Yannick Cahuzac, l’exemplaire

 Lorsqu’il fallut trouver un titre à cet article, « exemplaire » ne fut pas le premier adjectif qui nous vint à l’esprit pour qualifier Yannick Cahuzac. Bouillant, combatif, agressif, courageux : tant d’autres mots du champ lexical guerrier viennent plus spontanément. Pourtant, ce terme s’est imposé comme le plus adéquat pour décrire l’homme aux 17 exclusions en professionnel. Quand vous avez eu la chance de le voir de près se battre pour les couleurs du SC Bastia, ce mot fait finalement figure d’évidence. Retour, donc, sur le parcours de Yannick Cahuzac, l’exemplaire.

SC Bastia, passionnément…

Né le 18 janvier 1985 à Ajaccio, enfant unique d’un père employé de banque et d’une mère infirmière, c’est logiquement dans l’un des deux clubs phares de la cité impériale que le petit Yannick fait connaissance avec le ballon rond. A quatre ans, il se tourne vers Mezzavia et devient un gazier. Mais le destin de Yannick Cahuzac ne pouvait pas s’écrire en rouge et bleu. Le jeune garçon porte l’un des noms les plus mythiques du football insulaire et, même s’il n’en était pas particulièrement proche, les exploits de son grand-père, Pierre, finissent par l’imprégner. C’est maintenant en bleu et avec la tête de maure sur le thorax que le jeune homme rêve son avenir dans le football. Comme son grand-père, Yannick passe du Gazélec au Sporting en 2002.

Après trois saisons à parfaire ses gammes, il débute en équipe première contre Amiens, lors de la saison 2005-2006. Petit à petit, le joueur devient un cadre de l’équipe turchini, alors en Ligue 2. Mais en mai 2010, le club est relégué sportivement en National. Pire : début juillet, la DNCG envoie le club en CFA (National 2 aujourd’hui). Finalement sauvé à la fin du mois sur décision de la FFF, le Sporting repart en National. Mais avec un seul mot d’ordre : la montée ou la mort.

C’est dans ce contexte difficile, où la tension est extrême, que l’histoire d’amour entre Yannick Cahuzac et le SC Bastia va prendre un tournant passionnel. Au terme d’une saison 2011-12 de haute volée (record de 91 points et invaincus à Furiani), les hommes de Frédéric Hantz retrouvent le monde professionnel tout juste un an après l’avoir quitté. Avec ce voyage au purgatoire, Cahu, resté au club, a gagné une place à part dans le cœur du peuple bastiais. Ce passage en Ligue 2 sera éclair pour le Sporting qui, sur sa lancée, remporte le titre de champion et son ticket pour l’élite. En réalité, les courbes de performances de Cahu et de son Sporting se suivent et se confondent.

Durant les 4 saisons qui vont suivre la remontée, le club du nord de la Corse va non seulement se maintenir en Ligue 1, mais il va en devenir une figure. 12e, 10e, 12e, 10e : Bastia et son petit budget s’installent en milieu de tableau et devient un véritable poil à gratter, capable de coup d’éclat retentissant (victoire 4-2 à Furiani face au PSG en 2015, finale de Coupe de la Ligue la même année). Cahuzac s’impose comme une figure de Ligue 1 sur cette période. Capitaine emblématique et ô combien représentatif d’une équipe habituée aux polémiques. C’est durant cette période que cartons et expulsions vont s’accumuler (38 jaunes, 7 expulsions et 4 rouges directs en L1 sur sa période bastiaise), lui conférant l’image d’un joueur agressif et rendant son personnage clivant. Comme le SC Bastia, en somme.

