Dieu que le football est triste

Amoureux du sourire et de la joie naïve, au revoir. Une fois n’est pas coutume ici, pas de vestige heureux. Au sommaire du jour, la mélancolie, si douce mélancolie.

Le spleen. Que n’a-t-on reproché à cette disposition de l’esprit. Que n’a-t-on lu comme éloge de son émule, la joie.

Par monts et par vaux, le constat est unanime : le monde n’aspire qu’aux rires, à l’amour, à cette vie si claire et lucide qu’on en croirait presque qu’elle ne connaîtra jamais aucune fin.

Tel tableau signifie oublier que certains ne se remémorent qu’ils sont vivants que lorsqu’ils ont mal. La souffrance tant redoutée est pourtant un rappel à qui foulerait cette Terre avec orgueil.

Près du mur, vidé sur le côté…

Le fanatique de football, lui, n’échappe évidemment pas à ce fatum. Qu’il lui eût été facile de vivre dans un monde où les joies sont dispensées à tour de rôle et où l’on migre de club comme l’on change de brosse à dent, ci-tôt l’usure constatée.

L’illustre théorie du ruissellement y trouverait même son pendant footballistique : de la réussite des uns, des grands, des beaux, découlerait la réussite des autres, les avilis, les blêmes.

Tous vivraient leur heure de gloire à tour de rôle et tous y retourneraient encore, et encore, dans une boucle de joie toujours plus accélérée où, le temps avançant, tous finiraient par ne plus connaître qu’une incessante et sempiternelle félicité.

Mais ce beau monde, ici bas n’existe pas. Le nôtre n’est ni parfait ni même proche de cette perfection. Il frustre, il est rustre et il prend un malin plaisir à ronger toutes ces âmes naïvement naïves.

Car le fruit n’est défendu qu’aux pauvres âmes, demeurées dans le souvenir de l’instant, hier encore présent, où elles savaient vivre et survivre autrement que par procuration. Oui, c’est bien de vous, et non de vous seuls, dont il s’agit : Olympique de Marseille, AS Saint-Étienne, RC Lens, Hambourg SV, Milan AC, Deportivo La Coruña, Newcastle United!

… ma rage mûre s’est effondrée.

S’il n’est pas question de conduire le bonheur à l’abbaye de Monte-à-Regret (mal nous prendrait. Le malheureux est déjà si éreinté), il s’agirait alors de réhabiliter la douleur et son crédit.

Car c’est de l’existence de l’obscurité que découle l’existence de la clarté et réciproquement. Celui qui côtoie son club depuis tant d’années ne regrette le misérable pichet servi par la modernité que parce qu’il a connu le grand cru du siècle révolu.

L’Olympique de Marseille est le plus grand spécimen en la matière. Qui, l’oeil happé par la frénésie que déclenche l’arrivée de la ville phocéenne en terres étrangères, prétendument hostiles mais trop souvent secrètement éprises, pourrait réputer qu’il s’agit là d’un club qui a remporté un seul et unique trophée réellement majeur en près de trente ans ?

Car oui, la Coupe de la Ligue, plus communément appelée Coupe à Moustache, révérence et référence à feu (non physiquement, rassurez vous) Frédéric Thiriez, n’est plus réellement un trophée majeur, sa suppression étant programmée (il est fait mention d’une suspension, mais quel couple a jamais connu une pause qui ne lui ait été fatale?).

Qui pourrait nier le stupéfiant et héréditaire attachement des Lensois pour leur club, lui, devenu féru de l’ascenseur et qui ne leur sert de l’espoir sur un plateau que pour mieux le déchoir ?

Qu’est-ce qui peut bien motiver toutes ces pauvres âmes à continuer, encore et encore, à pousser, à nourrir un fol espoir alors que tout semble si ficelé ? Le PSG est là. Aucun Neymar ne permettra jamais à d’autres de rêver du beau et du grand. Aucun M’bappé n’acceptera jamais l’ombre d’un de ces pauvres pouilleux.

Taedum vitae, ou l’espoir derrière le masque?

Et pourtant. C’est pourtant renier que le désespoir est fédérateur tout autant qu’il est mobilisateur et instigateur.

Il fédère les conscients, ceux qui savent qu’une partie d’eux-même s’en ira sans eux. Il mobilise ceux qui refusent que cette partie là ne les quitte, les insubordonnés. Il instigue, enfin, à la revanche des nantis, combattants de la dernière heure.

Revanche, d’abord, car nul autre que la souffrance ne sait mieux remémorer à l’Humain qu’il est faible, que chaque instant le rapproche du dernier. Le temps passe, en football, comme ailleurs.

Revanche, ensuite, car de la défaite naît sa propre haine. La fierté est fille de l’humiliation, la victoire descendante du combat. Aucune montagne ne s’est jamais gravie par le sommet.

Revanche, enfin, car ce sont les cendres du chagrin qui font germer la fleur de l’espoir. Aucun esprit ne rêverait si le bonheur lui était infini. Aucune âme n’espérerait si le bien l’avait emporté.

Ce constat, nombreux sont ceux, dans un univers aussi passionnel que celui du football, qui l’ont compris. Les strasbourgeois, par dizaines de milliers, ont réappris à s’aimer lorsque leur club, quand, lui, se noyait encore dans les eaux sombres des basses divisions. Romance n’est pas soeur de luxure!

Le grand Liverpool n’a pas échappé à cet étau, lui qui avait connu tant de peine et de peines et qui, aujourd’hui enfin, retrouve de sa verve. Sa limpide rage rappelle à tous ceux qui versèrent, et versèrent, et versèrent encore des larmes qu’ils l’ont bien méritée cette joie, leur joie.

Le désespoir est mobilisateur. À Marseille, à Hambourg, à Milan, demain plus que naguère, la pluie d’hier fera germer la fleur du prochain. Mère de toutes les joies, sauveuse de toute notre foi, bénie sois-tu, douce souffrance.

Crédit photo : SPI / Icon Sport.

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Pour l'amour et la soif de revanche de l'Algérie.