En Premier League cette saison, il n’est pas le Frenchie le plus médiatisé, ni le rookie le plus clinquant. Si son poste et son club sont en cause, la faute revient surtout à cette trajectoire singulière qui l’a longtemps maintenu sous les radars, avant d’éclater au visage de l’Europe. Frédéric Guilbert est l’arrière droit d’Aston Villa. Et retracer son parcours, c’est conter l’histoire d’un mec qui n’a jamais cessé de croire en lui. Car Fred, c’est avant tout un état d’esprit. Hargneux. Combatif. Conquérant. Portrait du latéral français qui monte, mais qui sait avant tout défendre.
Made in Normandie
Dès l’âge d’enfiler des crampons, le petit Frédéric signe sa première licence dans sa ville de Valognes, cité de la Manche dévastée par la Seconde guerre mondiale, et fief de Jean-François Fortin, patron d’une coopérative laitière et accessoirement président du Stade Malherbe de Caen de 2002 à 2018. Une simple coïncidence géographique qui finira par avoir son importance. Car en 2013, après avoir gravi chaque étape du centre de formation du SM Caen qu’il a rejoint en 2008, le club ne propose au jeune espoir qu’un contrat amateur, refusé par le joueur qui se voit signer professionnel.
Avec le recul, le responsable du centre de formation, Sébastien Bannier, justifiera ce choix par un physique frêle, et une immaturité dans le jeu synonyme d’agressivité sans maîtrise et coupable de nombreuses fautes. Durant l’été, le président Fortin active ses réseaux, et Guilbert rentre dans son Cotentin natal, pour tenter de rebondir à l’AS Cherbourg. Le club, aujourd’hui en N3, est tout frais relégué de National. Dans ce projet remontée, à vingt bornes de la maison, le jeune Fred se donne à fond et se régale d’une saison pleine en tant que titulaire, disputant 28 rencontres sur 30.
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Malheureusement, l’effectif cherbourgeois, où il côtoie notamment Édouard Mendy, est à la dérive et finit la saison par une relégation en CFA2. Bien loin des attentes, et de l’US Avranches qui remporte une poule dans laquelle évolue également la réserve bordelaise, coachée par Patrick Battiston. En septembre, Guilbert tape dans l’œil de l’ancien arrière droit international, qui voit dans ce jeune élément un joueur de caractère pour renforcer son effectif, et qui décèle chez ce talent encore brut nombre de qualités à même de le mener plus haut que le CFA.
Malgré la tentative tardive du SMC de récupérer son ancien poulain, Guilbert quitte pour la première fois sa Basse-Normandie pour rejoindre Bordeaux, et la réserve des Girondins, où il brûle les étapes : alors qu’il n’a qu’une seule saison senior dans les pattes et qu’il débarque à peine au club, le jeune Normand s’affirme comme capitaine de la réserve au bout de quelques mois, goûte ses premières minutes en L1 contre Lens en avril, et signe professionnel en mai. Dans la foulée, il intègre définitivement l’équipe première lors de la pré-saison 2015, comme doublure de Mariano, qui part en juillet à Séville et que les dirigeants bordelais font le choix de ne pas remplacer.
Bien leur en a pris : avec Sagnol puis Ramé, le jeune défenseur s’affirme comme le joueur le plus utilisé de la saison dans l’effectif, où il alterne entre latéral droit et axial droit. En octobre, il est même appelé pour honorer son unique sélection nationale, avec les Espoirs, par celui qui n’était autre que l’entraîneur du SM Caen au moment de sa naissance, Pierre Mankowski. Titulaire indiscuté aux Girondins à seulement 21 ans, très apprécié des supporters bordelais, Fred Guilbert est enfin lancé. Du moins le croit-il.
Retour à l’envoyeur
Les arrivées conjointes de Jocelyn Gourvennec, Youssouf Sabaly et Igor Lewczuk redistribuent les cartes à l’intersaison 2016 sur les bords de Garonne. Fred dispute les trois premières rencontres de la saison, se blesse légèrement, et ne revient jamais dans l’équipe, n’entrant pas dans les plans du technicien breton. Toujours bordelais à la clôture du mercato, son salut viendra finalement… du Stade Malherbe, qui cette fois ne manquera pas l’occasion de le rapatrier. En octobre, le jeune latéral est prêté dans son club formateur comme joker médical, pour compenser la blessure de Mouhamadou Dabo, un des plus gros flops de l’histoire récente du club normand.