…à la folie

Après 4 solides saisons et de belles émotions, le club corse va vivre, en 2016-2017, l’une des pires saisons de son histoire. Un cauchemar. Et son capitaine va s’enfoncer en enfer avec lui. Dès la 1re journée, lors de la réception du PSG, Lucas Moura est visé par un supporter muni d’une hampe de drapeau au moment de frapper un corner. Un match à huis clos et 20.000 euros d’amende. En janvier, Balotelli est victime d’insultes racistes : 3 matches en huis clos partiel et retrait d’un point avec sursis. A cela s’ajoutent de fortes tensions intestines entre supporters et actionnaires.

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Le paroxysme est atteint le 16 avril 2017, avec le désormais célèbre Bastia-Lyon. Sans doute plus meurtri que quiconque par ce terrible enchaînement, Cahuzac ne contrôle plus ses nerfs. En 29 matches de championnat, il récolte 5 cartons jaunes, 3 « double jaunes » et un carton rouge direct. Malgré la combativité et la bravoure de son capitaine, le club ne résistera pas aux vents contraires et finira dernier du classement. Pire : le club, miné par une gestion catastrophique, présente des soucis financiers insurmontables. Après un été passé dans l’attente, entre espoirs et angoisses, le couperet tombe : le Sporting Bastia doit repartir de National 3.

A ce moment-là, Cahuzac a eu le choix. Il aurait pu rester chez lui, participer au redressement du plus mythique des clubs insulaires, contribuer à la rédemption de son Sporting. Mais il va faire un autre choix, un nouveau sacrifice. Lui qui en a déjà consenti tant pour jouer en L1 ne peut se résoudre à revenir en 5e division. Il va alors s’arracher à son île, à son club, et poursuivre sa carrière en Ligue 1. C’est la mort dans l’âme qu’il quitte l’île de Beauté, accompagné jusqu’à l’aéroport par ses frères turchini Gilles Cioni et Jean-Louis Leca. Eux aussi, il doit les quitter. Le peuple de Furiani dit au revoir à son Prince contraint à l’exil.

Le chouchou du Stadium

C’est au TFC que le Corse rebondit. Pour des supporters toulousains harassés par la culture de la médiocrité et la torpeur qui s’est installée dans leur club, l’arrivée d’un tel guerrier va s’apparenter à une respiration. Pourtant, ce n’était pas gagné. Quand il rejoint la ville rose, Cahuzac reste sur deux exclusions face aux Violets et nombre de supporters se lamentent de ce nouveau choix douteux de la direction téféciste. Que pourrait apporter un footballeur moyen, surtout connus pour ses excès d’indiscipline ?

Mais dès ses premières minutes sous la liquette violette, le natif d’Ajaccio rassure. Puis il séduit. Sa combativité, sa hargne plaise et surprenne presque dans un club qui s’est habitué à la tiédeur. Rapidement, les premiers maillots floqués « Cahuzac » apparaissent dans les travées du Stadium et son nom devient le plus régulièrement scandé.

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Malgré tout, Cahu n’est jamais un titulaire à part entière sur les bords de la Garonne. Ou plutôt ne l’est-il jamais quand l’équipe tourne bien, quand les nuages n’obscurcissent pas le ciel du Midi. Car quand l’orage se met à gronder, que le navire se met à tanguer, que le naufrage menace, Yannick est appelé sur le pont. Armé de sa gnaque, de son grand sens tactique et son expérience, Cahuzac stabilise par deux fois une équipe prise de fébrilité. Lors de ses deux saisons à Toulouse, le TFC se maintiendra avec lui à la barre lorsque les choses se sont corsées. Le club, orphelin de son gestionnaire de crise, explosera la saison suivant son départ.

Un général en Artois

C’est en ayant réussi sa mission et fort de l’affection du Stadium que Cahuzac quitte l’île du Ramier, direction Bollaert. Il aurait pu rester à Toulouse, vivre une autre saison en Ligue 1. Mais, fidèle à elle-même, la direction violette a traîné à lui proposer un nouveau contrat. Et quand celui-ci est arrivé, l’ancien Bastiais avait donné sa parole au RC Lens. Le voilà donc parti pour le nord de la France, les Corons, le peuple sang et or et ses amis Jean-Louis Leca et Guillaume Gilet. Mais surtout vers un nouveau grand défi : ramener enfin les Lensois en première division.

