c’était vraiment une belle rencontre avec Souley, un personnage haut en couleur. Ce témoignage et la manière dont il le raconte, c’est vrai que c’était quelque chose d’assez sympa, même si ça reste sur une blessure et je ne voulais pas du tout en faire l’apologie. Mais là, on est vraiment dans la rencontre. « J’ai rencontré un monstre. » Lui, à sa manière, il a rencontré Ronaldo.

Il y a pas mal de moments comme ça. Tout bêtement, avoir Sergio Agüero qui me parle de la conduite de balle de Messi… J’adore. C’est Agüero ! L’avoir lui pour te parler très précisément d’un point du jeu de Messi, c’est classe et c’est fort. Ou quand Vertonghen t’explique qu’il veut faire dégoupiller Ronaldo ! Là, ça montre vraiment le travail de fourmi que j’ai effectué. Pendant 4 mois et demi, j’ai vu des tas de matches. Dès que je savais qu’on allait pouvoir avoir un mec en interview, je me bouffais tous ses matches (contre Messi et Ronaldo, ndlr) pour aller trouver des micro-actions. Et quand je vois l’histoire de Vertonghen avec Ronaldo… Bon, ce n’était pas introuvable puisqu’il prend un carton là-dessus. Mais Vertonghen nous dit face caméra : « J’ai voulu faire prendre un rouge à Ronaldo. » Ce n’est pas la décla du siècle, mais dans le monde du foot qui est parfois assez tiède, c’est sincère. Et je trouve que c’est fort.

Même Makélélé. Je regarde des tas de matches de Makélélé face à Messi. À un moment, je n’en peux plus car il me reste plein de trucs à faire et seulement 5 minutes à dérusher. J’hésite à aller au bout. Et là, je tombe sur ce petit pont que Messi colle à Makélélé, et je vois sa réaction. Plus tard, on lui montre et sa réaction fait une superbe séquence dans le doc. C’était une belle récompense.

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S’il ne fallait garder qu’une caractéristique de Ronaldo, laquelle serait-ce ?

Son professionnalisme. Ils sont tous complètement bluffés par sa longévité au plus haut niveau et par les moyens qu’il s’est donné pour l’atteindre. Son travail, tout simplement. C’est un peu le cliché de « Messi a un don, Ronaldo est travailleur ». On est allés plus loin que ça, mais mine de rien, la force de travail et le mental de Ronaldo, ce sont des choses qui suscitent une admiration totale chez tous les joueurs. Honnêtement… la grande majorité préfère Messi, des discussions que j’ai pu avoir en off. Mais comme je te l’ai dit, je n’ai pas voulu faire un catalogue de qui préfère qui. Ça ne m’intéressait pas. Mais l’immense majorité est plutôt pro-Messi si je peux le dire ainsi. Mais tous sont très admiratifs du mental et du travail de Ronaldo.

« C’est compliqué de contacter des gens pour qu’ils racontent leurs humiliations »

Et une caractéristique à garder chez Messi ?

La conduite de balle. C’est revenu tout le temps. Sa manière de conduire le ballon, c’est une chose qui le différencie. Les joueurs admirent ce qu’ils ne savent pas forcément faire. Même si on parle de professionnels, pour eux, il est différent de ce point de vue. Le ballon qui lui colle le pied à ce point-là, qu’il fasse autant corps avec le ballon.

Le prochain objectif, c’est d’interroger Messi et Ronaldo l’un sur l’autre ?

(Rires) Je n’en rêve même pas. Peut-être quand ils seront à la retraite ! Mais on a essayé d’avoir des mecs du Real pour parler de Messi, et c’est compliqué. En plus, on sollicitait des joueurs pour parler de moments qui ne sont pas toujours agréables. Il y en a plein qui se sont prêtés au jeu, mais par exemple, j’ai contacté le Bayern Munich pour avoir Boateng (sur un but de Messi en 2015, l’Allemand se fait dribbler avant une chute ridicule, ndlr). Ils ont été très sympathiques dans leurs réponses, ils m’ont dit que c’était une question d’agenda. Et je les ai relancés car il n’y a pas longtemps, l’humiliation subie par Boateng est ressortie sur les réseaux sociaux, et il a lui-même répondu avec un petit smiley sur Instagram. J’ai relancé l’attaché de presse en lui disant : « Bon bah ça va, Jérôme il est cool pour en parler ! » Ils m’ont dit que c’était vraiment une question d’agenda, que la saison se terminait et que moi, de toute façon, je devais finir mon doc. Peut-être qu’il aurait voulu. Mais c’est compliqué de contacter des gens pour qu’ils racontent leurs humiliations.

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« J’ai une fille de 6 mois. Entre deux biberons, j’étais sur Transfermarkt à regarder le nombre de matches que Medhi Lacen avait joués face à Messi et Ronaldo »

Tu envisages de travailler sur d’autres gros documentaires du même style dans un futur proche ?

Oui, il y aura encore plein de belles choses (sur RMC Sport), c’est un format qui m’éclate. Honnêtement, c’est une chance unique que j’ai. Certes, j’ai continué d’autres activités dans la rédac’. Mais franchement, pendant 5 mois, j’étais quasiment intégralement détaché à Messi et Ronaldo. Et pour un journaliste sportif, c’est un kiff ultime.

C’était un sacerdoce, parce que même sur mes jours de repos… Pour tout te dire, j’ai des enfants en bas âge. J’ai une petite fille qui a 6 mois, et je suis sur le doc depuis 5 mois, donc fait le calcul. J’ai fait des nuits blanches parce qu’elle me réveillait ou parce que je pensais à Messi et Ronaldo (rires). Des fois, entre deux biberons, j’étais sur Transfermarkt à regarder le nombre de matches que Medhi Lacen avait joués face à Messi et Ronaldo. Il fallait être très réactif tout le temps. J’ai vécu, dormi, mangé, pensé et respiré Messi et Ronaldo pendant 5 mois. C’était fou. C’était génial.

Est-ce qu’il y a une dernière chose que tu aimerais préciser sur le documentaire ?

Quelque chose que je voudrais ajouter, c’est la dimension esthétique qui est très importante. J’ai travaillé avec Roméo Cristien. Je l’ai choisi parce qu’on avait déjà travaillé ensemble sur le documentaire Pochettino («Pochettino, l’entraîneur du futur»). Sans lui, le doc ne serait pas le même. Franchement, je lui accorde la moitié du résultat final parce que c’est quelqu’un qui est très inventif. Au-delà des actions, je suis allé sortir beaucoup de loupes, de ralentis, d’expressions faciales. Ça m’a pris un temps fou, des dizaines d’heures pour tout sortir. J’avais une matière folle, des heures et des heures de ralentis. Et lui, il a réussi à les harmoniser. C’est faire se répondre des expressions. Par exemple, je voyais passer un plan de Ronaldo qui remonte ses chaussettes. Je vois que c’est de la bonne qualité, donc je prends et je mets de côté. Et finalement, j’en avais un similaire de Messi. Avec son travail de montage, de mise en image et aussi de musique, il a réussi à en faire des jumeaux. Il y a une dimension esthétique dans le film qui, je pense, fait la différence et qui doit lui être accordée.

Un grand merci à Nicolas Lansalot pour son temps accordé et à RMC Sport. Le documentaire « J’ai rencontré un monstre » est à retrouver ce soir à 21h sur RMC Sport 1.

Crédit photo : Adrian DENNIS, Roman KRUCHININ / AFP

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