Le revenant joue le coup à fond, s’affirme rapidement comme le digne successeur de Dennis Appiah à droite de la défense, et signe une saison convaincante, pleine de caractère et de promesses. À tel point qu’il se voit rester en Normandie, et en donne même sa parole à l’homme qui a (re)lancé sa carrière, le président Fortin. Son contrat l’oblige toutefois à retourner en Gironde à l’été 2017, où Gourvennec pousse toujours pour un départ. L’affaire est dans le sac ? À un détail près.
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Brighton, fraîchement promu en Premier League, entre dans la danse en s’alignant sur les exigences bordelaises et en lui offrant un salaire trois fois supérieur à ce que propose Malherbe. Une somme mirobolante et un défi sportif qui feraient tourner la tête à beaucoup de jeunes joueurs, mais Guilbert reste fidèle à sa parole, et fait le choix de continuer de gravir les échelons par étapes, tout en s’engageant sur la durée dans un club qu’il connaît par cœur, qui saura le responsabiliser, et dont il est rapidement devenu un des chouchous du public. Voici donc Fred sous contrat professionnel au Stade Malherbe. Il aura fallu attendre quatre années et 1,5M€ pour boucler la boucle.
Ayant à cœur de rendre toute cette confiance sur le terrain, ce défenseur à l’engagement spectaculaire et à la grinta communicative s’affirme rapidement comme un cadre du vestiaire, et un taulier d’une équipe qui peine à envisager plus que le maintien année après année. Une situation pesante qui lui permet néanmoins de soigner ses statistiques individuelles. Avec un gabarit qui, de son propre aveu, l’oblige à anticiper les trajectoires, il est le joueur des cinq grands championnats européens à réussir le plus de tacles, et le deuxième à réussir le plus d’interceptions, lors de la saison 2017-2018. Des chiffres qui attirent les regards, et notamment celui d’Aston Villa, qui dépêche Olivier Monterrubio dans le Calvados pour le superviser.
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Alors que la saison 2018-2019, à l’image des deux précédentes, n’est encore qu’une éreintante lutte pour le maintien, Fred en profite une nouvelle fois pour étaler sa palette tactique, baladé par Mercadal et Courbis, évoluant tout à tour latéral dans une défense à 4 ou piston droit dans une défense à 5, mais aussi central droit et même ailier droit. Apprécié pour sa combativité d’un côté comme de l’autre du Channel, il décide de répondre favorablement aux sirènes anglaises au cours de sa troisième saison pro sur les rives de l’Orne. Un départ au moment opportun pour lui, au grand dam des supporters caennais mais au grand plaisir du président Gilles Sergent (qui a détrôné dans des conditions rocambolesques l’été précédent… Jean-François Fortin), tout heureux de pouvoir faire capitaliser une valeur marchande en anticipant la braderie qui se profile en cas de descente.
Le Manchois qui traverse la Manche
Le contrat est signé le 31 janvier 2019, laissant le joueur à la disposition du Stade Malherbe jusqu’à la fin de saison. Aston Villa est alors 12e de Championship. De prime abord, le défi peut sembler peu ambitieux. Mais à Birmingham, cette ville laborieuse symbole de la Révolution industrielle, magnifiée par les Peaky Blinders, sa signature lui offre à la fois l’opportunité de découvrir le football anglais pour lequel il semble prédestiné, de côtoyer John Terry, modèle de hargne devenu entraîneur adjoint des Villans, et de parfaire ses qualités dans l’exigence du Championship, tout en rejoignant un club historique du football européen, calibré pour viser la montée en Premier League dans un futur proche.
