Ce week-end aurait dû marquer la reprise en grande pompe du championnat de National 2, au même titre que celle de la D2 féminine. Tout était prévu depuis le 18 février par la FFF, conjointement avec le Ministère des Sports. Les différents tours de Coupe de France disputés par les clubs amateurs avaient prouvé que les protocoles sanitaires, même alourdis de jour en jour, étaient applicables et appliqués. Le 3 mars dernier, le gouvernement a finalement suspendu cette reprise, expliquant son choix par la récente dégradation sanitaire sans plus de détails. Ni annulée ni reportée, interrompue depuis octobre, la 4e division française reste dans le flou le plus total.
La semaine dernière, un Collectif de clubs de National 2 déplorait dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux une «décision arbitraire, prise sans concertation avec les principaux acteurs». Une décision qu’ils présentent comme étant «injustifiable» sur les plans juridique, sanitaire, sportif et même socio-économique ; une décision que le ministère n’a même pas réellement pris la peine de justifier par des arguments étayés, se contentant d’évoquer l’aggravation de la situation sanitaire dans certaines régions de France, sans chercher de parade ni, visiblement, croire en leur protocole. Certaines rencontres en retard venaient pourtant d’être disputées lors du dernier week-end de février, tout comme les tours de Coupe de France de se succéder sans encombres.
La mobilisation de ces clubs de National 2 a le mérite de relever certaines incohérences dans la stratégie globale. Sur le plan de la santé publique, puisque l’évolution sanitaire était prévisible à la mi-février, et n’a pas non plus connu de dégradation inquiétante lors de la quinzaine qui a suivi, d’autant qu’aucune rencontre disputée sur la période n’a engendré de cluster. Sur le plan sportif également, avec une continuité des calendriers offerte au N1, championnat non professionnel géré par la FFF, et ce, alors même que la majorité des joueurs de N2 ont eux aussi le football comme principale source de revenus.
⚠️LA RÉPONSE DES CLUBS DE N2⚠️
— InfoN2 (@InfoN22) March 6, 2021
Les clubs de #N2 ont décidé de répondre à l’arrêt de leur championnat par une lettre ouverte signée du « Collectif des clubs de National 2 ».
Excellente initiative qui on espère portera ses fruits ! ⚽️ pic.twitter.com/6g1QEfUkyd
Pour le moment, 9 journées de N2 ont été disputées sur un total de 30. Le plan de la fédération était initialement de boucler la phase aller d’ici la fin avril, avant de couper chaque poule en deux et d’offrir la possibilité aux 8 premiers de mériter leur montée, 8 derniers de garder leur place à cet échelon. Même s’il risque de n’y avoir aucune relégation cette saison, puisqu’il n’a jamais réellement été question de relancer le N3…
Maintenant que ce plan est tombé à l’eau, à quoi ressemblera la suite ? Cette saison du championnat de N2 sera-t-elle terminée contre vents et marées, ou bien remise à zéro cet été ? Les parcours sans faute de Saint-Pryvé (6 victoires, 2 nuls en 8 matches) et de Béziers (6 victoires, 3 nuls en 9 matches) seront-ils récompensés un jour ou l’autre, ou bien balayés d’un revers de manche ? Autant de questions auxquelles la Fédération a fait le choix de ne pas apporter de réponses immédiates, s’offrant le temps de la réflexion et laissant acteurs du N2 envisager tous les scenarii possibles.
N2021
Toutes les compétitions du monde amateur sont interrompues depuis octobre, et pourtant, on jurerait que le National 2 (ex-CFA) n’a jamais autant investi l’actualité qu’en ce début d’année 2021. Nous avons eu droit au feuilleton varois de Mourad Boudjellal, qui a longtemps dragué le Sporting Toulon avant d’investir le Hyères FC en grande pompe. Nous avons appris le rapprochement du Vannes OC avec le City Group émirati. Puis nous avons attendu ce nouveau départ, suspendu juste avant un week-end de Coupe de France qui aura vu Jérémy Posteraro et ses coéquipiers de Canet-en-Roussillon devenir les héros de la semaine. Ils ont alors rejoint Rumilly-Vallières, Le Puy, Châteaubriant et Sedan au stade des huitièmes de finale, où avec cinq qualifiés, le N2 comptera plus de représentants début avril que L2 et N1 réunis, où seuls Toulouse, le Red Star et Boulogne-sur-Mer se sont frayé un chemin.
