Fulham 2010, l’art de griller la politesse

À l’aube de cette nouvelle décennie 2010, les cadors du football anglais étaient naturellement attendus dans le dernier carré de la Ligue des champions. Il n’en fut rien. Chelsea, Liverpool, Manchester United et Arsenal n’étaient plus en lice, et laissaient entrevoir les prémices d’un déclin éphémère du football anglais. Les mastodontes ne faisant pas le poids, le Royaume pensait vivre une saison sans saveur sur la scène européenne. Pourtant, un petit club de Londres, dont le palmarès se résume à deux titres de Championship et une Coupe Intertoto, fit sensation. Fulham, modeste cylindrée du Sud-Ouest de Londres, en surprit plus d’un. Le petit poucet de la Ligue Europa se mit à la chasse aux ogres, et se hissa jusqu’en finale. Un parcours tout en symbole, qui mit en lumière les ambitions d’un coach, et d’une équipe, à faire valoir leurs cartes devant l’Europe entière.

Un effectif à reconstruire

Un cycle basé sur 3 ans, et qui trouva ses origines dans l’arrivée de Roy Hodgson sur le banc des Cottagers en 2007. Une première saison où l’aventure faillit prendre fin. En effet, Fulham courait droit à la descente à 5 journées de la fin. Positionnés à une peu reluisante 19e place, peu de monde misait sur un maintien des hommes de Roy Hodgson. Respectivement à 2pts, 6pts, et 8pts de Bolton, Birmingham, et Reading, Fulham avait un pied et demi en Championship. Finalement, les Cottagers trouvèrent des ressources insoupçonnées et conclurent la saison en boulet de canon. 12 points sur 15 possibles, et un statut dans l’élite conservé. Une force mentale et un esprit de groupe qui naquirent très certainement à cet instant précis.

Le moment, surtout, de renouveler l’effectif, et d’insuffler une dynamique à ce club. Lors du mercato estival, Hangeland, Bobby Zamora, Mark Schwarzer ou encore Zoltan Gera posèrent leurs valises dans le premier club londonien de l’histoire. Un mercato malicieux, qui n’allait présager que du bon.

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Les résultats suivirent, et Fulham finit à une 7e place qualificative pour les barrages de Ligue Europa. Une prouesse due en partie aux prestations réalisées à Craven Cottage. 36 points pris, seulement 16 buts encaissés, une victoire 2-0 contre le champion en titre Manchester United, et un sentiment que cette citadelle pouvait faire tomber n’importe quelle équipe dans un bon jour. Couplé à cela, les Cottagers firent preuve d’une belle solidité défensive, en attestent leurs 34 buts concédés sur la saison.

Le début d’une grande histoire

Dans la lignée de l’année précédente, il y eut beaucoup de remue-ménage au sein de l’effectif blanc et noir. Riise et Duff, deux anciens joueurs de Liverpool et Chelsea, rallièrent Fulham. Ces mercatos permirent de créer une solide ossature. L’équipe fut orchestrée autour de ces arrivées, et Hodgson bâtit un 4-4-1-1 qui fit les beaux jours de Craven Cottage.

Bobby Zamora occupait le front de l’attaque soutenu par Gera, une association qui allait faire des ravages. Sur les ailes, Duff et Davies n’étaient pas en reste, bien soutenus par le double pivot Murphie et Etuhu. Dans les buts, Schwarzer veillait au grain, avec Konchesky et Hangeland en chefs de file pour faire régner l’ordre au sein de l’arrière-garde. Hugues et Baird complétaient la défense. Clint Dempsey, faisait office de joker de luxe.

L’aventure européenne débuta fin juillet. Les troupes de Hodgson n’eurent aucune difficulté à se sortir des griffes des Lituaniens de Vetra (3-0, 3-0). Le tour de barrages offrit plus de suspense, et des cheveux blancs au technicien anglais. Après avoir enregistré une victoire confortable de 3-1 à domicile, les Cottagers se firent peur, et concédèrent le 1-0 au retour à quelques minutes de la fin. Mais concentré pour atteindre son objectif, Fulham passa, et se qualifia pour la toute première Ligue Europa de l’histoire, qui vint remplacer la Coupe UEFA.