Dans les Hauts-de-France, le joueur retrouve un contexte proche de celui qu’il a connu à Bastia, avec une passion parfois irrationnelle et la pression. Ici pas question de maintien, mais de montée. C’est le seul objectif lensois, la seule obsession d’un club meurtri par 4 saisons au purgatoire et marqué par de cruelles désillusions. Dont le barrage perdu au retour face à Dijon au terme de la saison 2018-2019.

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Après un départ en demi-teinte lors des 5 premières journées de championnat, tant pour Cahuzac qui n’est pas titulaire que pour l’équipe, qui pointe à la 11e place, les choses se mettent en place. L’expérimenté Corse rentre dans le onze et n’en sort plus. Le Racing se hisse sur la deuxième marche du podium pour ne la quitter qu’une fois jusqu’à l’interruption du championnat. Le RC Lens est officiellement promu en Ligue 1 le 30 avril. Encore une fois, Yannick Cahuzac, taulier du milieu de terrain sang et or, a rempli sa mission. Dans une saison loin d’être aussi tranquille que l’évolution du classement peut les laisser supposer, le natif de Bastia a fait office de roc insubmersible, au point de finir la saison brassard au biceps. Après avoir conquis Furiani puis le Stadium, le numéro 18 artésien s’est mis Bollaert et son magnifique public dans la poche. En une seule saison.

L’histoire de Cahu

Finalement, si l’on devait établir le bilan de la carrière pas encore achevée de Yannick Cahuzac, que retiendrait-on ? Sûrement, d’abord, sa fougue et son courage à l’heure de défendre les couleurs de son Sporting. La folie qui saisissait Furiani quand le capitaine turchini stoppait une attaque adverse par l’une de ses interventions rugueuses. On retiendrait aussi, bien sûr, les nombreux cartons récoltés. Mais plutôt que l’expression d’une violence, comme le témoignage de la dévotion d’un homme pour un maillot, pour un club, pour son club.

On pourrait aussi retenir que Cahuzac a participé à deux sauvetages dans la ville rose, qu’il a conquis le Stadium et prouvé qu’il n’était pas le boucher auquel on l’a trop souvent réduit. On garderait également l’image d’un joueur capable de se muer en leader d’une équipe en quête de rédemption. On se souviendrait qu’il a contribué à ramener le RC Lens en Ligue  , malgré une énorme pression.

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Yannick Cahuzac, c’est aussi l’histoire d’un joueur aux qualités relativement limitées, dans un football moderne où l’exceptionnel est de plus en plus indispensable à la réussite. Un joueur qui, en dépit de ce manque de qualité intrinsèque et à force de travail, de professionnalisme et d’engagement, s’est fait une place d’indispensable partout où il est passé. Un joueur à qui son intelligence tactique aura permis de passer les caps, les uns après les autres, alors qu’à chaque fois peu l’en croyait capable.

C’est l’histoire d’un joueur qui, sans un mental hors normes, n’aurait peut-être que tout juste fait connaissance avec la L2. Mais qui, à l’orée d’un nouveau défi en L1, a finalement déjà disputé 370 matches professionnels (dont 172 en L1), connu 3 montées, 2 titres de champion et une finale au Stade de France avec son club de cœur. C’est l’histoire d’un enfant d’Ajaccio, devenu prince de Bastia, chouchou du Stadium et héros de Bollaert. C’est l’histoire d’un homme exemplaire, qui partout où il est passé, a fait l’unanimité. L’histoire de Yannick Cahuzac, c’est celle du joueur que l’on veut tous compter dans son équipe, celle d’un exemple pour tout jeune joueur qui aspire à faire carrière dans le football.

Crédit photo : Icon Sport

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