La Coupe du monde 2019 fut un succès populaire : jamais une compétition féminine n’a été aussi médiatisée et suivie. Mais depuis la victoire des Américaines, l’engouement et les revendications politiques laissent place aux interrogations. Tour d’horizon des enjeux qui attendent la pratique féminine après cette période faste.
Il aura donc fallu attendre 2019 pour que le football féminin connaisse les joies d’une compétition internationale médiatisée et portée par un engouement populaire. Pourtant, cette Coupe du monde n’est pas un point de départ pour la féminisation du football, et encore moins une finalité. Désormais l’heure est au bilan. Les instances doivent se poser les bonnes questions pour poursuivre le développement du football féminin. Car l’engouement autour de la compétition n’est qu’éphémère. Après cet événement sans précédent, les enjeux sont nombreux et présents à tous les niveaux.
« La première réussite de cette compétition, ce sont les petites filles qui veulent s’inscrire dans un club après avoir regardé des rencontres » constate Béatrice Barbusse, sociologue, dirigeante sportive et autrice du livre Du sexisme dans le sport. En effet, le nombre de licenciées (la FFF en totalisait 184 000 l’an passé) dépassera sans aucun doute la barre des 200 000 footballeuses, l’objectif fixé par la fédération. Si les chiffres sont séduisants, encore faut-il bien intégrer ces nouvelles footballeuses. « Il va falloir encadrer, fidéliser ces licenciées avec du personnel, des coachs… », explique Carole Gomez, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et co-autrice du rapport Quand le football s’accorde au féminin.
« Nous nous contentons des miettes »
Problème, les politiques mises en place par le gouvernement et les instances sportives sont loin de favoriser ces augmentations d’effectifs. Le nombre de contrats aidés a connu une baisse sans précédent : de 460 000 en 2017 contre 100 000 cette année. De son côté, la FFF a d’abord investi 86 millions d’euros dans le football amateur lors de la saison 2018-2019, sur un budget total de 250 millions d’euros. La fédération a finalement dégagé une enveloppe de 10 millions d’euros supplémentaires pour aider les clubs amateurs.
Pour gérer cette période post Coupe du monde, la FFF a aussi mis en place le plan “Heritage 2019”. Il se focalise sur trois secteurs : la structuration des clubs (ouverture de sections féminines…), la formation de joueuses, d’entraîneuses, d’arbitres et de dirigeantes ainsi que l’entretien et la construction d’infrastructures.
Au plus haut niveau, la majorité des joueuses ayant participé à la Coupe du monde vont retrouver l’anonymat dans leurs clubs, notamment en France. Pourtant, selon le rapport Quand le football s’accorde au féminin, la médiatisation est la clé de voûte de la féminisation du football. Un constat partagé par Béatrice Barbusse : « Aujourd’hui, un sport non-diffusé ne vaut rien. On ne peut pas construire un sport de haut niveau sans retransmissions TV. » La D1 féminine est actuellement diffusée sur Canal +, une chaîne « à péages » (comprenez payante), mais qui possède un vrai savoir-faire dans la valorisation des compétitions sportives. « Si la première division est sur une chaîne privée, c’est qu’il n’y a pas d’offre de la part du service public. Entre une chaîne privée et publique, le choix est évident… Mais nous devons nous contenter des miettes qu’on nous laisse. Forcément c’est difficile de grandir avec ces restes » explique la dirigeante. Reste à voir si après cette Coupe, les médias (qu’ils soient généralistes ou spécialisés) continueront de parler du football féminin.
Vers un nouveau modèle économique ?
La Coupe du monde doit certes générer des revenus et la FFF a conclu un contrat pour le naming de la D1 avec Arkema. La société versera un million d’euros durant lors des trois prochaines saisons. Mais jusqu’à présent, les aides attribuées par la FFF sont faibles. « Je touche 5000 euros par an de la FFF […] Ce sont d’ailleurs souvent les sponsors des garçons qui me disent ‘Allez, je donne 20 000 euros en tout, dont 5000 pour les filles’ » expliquait Laurent Nicollin, le président du club de Montpellier, dans une interview accordée à L’Equipe. De plus, les revenus générés par l’acquisition des droits TV de Canal+ n’ont pas été redistribués. Finalement, la plus grosse aide provient du football amateur : 50 000 euros pour chaque club. Et sur le terrain, le fossé entre Lyon, le Paris Saint Germain et les autres clubs ne cesse de grandir…
Les deux premières divisions féminines ne sont pas officiellement professionnelles. Elles sont gérées par la FFF et non la LFP, qui s’occupe de leurs homologues masculins.. La question d’une ligue professionnelle féminine doit donc se poser. Mais à quelle entité rattacher ces clubs ? La LFP ou une instance indépendante ? Si la première option est choisie, la carte du football féminin pourrait être grandement modifiée. En confiant ces deux divisions à la LFP, les clubs masculins favoriseraient sans aucun doute l’émergence de leurs sections féminines, au détriment de certains écuries historiques du football féminin (Soyaux-Angoulême par exemple).