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C’était la seconde accession en C3 pour Fulham après leur parcours honorable réalisé sous la houlette de Jean Tigana, où les Whites se hissèrent jusqu’aux 16es de finale de la compétition. À cet instant de la saison, nul doute que les coéquipiers de Clint Dempsey auraient signé pour imiter leurs ainés. Pour entamer cette nouvelle aventure, Fulham tomba dans un groupe relevé en présence de l’AS Rome, le FC Bâle et le CSKA Sofia. Mais Fulham fit preuve d’une sérénité qui força l’estime, et prit 11 pts sur 18 possibles. Une seule défaite au stade olympique de Rome, et une seconde place synonyme de qualification pour le tour suivant. L’équipe venait déjà d’entrer dans l’histoire, en réitérant la performance de la bande à Van Der Sar ou Louis Saha. Solidement installés dans le ventre mou en Premier League, les Cottagers pouvaient s’engager pleinement dans ce second tour de Ligue Europa. Une volonté qui dénote énormément avec les discours actuels, stipulant qu’une équipe modeste ne peut pas jouer sur plusieurs tableaux.

Quoi de mieux pour commencer que rencontrer le champion en titre, le Shakhtar Donetsk ? Rien que ça. De fait, Fulham fut considéré, à juste titre, comme un outsider qui essayerait de tenir la dragée haute face au précédent vainqueur. Mais emmenés par le duo Zamora-Gera, qui marqua de son empreinte cette compétition, Fulham prit l’avantage 2-1 au match aller à domicile, et réussit l’exploit de ne pas céder au retour. Match nul 1-1, le rêve était toujours d’actualité.

Fulham-Juventus, le match d’une vie

Vint les fameux 8es de finale. Après avoir éliminé le tenant du titre, les Cottagers durent se frotter à la Juventus. Les Trezeguet, Del Piero et consorts. Le rêve était permis, le doute plus que présent. Mais les coéquipiers de l’inarrêtable Bobby Zamora lâchèrent les armes en toute fin de match aller. Défaite logique 3-1 au Stadio Delle Alpi. Résultat décevant, mais qui laissait place à l’espoir de renverser la vapeur dans un Craven Cottage des grands soirs.

Bobby Zamora était confiant, et ne craignait nullement ses adversaires. Du respect, certes, mais le sentiment de pouvoir réaliser quelque chose de grand face à la Juventus de Cannavaro : «Il ne court plus autant dans tous les sens, il est un peu plus âgé maintenant. Il veut se battre, te pousser, donc je suis sûr que je vais essayer de le faire courir et de le faire tourner dans l’autre sens.»

Pourtant, cette fameuse soirée du 18 mars connut un début catastrophique. David Trezeguet doucha les ambitions de Fulham, et inscrivit un but dès la 2e minute. Les jeux semblaient faits, le rêve envolé. Bobby Zamora remit les équipes à égalité quelques minutes plus tard, pour rappeler qu’ils n’étaient pas là pour faire de la figuration.

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Mais la trame de ce match prit un tout autre virage, à la 27e minute. Fabio Cannavaro, Ballon d’Or 2006 et auteur d’un tacle en position de dernier défenseur, laissa ses coéquipiers à 10 contre 11. Fulham voyait ses chances de passer ressurgir. Le rouleau compresseur londonien comptait bien en profiter. Gera fit trembler les filets à la 39e (2-1) et permit aux siens de rentrer aux vestiaires avec l’avantage. La seconde période reprit tambours battants. Gera s’offrit un doublé à la 51e (3-1). Fulham avait refait son retard, tous les voyants étaient au vert pour réaliser l’inexplicable.

Les minutes défilèrent, la pression ne redescendit pas. La lumière devait venir du banc. Clint Dempsey fit son entrée à la 72e. Il ne mit qu’une dizaine de minutes à se mettre en évidence. D’un somptueux piqué, qui rappelle étrangement une prouesse réalisée par un Français passé par Manchester, l’Américain mis Fulham sur orbite. La fin de match fut houleuse, et la Juve finit à 9 après l’exclusion de Jonathan Zebina.

