[INTERVIEW] Coronavirus – Thomas Renault : « On est supporté toute l’année, on rend simplement ce qu’on reçoit »

C’est l’histoire de deux copains issus du foot pro qui décident de sortir de leur zone de confort en plein confinement. Depuis trois semaines, Thomas Renault, gardien historique d’Orléans (Ligue 2), et Martial Desbordes, recruteur du FC Nantes, remuent tous leurs répertoires pour mettre sur pied l’initiative un cœur, un maillot. Pour le personnel soignant et les plus démunis, ils ont fédéré plus de 120 sportifs professionnels liés à la région Centre-Val de Loire. Patrick Vieira, Olivier Giroud, Morgan Sanson ou encore Laurent Koscielny ont rapidement répondu à l’appel en offrant leur maillot. Ils seront prochainement proposés lors d’une grande vente aux enchères solidaire. Comment fait-on pour mobiliser le monde du sport pour la bonne cause ? Témoignages croisés.

Après l’arrêt des championnats, vous viviez tranquillement votre confinement, et puis vous avez décidé de remplir à nouveau vos calendriers. Comment vous est venue l’idée de cette action solidaire ?

Martial Desbordes : En fait, on a effectué un lien simple entre notre amitié, le confinement et notre volonté d’aider. On est pote depuis 20 ans, on s’est retrouvé confiné, donc avec beaucoup plus de temps. On s’est dit qu’avec nos réseaux bien fournis dans le foot, on pouvait utiliser ce temps pour faire quelque chose de bien. Le reste s’est fait assez rapidement et naturellement.

Thomas Renault : (Il complète) On a aussi entendu les difficultés du corps médical et des plus démunis. Ceux qui étaient laissés de côté pendant un confinement où chacun a pensé d’abord à ses propres intérêts. On a été touché et on a voulu monter cette vente aux enchères.

« Si on pouvait, on ferait même plus. »

Question un peu idiote, mais comment ça se passe une vente aux enchères en période de confinement ?

T.R : Tout se fait en ligne, on reste à la maison. On publiera un lien qui sera spécifique à la vente. Elle se tiendra du 24 avril au dimanche 3 mai. Les gens de la France entière pourront enchérir, comme pour une vente classique. Les dons seront ensuite répartis entre les hôpitaux de la région et l’association Les Mains Tendues.

On vous sent particulièrement marqués par ce qu’il se passe dans les hôpitaux.

M.D : On a une problématique actuellement… on parle beaucoup à la presse de notre action. On aimerait souligner davantage ce que fait le personnel soignant. Qu’est-ce qu’on apporte  dans cette initiative ? Finalement pas grand chose par rapport à eux. S’investir chaque jour pour sauver des vies, peu de métiers donnent autant d’importance à l’humain. Dans cette période de crise, ces gens enchaînent des journées infinies. Même après le boulot, ils déconnectent peu. Il faut être reconnaissant.

T.R : Moi, ce sont les témoignages des gens de mon entourage qui m’ont fait prendre conscience des choses. Depuis notre zone de confort, on a une admiration énorme pour ces personnes qui permettent au bateau de rester à flot. Ils nous supportent toute l’année, on rend simplement ce qu’on reçoit. Si on pouvait, on ferait même plus.

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« Cette crise sanitaire c’est l’occasion de se redéfinir dans la société »

En temps normal, ces préoccupations sociales sont plutôt éloignées des préoccupations du foot pro. C’est l’occasion d’une prise de conscience ? 

T.R : Cette crise sanitaire c’est l’occasion de se redéfinir dans la société. Des gens de tous âges, tous métiers, toutes origines sociales sont frappés. Notre engagement répond aussi à ceux qui n’ont pas la chance d’avoir notre sécurité. En janvier, un ami m’a proposé de faire une maraude, j’ai pris une claque. Un vrai retour à la réalité. Tu prends conscience de ta chance.

M.D : C’est sûr qu’à notre niveau, l’engagement ne semble pas forcément inné. D’ailleurs dans cette initiative, on ne fera pas tout parfaitement. J’ai encore en tête un commentaire négatif publié après notre premier article dans la République du Centre. C’est n’importe quoi. Nous on ne récupère rien là-dessus. En y repensant, je serais presque à remercier maintenant, on se remet en question et on apprend à être meilleur.

Pourquoi avoir choisi de vous focaliser sur le Centre-Val-de-Loire ?

 M.D : La réponse est plutôt simple, c’est notre région d’attache. Au niveau de la crise, on a été frappé par tout le boulot effectué à l’hôpital d’Orléans. À partir de là, on a eu à cœur de soutenir la région à laquelle on s’identifie.