D’une manière plus générale, c’est toute la question du modèle économique qui doit être pensé. Deux voies s’ouvrent au football féminin. La première est de suivre le chemin du football masculin, tout en sachant « qu’il est semé d’embûches et imparfait » selon Carole Gomez. « Il y a une ultra concentration des moyens financiers dans la pratique masculine. Il est possible de créer un modèle plus vertueux sur le plan moral » ajoute Béatrice Barbusse. La seconde option serait donc de créer un modèle différent de celui de la pratique masculine. « C’est quelque chose qui doit être réfléchi. Il ne faut pas hésiter à aller voir à l’international où des systèmes se dessinent. Aux États-Unis par exemple, les Américaines sont salariées par la fédération. C’est donc elle qui les paye. Cela peut être une piste de réflexion. » précise Carole Gomez. Mais pour l’heure, aucune tendance ne s’est dégagée. Il est encore trop tôt pour Béatrice Barbusse « Les différentes instances sont en train de faire bilan de la Coupe du monde. Laissons-leur du temps. »
Les instances, loin d’être des élèves modèles
Au sein de ces entités, le constat est sans appel : les femmes sont minoritaires, voire absentes. « Sur les 209 fédérations internationales, une seule était dirigée par une femme en 2014 » note Carole Gomez. En France, deux femmes font partie du comité exécutif de la FFF, qui comporte 12 membres. Pourtant, la présence de femmes à des postes importants dans les instances est aussi importante que la médiatisation. « Plus il y aura de femmes au sein des instances, plus leur point de vue sera compris, et surement pris en compte » assure Béatrice Barbusse. Mais la sociologue est pessimiste : « Honnêtement, je ne pense pas que grand-chose changera au niveau des instances avant que la génération d’hommes au pouvoir s’en aille. Loin de moi de dire qu’ils sont tous misogynes, mais le fait est que ces personnes sont là depuis plusieurs décennies. Regardez les progrès… »
Alors la féminisation du football doit-elle obligatoirement passer par les instances ? Les fédérations ont parfois été des freins dans la féminisation du football. De son côté la FIFA a publié sa première stratégie pour le football féminin l’an passé… « Compte tenu des promesses non tenues et changements qui traînent dans le temps, des voix s’élèvent pour créer des initiatives en dehors de la FIFA. Mais cela reste minoritaire pour l’instant. » explique Carole Gomez. « La pratique féminine est la nouvelle poule aux oeufs d’or de la FIFA, en termes de pratiquantes, mais aussi au niveau des consommatrices, et donc des revenus. Il va être intéressant de voir comment l’instance va gérer cette transition et les voix contestataires. »
Au-delà du football, la féminisation du sport est un réel enjeu pour nos sociétés. Car il peut permettre de s’émanciper et exprimer ses revendications. Cette édition de la Coupe du monde l’a démontré. « Elle a mis en avant des femmes qui réussissent. Des petites filles se sont rendues compte que ce qu’elles pensaient impossible était réalisable. Certaines joueuses ont pris ce rôle d’ambassadrices à cœur et prônent une émancipation de la femme et une consolidation de sa place au sein de la société. Le plaidoyer de la brésilienne Marta en est le plus bel exemple. » détaille Carole Gomez. Pour l’instant, il est encore impossible de déterminer les impacts de la féminisation du football sur la société. La chercheuse conclut : « Nous savons que le football peut-être un levier, mais nous sommes incapables de le quantifier pour l’instant. Nous sommes au tout début de la recherche, donc tout reste à faire. »
Crédits photos : Lionel BONAVENTURE / AFP