Coup de sifflet final, Fulham pouvait laisser paraître sa joie incommensurable. Le club du sud-ouest de Londres venait sûrement de vivre la plus grande soirée de son histoire. Les sourires pleuvaient, les Cottagers venaient de poser un pied dans l’histoire, le second était en place de le rejoindre.

Pendant ce temps, Chelsea venait de subir la foudre de l’Inter de José Mourinho. Seuls Liverpool, Arsenal, United et Fulham représentaient, à ce stade de la compétition (quarts de finale), la Premier League. Il n’en restera bientôt plus qu’un.

La conquête de l’Allemagne

Après avoir dû écarter Donetsk et la Juve, Fulham dût se frotter à Wolfsburg, champion d’Allemagne en titre. Fulham fit une nouvelle fois office de challenger pour ce match. Ils durent surtout faire face à un duo redoutable, qui avait marqué les esprits en Bundesliga la saison précédente. Grafite, l’ancien Manceau, et Edin Dzeko, jeune attaquant en vogue. La tâche s’annonçait ardue, mais Fulham avait les armes pour passer au tour suivant. Désormais, le petit poucet pouvait regarder ses adversaires droit dans les yeux.

Imprenable à la maison, Fulham remporta la 1ère manche 2-1, avec un but de l’inévitable Bobby Zamora. Le retour s’annonçait périlleux, dans un stade où le Bayern s’était effondré 1 an plus tôt (5-1). Il n’en fut rien ici. Bobby Zamora, pour changer, inscrivit le seul but de la rencontre dès la 1ère minute. Les protégés de Hodgson ne tremblèrent pas, et résistèrent aux assauts des Allemands. Victoire 1-0 et accession au dernier carré. Les yeux d’outre-Manche allaient désormais se river sur le Sud-Ouest de Londres et du Nord de l’Angleterre. Manchester United subit la loi du Bayern, et Arsenal celle du Barça de Messi. Seuls Fulham et Liverpool demeuraient présents.

Une finale 100% anglaise était possible. Liverpool devait faire face à l’Atlético de Madrid en demi-finale. L’autre demi-finale opposait Hambourg à Fulham.

«Hamburg will host the final, Fulham will play it»

Hambourg, club mythique du football allemand et européen, n’avait qu’une idée en tête : remporter la Ligue Europa dans son stade du Volksparkstadion qui allait accueillir la finale le 12 mai 2010. De manière étroitement liée, Hambourg réalisait une saison en demi-teinte en Bundesliga, et loin des attentes affichées par le club. L’équipe fut aussi bien composée de joueurs prometteurs, à l’instar de Jérôme Boateng ou Jonathan Pitroipa, que de joueurs expérimentés et de renommée internationale, comme Zé Roberto ou Ruud Van Nistelrooy.

L’adversaire était donc solidement armé, et les Anglais devaient livrer une bataille sans merci pour accéder à la finale. Le match aller se déroula en Allemagne. Très attaché à leur structure défensive, Fulham prit une sérieuse option sur la qualification avec un match nul à Hambourg (0-0). Rien n’était fait, mais Fulham avait toutes les cartes en main pour s’offrir une finale historique.

Mais au retour, le script rêvé partit en fumée quand Petric ouvrit le score d’un coup franc somptueux, dès la 22e minute. Un coup de massue pour Fulham, qui devait désormais inscrire 2 buts pour se qualifier. Hambourg tenait sa place en finale et repartait confiant aux vestiaires. Bobby Zamora était bien muselé. La crainte fit peu à peu son apparition, les minutes passèrent, et l’exploit paraissait de plus en plus loin. Mais quand Bobby n’est pas là, c’est Gera qui apparaît. Après l’égalisation de toute beauté de Davies à la 69e, l’attaquant hongrois profita d’un cafouillage dans la défense pour marquer le but de la victoire (76, 2-1). Le stade était en fusion. Les Cottagers durent tenir jusqu’à la fin de la rencontre pour exulter et vivre un moment de bonheur en compagnie des supporters.

Pour en arriver là, Fulham avait écarté des monuments du football européen. Pas de politesse pour le petit poucet, qui avait décidé de bouleverser la hiérarchie et devenir, le temps d’une saison, l’attraction numéro 1 du football anglais. De l’autre côté, Liverpool fut éliminé par l’Atlético. il n’en resta plus qu’un, le plus inattendu.

