Les exilés #6 – Zacchary Meftah : « A Taïwan, le football prend de l’ampleur »

Ils ne sont plus que quatre. Quatre Français jouent encore au football en compétition officielle sur la planète. Une situation exceptionnelle provoquée par la crise mondiale du coronavirus. Jeremy Mawatu, passé par le centre de formation d’Auxerre, et Haik Musahagian, passé par Colmar, sont deuxièmes de Vishalaya Liga, première division de Biélorussie, avec l’Energetik-BGU Minsk. Pays où le président Alexandre Loukachenko voit dans le Covid-19 une « psychose », et où il a clamé à sa population que « mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ».

A des milliers de kilomètres de l’Europe, un pays fait office de modèle dans la gestion de la pandémie. Pourtant à proximité de la Chine, Taïwan n’a pas confiné sa population et ne compte pour l’instant que six morts, vraisemblablement grâce aux mesures de protection de sa population prises en amont par rapport à de nombreux pays. Deux Tricolores, Loal Perron (Taichung Futuro) et Zacchary Meftah (Taipei Lions), font partie des quelques étrangers qui évoluent en Taïwan Premier League. Le dernier nommé, attaquant de 24 ans, a répondu à nos questions sur sa vie footballistique et professionnelle dans la capitale du petit état insulaire.

Comment vous êtes-vous retrouvé à jouer au foot à Taipei, la capitale de Taïwan ?

J’ai commencé le foot vers cinq ans, j’ai joué dans un club de quartier à Lyon puis au FC Lyon. J’ai joué dans les équipes de jeunes, jusqu’en U19. Je me suis retrouvé à Taipei pour les études. J’étais à l’Iaelyon School of Management, une école de commerce, et je suis parti en échange à Taïwan. J’ai commencé à jouer au foot pour mon université, Tamkang University, en première division. Ça fait bientôt quatre ans que je suis à Taïwan. Je travaille en tant que spécialiste marketing pour une entreprise de nouvelles technologies et d’intelligence artificielle.

En jouant pour mon université, j’ai eu une offre pour faire un test à Hang Yuen, une équipe qui joue l’AFC, la Ligue des champions asiatique. J’ai fait un mois d’essai et ils ne m’ont pas pris mais les Taipei Lions m’ont repéré et m’ont proposé de jouer pour eux.

Comment est la vie à Taipei ?

Le mode de vie ici est beaucoup plus confortable pour moi. Je suis bien et je compte rester encore longtemps. La vie est plus facile, les gens sont beaucoup plus ouverts et très amicaux. Ils intègrent très bien les étrangers et ça m’a plu donc j’ai décidé de rester. La seule difficulté est que je vois ma famille qu’une fois par an. Ma famille comprend mon choix, tant que je suis heureux, ils sont contents. Ils me manquent mais ce système de ne venir qu’un mois en France me correspond assez bien. Parler chinois est assez difficile mais je m’en sors. Je peux avoir une conversation quotidienne et au niveau du langage du foot, ça va, c’est plutôt bien acquis.

Quel est le niveau du championnat et quel est le statut du football à Taïwan ?

Le championnat est professionnel, en première division en tout cas. Mon contrat est semi-pro parce que je travaille mais pour 90% des joueurs, ils ne sont payés que pour jouer au football. Le niveau est équivalent au National 2 à peu près, entre N2 et N1 je dirais. On s’entraîne cinq fois par semaine, le matin du mardi au jeudi et, pour certains, il y a des entraînements indoors en fin de journée.

Je pense qu’avec le peu de championnats qui se jouent dans le monde, ça attire un peu plus l’œil. Il commence à y avoir pas mal d’argent qui rentre dans le championnat. Ça s’organise mieux qu’avant et ça grandit de plus en plus. En revanche, ils ont ajouté une règle cette année, il n’y a que quatre places par club pour les joueurs étrangers ainsi qu’un seul joueur asiatique hors Taïwan. C’est donc plus limité.

Il y a huit équipes en Premier League et on se joue trois fois les uns contre les autres, d’avril à novembre avec une pause l’été. Comparé à l’Europe et aux pays alentours comme le Vietnam ou la Thaïlande, l’engouement est très faible. Mais ça prend de l’ampleur, je vois de plus en plus d’enfants s’y mettre. Le sport majeur ici c’est le baseball, et le basket aussi est beaucoup suivi.

Comment s’est passée l’intégration dans l’équipe et y a-t-il des attentes portées sur vous, en tant que Français ?

C’est ma troisième saison avec mon équipe. L’intégration s’est faite naturellement au début car on avait beaucoup d’étrangers et on avait un coach espagnol. Avec la nouvelle règle, j’ai perdu pas mal d’amis et de coéquipiers proches mais l’intégration se fait quand même avec les autres avec la passion, donc on se retrouve assez facilement.

Je ne trouve pas que l’attente soit plus forte sur nous. Il y a un nouveau coach qui en attend plus de tout le monde. A Taïwan, il n’y a aucun a priori vis-à-vis des étrangers donc en tant que Français, il n’y a pas plus d’attente. Mais j’essaye d’être à la hauteur et je peux faire mieux.

Une carrière consacrée uniquement au football vous intéresse-t-elle ?

Honnêtement, je ne sais pas. Si j’ai une bonne proposition au mercato d’été, pourquoi pas. Ce n’était pas mon projet de ne faire que du foot mais j’avais toujours ce rêve de jouer au plus haut niveau. Maintenant, ma famille s’est sacrifiée pour payer mes études et ma vie ici donc c’est un choix difficile. Mais si j’ai une bonne proposition, je pense que je suivrais mon rêve d’enfant.

On prend beaucoup Taïwan comme exemple de lutte contre le Covid-19. Il y a une image qui a fait le tour du monde, c’est celle de la reprise du championnat avec des matchs à huis clos mais avec des mannequins dans les gradins. Pouvez-vous nous en parler ?

L’atmosphère est assez particulière, surtout quand tu joues dans des gros stades comme le stade municipal de Taipei qui fait 20 000 places. Après, par rapport à la France et l’Europe, notre mode de vie n’a quasiment pas changé. Il n’y a pas eu de confinement, la situation est très bien gérée depuis le début. Il n’y a plus de cas depuis deux jours et ça revient à la normale. D’ici un mois, les stades seront rouverts au public. A Taiwan, on était tellement près de la crise que des précautions ont été prises tout de suite. Le port du masque est obligatoire dans les transports en commun et les magasins, on vérifie notre température etc., et ce, depuis deux mois. Les gouvernements en Europe ont un peu pris ça à la légère parce que c’était loin, la situation est particulière mais tant que ma famille est en sécurité, c’est le plus important.

Le championnat vient de débuter par deux défaites 4-0, face à Hang Yuen puis Tatung. Avec les Lions, vous jouiez le bas de tableau l’an passé, quels sont les objectifs cette année ?

Ça fait mal de commencer comme ça. L’objectif est le milieu de tableau, si on arrive à être quatrième ou cinquième, ce serait pas mal. On travaille bien et ça va porter ses fruits.

Si vous êtes en manque de football, la Taïwan Premier League est diffusée gratuitement sur la chaîne YouTube CTFA.TV. Les matchs ont lieu le dimanche à 10 heures, heure française.

Crédit photo : www.footballclubtaicheng.com

Interview réalisée par Alexandre Delfau

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