Auprès des supporters malherbistes, qui regrettent son départ sans jamais remettre en question son implication, il s’engage à maintenir le club dans l’élite avant de le quitter. Très concerné mais moins performant, à l’image de ses coéquipiers, il échouera finalement dans cette mission. Et sur la pelouse de d’Ornano, suite à la défaite contre… Bordeaux, qui condamne le SMC lors de la dernière journée, la déception le fait fondre en larmes. Nous sommes le 24 mai 2019.
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Trois jours plus tard, le 27, Guilbert est assis dans les tribunes de Wembley. Car depuis sa signature, une série de 10 victoires d’affilée a placé les Villans en 5e position, bien calés pour en découdre en play-offs, au cours desquels ils viennent d’éliminer West Bromwich aux tirs au but. La finale contre Derby les voit valider leur ticket pour l’étage supérieur (2-1). En trois jours à peine, Guilbert passe d’une descente en Ligue 2 à une montée en Premier League, un grand écart qui l’empêche de savourer pleinement cette accession, parti de Caen avec l’amertume de n’avoir pu tenir sa promesse.
From d’Ornano to Wembley real quick
Dès la reprise, le Normand est fin prêt à conquérir l’Angleterre. Débarqué à l’été dans les West Midlands, il monte peu à peu en rythme et ne perd pas de temps dans son acclimatation. Absent de la feuille de match lors des deux premières journées, il attaque la troisième comme titulaire, pour ne plus sortir de l’équipe. Au sein du club vainqueur de l’édition 1982 de la C1, il s’épanouit pleinement dans l’intensité britannique, s’éclate en tant que joueur de côté capable de répéter les efforts et de participer aux transitions offensives comme défensives.
Dean Smith aligne le Manchois le plus souvent en piston droit dans une défense à 5, lui qui, contrairement à beaucoup de latéraux modernes, est un vrai défenseur avant d’être un contre-attaquant. S’il est en progrès dans son utilisation du ballon, il n’hésite pas à rappeler aux mobylettes du championnat qu’un joueur qui a l’audace de tacler n’est jamais totalement éliminé, pour le plus grand plaisir de Villa Park. Peu inquiété par la concurrence de l’international égyptien el-Mohammady, pourtant en Angleterre depuis dix ans et titulaire indiscutable ces deux dernières années, sa première saison à un tel niveau est pour le moment une satisfaction personnelle, à défaut d’être une pleine réussite collective. «C’est une fierté par rapport à mon parcours, c’est surtout ça qui fait que j’en suis fier», confie-t-il à la presse locale bas-normande pendant les fêtes.
Et s’il était présent en tribunes pour assister à la finale des play-offs au printemps précédent, il n’aura eu besoin que de quelques mois pour fouler à son tour la mythique pelouse de Wembley, le 1er mars dernier, lors de la finale de Carabao Cup qui oppose les Villans à Manchester City. Bien aidés par la Coupe du Monde des Clubs au Qatar et l’équipe B alignée par les Reds, à qui ils passent un cinglant 5-0 mi-décembre, Fred et ses partenaires se hissent jusqu’en finale grâce notamment aux deux réalisations de leur numéro 24, au 2e tour à Crewe, et en demi-finale aller au King Power Stadium de Leicester, pour un important nul 1-1.
Si l’événement est l’occasion, certes assez inattendue, pour Aston Villa de conquérir un titre cette saison, ils ne parviennent hélas pas à faire déjouer l’ogre citizen (1-2). Cette jolie parenthèse maintenant refermée, il reste au promu à aller décrocher son maintien en Premier League dès que la saison reprendra ; au moment de la coupure, les coéquipiers de Jack Grealish étaient 19e avec deux points de retard sur le 16e, mais un match en moins. Une lutte acharnée se profile avec Bournemouth, Watford, West Ham et Brighton. Mais pas d’inquiétude: Aston Villa pourra compter sur la déjà riche expérience de son Frenchie en matière de saison galère et de mission maintien, pour atteindre au plus vite l’objectif qu’attend la moitié de Birmingham, et désormais aussi toute la Basse-Normandie. Car oui, cette saison, les Villans ont bel et bien un atout dans leur Manche.
Crédits photo : IconSport
Par Nicolas Raspe (@TorzizQuilombo)