Une finale pour l’histoire

12 mai 2010. Tous les regards étaient braqués vers le Volksparkstadion. Un stade où devaient officier ses hôtes. Des hôtes chassés par une horde de guerriers venants de Londres.

Atlético-Fulham. Une nouvelle fois, les pronostics étaient largement en faveur des Colchoneros. Fulham devait sortir le grand jeu face à l’armada madrilène. De Gea, Agüero, Forlan, Simão, Reyes pour ne citer qu’eux, étaient présents au coup d’envoi. Après avoir renversé bien des montagnes, Fulham se retrouvait nez à nez avec un mont. Mais la mentalité était intacte, Fulham ne pensait qu’à gagner. L’Angleterre était derrière son équipe avant cette rencontre comme le soulignait le capitaine Murphy : «Je pense que le soutien que nous avons reçu est vraiment incroyable. On est en quelque sorte le second club de tout le monde, en raison peut-être de notre esprit, notre position inhabituelle cette saison, que nous avons surmonté toutes les difficultés et battu tant de bonnes équipes. Je pense que les supporters apprécient le bon football et au cours de la compétition. Nous avons essayé de jouer de la bonne façon

Un parcours qui forçait l’estime et la sympathie des illustres personnalités du foot, en témoigne les propos de John Terry peu avant la finale : «Je souhaite bonne chance aux gars de Fulham, car ils ont brillamment réussi cette saison. C’était probablement inattendu pour tout le monde.»

Diego Forlan mit sur de bons rails son équipe en étant à la réception d’un tir manqué d’Agüero, pour ouvrir la marque à la demi-heure de jeu. Preuve d’un mental à toute épreuve, les Cottagers réagirent instantanément par Davies, et remirent les pendules à l’heure (1-1). La seconde période pouvait tourner en faveur d’un camp comme de l’autre. Les deux équipes se rendirent coup pour coup, et les gardiens furent mis à contribution pour garder leur équipe dans le match. De manière relativement logique, les deux équipes ne réussirent pas à se départager, et durent attaquer une prolongation. Un moment que Roy Hodgson connaissait mieux que quiconque, puisqu’il avait perdu une finale de Coupe UEFA aux tirs au but en 1997 avec l’Inter. Une douloureuse expérience qu’il n’espérait pas revivre.

Il n’allait finalement pas renouveler l’expérience. Puisque le sort du match fut rendu au cours des 30 minutes supplémentaires. À seulement 4 minutes de la fin, après un rush de Sergio Agüero, Diego Forlan reprit une nouvelle fois un ballon de l’Argentin et fit trembler les filets pour la seconde fois. Fulham était à terre et n’allait pas réussir à revenir au score. L’Atlético l’emporta 2-1 au terme des prolongations. Bien que défait, Fulham pouvait avoir la tête haute, et être fier de son parcours mémorable. Ils avaient fait plus que jeu égal avec leur opposant du soir, et représentaient la fierté de tout un peuple. Ce soir-là, en dépit de gagner, ils avaient fait quelque chose de plus grand : entrer dans l’histoire, comme l’affirmait Kelly, joueur de Fulham. «Quand vous y pensez, le fait pour une équipe comme Fulham d’être en finale de Ligue Europa est probablement un des plus grands exploits de toutes les équipes anglaises, en prenant compte du budget et de l’équipe

Cette magnifique aventure est à montrer dans toutes les écoles de football. Le jour où le petit poucet d’une compétition européenne n’a pas tremblé face aux cadors. Le récent vainqueur de la C3, le champion d’Allemagne, le club le plus titré d’Italie, et un vainqueur de Ligue des champions y avaient laissé des plumes. Cette année-là, le football anglais enchainait désillusion sur désillusion, ponctuée par une claque retentissante 4-1 en 8es de Coupe du monde face à l’Allemagne. Mais Fulham avait sorti sa plus belle cape, pour rappeler que la magie avait séjourné dans un petit stade du Sud-Ouest de Londres.

Crédit photo : Camera / Icon Sport

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Sinon, c'est si cool que ça d’être champions ?