Plus qu’un rendez-vous de réserves professionnelles (12 sur 64 cette saison, soit même pas 20%), le National 2 est avant tout un championnat ultra-compétitif, où les 16 équipes qui composent chacune des quatre poules ont bien plus de chances de retrouver le N3 (trois descentes) que de goûter au N1 (une seule montée). Un format qui ne laisse aucune place aux approximations, raison pour laquelle y ferraillent certains clubs historiques de notre football hexagonal à la gestion hasardeuse, parfois depuis plusieurs saisons, et souvent avec des ambiances à faire pâlir nombre de stades de Ligue 2, du FC Rouen au Gazélec Ajaccio en passant par Sedan ou Toulon. D’autres pensionnaires ont eux aussi connu les échelons professionnels dans un passé pas si lointain, tels Vannes, Martigues, Louhans-Cuiseaux, ou ont pu fouler la pelouse du Stade de France comme Les Herbiers.
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Des noms, il y en a aussi quelques uns. Sur les bancs, avec Jean-Pierre Papin (Chartres) ou Cris (Grand Ouest-Lyonnais). Et sur les pelouses, où évoluent un certain nombre d’internationaux étrangers, des champions de France comme Clément Chantôme (Poissy), ou des mondialistes comme Mehdi Mostefa (Béziers). Autour d’eux, beaucoup de recalés des centres de formation ou des signatures professionnelles, dont certains finiront tôt ou tard par débarquer avec fracas au plus haut niveau. À l’image de Romain Faivre, encore inconnu à l’été 2020 alors qu’il enchantait la réserve monégasque, devenu aujourd’hui international Espoir valorisé à 20M€ par son club du Stade Brestois d’après L’Équipe de mardi dernier. Qui a dit que le National 2 n’était pas sexy ?
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Prenons un peu de recul, et constatons comme une autre géographie se dessine dans ces divisions. Un football plus éloigné des centres de décision politiques et économiques, sis dans des préfectures et sous-préfectures d’envergure moyenne, des banlieues de métropoles ou des villes rurales. Il ressemble finalement beaucoup à celui de notre enfance, lorsque Sochaux ou Auxerre portaient haut l’étendard tricolore en Europe. Lorsque Cannes formait les patrons de l’Équipe de France et Gueugnon remportait la Coupe de la Ligue (deux clubs eux-mêmes tombés aujourd’hui en N3).
Hélas, l’absence de recettes et l’incertitude sportive extrême du National 2 découragent généralement les éventuels investisseurs. Reprendre un club en 4e division et le porter jusqu’au professionnalisme est un challenge merveilleux dans Football Manager, mais une équation à de trop nombreuses inconnues en réalité, qui requiert de lui accorder beaucoup de temps et d’être porté par des passionnés de football attachés à leur fief, plus que par des fonds motivés par l’achat-revente rapide.
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Les plans de croissance échelonnée font alors souvent défaut aux promus une fois confrontés aux exigences déjà professionnelles du N1, sas composé de clubs qui n’ont d’amateur que le statut. La marche est souvent trop haute, et ces deux dernières saisons, deux des quatre nouveaux venus sont chaque fois redescendus immédiatement (Marignane-Gignac et Drancy en 2019, Le Puy et Toulon en 2020).
La plupart du temps dans les médias, le National 2 est présenté, à raison, par le prisme de la fragilité de son modèle, de sa fébrilité financière, de ses joueurs qui ont le football pour profession sans être reconnus comme professionnels. Une autre économie, un autre football, pas tout à fait pro mais plus vraiment amateur. Un «championnat de galériens, de smicards» pour reprendre les mots de Romain Molina. Un repaire de revanchards et d’oubliés, mélange d’ambitieux et de résignés.