 Et qui de mieux que le joueur le plus capé de l’USO pour représenter cette région (NDLR : Thomas Renault n’est l’homme que d’un club : l’US Orléans, il compte 269 matchs depuis 2002)

T.R :  C’est vrai qu’on souhaitait qu’il y ait une histoire derrière cette initiative, c’est important. La proximité, j’y tiens. Et puis, à Orléans, on entend surtout que la région est sinistrée de sportifs. Cette action solidaire et citoyenne, c’est aussi l’occasion de prouver le contraire. On a réussi à mobiliser des professionnels qui ont tous de belles histoires à raconter à travers les objets qu’ils nous ont proposés.

 Entre les joueurs, les agents et les journalistes que vous appelez et ceux qui vous appellent… ça va, la batterie de vos téléphones tient encore ?

 T.R :  Honnêtement, ça fait 20 jours qu’on est à fond. On téléphone au moins 6h par jour. En plus de parler avec les sportifs, il faut qu’on sorte le catalogue des objets qui seront mis aux enchères. Ça veut dire des photos, des descriptions, des notices et des posts sur les réseaux sociaux. C’est un boulot phénoménal. J’avoue que chez nous, les journées de confinement sont bien remplies.

Thomas, on ne le dira pas au club, promis. Tu as le temps de faire tes séances ?

T.R : (rires) Oui, quand même. D’ailleurs, hier, j’ai eu un entraînement, mais entre les sportifs et les notifications des réseaux sociaux, ça n’arrêtait pas de sonner de partout. J’adapte mon temps évidemment. Maintenant, on est pris dans ce projet qu’on a hâte de voir se concrétiser avec le début de la vente.

« Le plus souvent tout est réglé en dix minutes »

Un maillot de Patrick Vieira daté de 2006, des crampons d’Olivier Giroud, un maillot de NBA… il commence à y avoir de belles petites pièces dans votre collection. Est-ce que le contrat est rempli ?

 T.R : Largement. On est au-delà de toutes nos espérances. On pensait mobiliser 20 à 30 personnes, là on va quadrupler ce chiffre. C’est énorme. On a dû s’arrêter parce qu’après ça nous demande un boulot qu’on n’arrivera pas à terminer correctement.

C’est qui votre plus grande satisfaction parmi les participants ?

M.D : Des satisfactions, il y en a plein. Ça serait délicat d’en citer un plutôt qu’un autre. On a plein de sportifs qui ont joué le jeu. Peu importe le nom, ils ont tous assuré.

T.R : On a des noms prestigieux, mais finalement le message n’est pas celui d’un seul ou de plusieurs. L’idée c’est plutôt de souligner qu’on se bat tous contre la maladie en restant chez nous.

Apparemment, vous avez même refusé certaines participations ?

M.D : C’est vrai, enfin… on n’a pas refusé de façon indélicate. C’est juste qu’on a fixé un cadre à respecter. On tient à l’attache régionale de l’objet ou du sportif.

T.R : J’ajouterai qu’on voulait se distinguer des ventes aux enchères « classiques ». On veut vraiment que le sportif raconte l’histoire de son objet.

Vous devez avoir de belles petites anecdotes…

 M.D : La grosse émotion que j’ai eue moi, c’était avec Bruno Bini. Il venait d’être hospitalisé 4 jours avant. Il était en plein dans le ressenti et l’analyse du calvaire des infirmiers. On l’a senti vraiment  impliqué. J’étais ému après lui avoir parlé.

T.R : (Il coupe) Et puis, en plus, son lot est plein de symbolique. Il nous a donné le maillot de son premier match en tant que sélectionneur de l’Équipe de France féminine. Le match s’était joué à Orléans, sa ville, le jour des 30 ans de sa fille. Et puis, il y a aussi Giroud.

Olivier Giroud ?

 T.R : Oui, il avait promis de nous envoyer une paire de chaussures parce qu’il n’avait pas de maillot. Finalement, il en a envoyée trois. La classe.

M.D : Je pense également à Éric Bedouet. C’est le préparateur physique de Bordeaux. Il nous a fait don d’un maillot de Malcom qui était pour lui le joueur le plus proche de l’esprit caritatif de notre initiative. On pourrait continuer encore longtemps ces anecdotes. Vraiment, on a été en contact avec des gens extrêmement bienveillants.

Vous vous êtes sentis soutenus ?