Le constat est, hélas, indéniable : le football amateur français est dans un état préoccupant et va de Charybde en Scylla, les risques sanitaires et l’interruption de deux saisons successives venant s’ajouter à la suppression des contrats aidés, à la concurrence des autres disciplines ou au désengagement associatif des nouvelles générations. Nos sociétés contemporaines ont tendance à oublier la souffrance des invisibles, et l’accaparement de l’actualité footballistique hexagonale par ses championnats majeurs tend à rendre inaudibles les inquiétudes de ceux qui constituent la base de la pyramide. Une déconnexion béante et grandissante des décideurs pour qui le monde amateur ne représente pas beaucoup plus qu’un topic stratégique dans la course aux voix lors des élections fédérales.
Car le National 2 n’est que la partie émergée d’un iceberg qui fond à vue d’œil et part à la dérive. À mesure qu’on descend dans les divisions, que les contrats laissent place aux licences et les chemises aux survêtements, on se rappelle à quel point le football amateur est avant tout ce football qui ne se rentabilise pas mais représente tant. Qui «ne rapporte rien», à part de la passion, des émotions, des souvenirs, de l’humain. Ce lien social, ce rendez-vous hebdomadaire qui anime tant de villages et de quartiers. Ce football qui ne tient qu’à la force du poignet de milliers de bénévoles qui ne comptent ni leurs heures, ni leurs kilomètres, pendant que les clubs de nos premiers ballons fusionnent sur des cantons entiers pour ne pas disparaître.
La Haine 2
À l’heure où de plus en plus de nos concitoyens se désintéressent du football, à force de voir des logos rutilants défiler au pied de tribunes vides, on sent sourdre un mouvement, comme une pulsion, de retour à un football de proximité. Plus proche de chacun de nous, en termes de distance mais surtout de valeurs. Loin de ce secteur économique too big to fail, loin de ces SASP hors-sol qui nous procurent de moins en moins d’émotions à mesure qu’elles s’arment à coups de millions, nullement dérangées de réduire le douzième homme en une simple ligne déficitaire en billetterie dans leurs bilans comptables.
Toutefois, des motifs d’espoir subsistent : demandez à un Rouennais s’il préfère soutenir l’artificiel QRM en L2 ou le populaire FC Rouen en N2. Ce football à l’ancienne n’est pas mort, il a seulement besoin de toute notre attention et de toute notre affection. Il tient à nous de le faire vivre, de faire résonner les stades, de transmettre cet amour du ballon à ceux qui n’auront à leur tour plus qu’une envie : vivre (de) leur passion. Aussi dure que puisse être la chute, un passionné atterrira toujours sur ses pieds.
Chez Ultimo Diez, nous sommes attachés à ce football, de l’élite jusqu’à la base. L2, N1, N2, N3, ligues, districts, compétitions de jeunes… Le football est avant tout un sport populaire, le talent ne naît jamais sous statut pro, et loin des caméras, là où le ballon roule rarement droit, les émotions sont authentiques et l’engagement d’autant plus exemplaire. Ces derniers mois, nous vous avons illustré les difficultés des clubs ruraux et urbains en ces temps de Covid, et conté la préparation des clubs amateurs encore engagés pour le retour de la Coupe de France, heureux de retrouver les terrains mais circonspects face aux conditions de reprise, déjà. Nous vous avons fait rencontrer Seiti Touré (alors à Béziers, aujourd’hui à Angoulême), longtemps cadre de la réserve toulousaine, ou Florent Rouamba (Saint-Pryvé), qui a disputé la Ligue Europa et perdu une finale de CAN. Et nous continuerons. D’autres interviews suivront, d’autres récits, d’autres concepts. Des discussions avec plusieurs clubs de National 2 ont déjà été entamées pour reprendre le feuilleton vidéo avorté cette saison. Vous attendent des histoires, des trajectoires, et du jeu, forcément. Comptez sur nous.
Par Nicolas RASPE (@TorzizQuilombo)
Crédit photo : Icon Sport