T.R : Honnêtement, les mecs sont touchés. C’est vrai que l’attache régionale joue pas mal. Quand tu évoques le personnel soignant, certains savent qu’ils ont probablement étaient en contact un jour avec quelqu’un qui est aujourd’hui en train de se battre au quotidien. Certains connaissent même des gens qui galèrent aux urgences. Au-delà de ça, j’ai apprécié leur spontanéité à tous. Le plus souvent tout est réglé en dix minutes.

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« Sortir des logiques économiques pour penser »

On voit beaucoup de footballeurs qui s’engagent financièrement, certains rugbymen sont même partis aider directement dans les hôpitaux, est-ce que les sportifs ont vocation à s’engager davantage dans cette crise sanitaire ?

M.D : Moi je pense que les sportifs s’engagent déjà toute l’année. C’est pas forcément quelque chose qu’ils mettent en valeur. Là, j’ai l’exemple de Laurent Koscielny qui me vient en tête. Dès qu’il est sollicité, il répond. Dernièrement, il est venu à la rescousse d’une entreprise à Tulle, sa ville d’origine. Ils font plein de choses nos sportifs ! Beaucoup plus que ce qu’on pense ou lit. D’ailleurs, dans notre projet, certains gars nous ont demandé explicitement de ne pas être mis en avant.

Comment vos clubs respectifs ont-ils réagi ?

T.R : Alors à Orléans, on n’est pas soutenu par le club. Enfin, pas à ma connaissance en tout cas. C’est un peu dommage, mais bon, ça reste une initiative personnelle avant tout. Ils sont dans leur droit. J’ai quand même eu droit à un joli don du président, Philippe Boutron, qui est un ancien pilote de rallye. Je pense malgré tout qu’ils sont fiers de nous.

Du côté du FC Nantes, même son de cloche ?

M.D : Il y a eu un relais qui a été fait en interne pour promouvoir l’initiative vers les joueurs de la région. Ils ont été très pro. Normalement, j’ai une clause dans mon contrat qui m’interdit de parler à la presse sans accord préalable du club. Là, je n’ai même pas eu besoin de me justifier. Franck Kita et la présidence ont été dans mon sens.

Le football est une fête, comment l’imaginer sans son public ?

Après la vente aux enchères, il faudra repenser au ballon. Comment envisagez-vous le retour à la compétition ?

T.R : J’espère qu’on pensera d’abord à l’humain avant de penser à d’autres choses. On se bat depuis plusieurs semaines contre une maladie qui a emporté beaucoup de monde. Nous joueurs, on est les premiers acteurs de la décision qui sera prise. Ça veut dire que si on ne se sent pas en sécurité, pas la peine de reprendre. Et puis, le football, c’est aussi un sport populaire. On parle de terminer la saison avec 10 matchs à huis-clos. Le football est une fête, comment l’imaginer sans son public ?

Tu préconises une reprise plus tardive ?

T.R : Je pense qu’il faut d’abord sortir des logiques économiques pour penser. On parle de 280 millions de pertes si on ne finit pas à temps. Les droits TV de Mediapro doivent augmenter la saison prochaine. Peut-être qu’il faudrait mieux s’asseoir sur cet argent et repartir sur des bases plus saines.

Les débats de ces derniers jours te semblent-ils indécents ?

T.R : Les débats, ils sont là et ils vont continuer. De toute façon la décision doit revenir à l’État et non aux instances. Par contre, ce que je trouve beaucoup plus indécent, c’est la forme qu’on envisage de donner à cette reprise et notamment les tests. On entend tous les jours qu’ils manquent en France. Pendant ce temps-là, les joueurs pro devraient se faire dépister quand bon leur semble. C’est absurde et surtout égoïste.

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D’un point de vue sportif, Orléans est dernier de Ligue 2 avec 7 points de retard sur le premier non relégable, comment est-ce que tu envisages la reprise ?

T.R : Franchement si ça reprend, c’est un nouveau championnat qui commence. Avec un arrêt aussi long, les cartes vont être redistribuées. On va pas se le cacher, ça va être compliqué parce que jusqu’à présent, on a été régulier, mais dans le mauvais sens.

Et sur votre engagement, est-ce que c’est le début de quelque chose ?

M.D : On va déjà essayer de bien terminer (rires). On a mobilisé des sportifs, maintenant, il faut que les gens adhèrent. On a beaucoup de retours positifs, donc on est très optimistes. Pour la suite, il faudra voir où, quand, et comment donner du sens à un autre engagement.

T.R : On est en pleine réflexion et je commence à me dire que ça serait dommage de s’arrêter là. On saura bien assez vite s’il faut transformer l’essai.

Crédit : Iconsport

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