[Géopolitique] Covid-19, boycott du Mondial 2022 et Qatar : on répond à vos questions

Spécialiste reconnu de la géopolitique du sport, Jean-Baptiste Guégan répond aux questions que vous nous avez posées le mois dernier, sur Twitter. Au programme : l’impact de la Covid-19 sur l’industrie du football, le boycott de la Coupe du monde 2022 et l’engagement du Qatar dans le foot après le Mondial.

@Jeff_bvlcqua : La crise du Covid a-t-elle joué un rôle dans l’importance des influences (géo)politiques dans le monde du football ?

La Covid-19 a bouleversé l’industrie sportive et l’industrie du sportainment dans laquelle le football prend une part considérable. Elle a fragilisé les modèles économiques de tous les sports, touchant aussi bien les disciplines individuelles que collectives. Pour le seul football, les pertes s’élèvent à plus d’un milliard d’euros en France. À l’échelle européenne elles sont multipliées par près de dix ! Le coronavirus a fait vaciller le Dieu Football sur son socle et son économie qui était en pleine croissance depuis un peu plus d’une décennie.

On peut identifier trois bouleversements. Le premier est le rapport de force entre les championnats qui a été modifié. D’abord prime aux leaders, à savoir la Premier League et la Bundesliga, qui se relèveront le plus vite. Le championnat anglais devrait garder son statut de leader financier, malgré les pertes de revenus qu’ils soient issus des segments «matchday», droits TV et marché des transferts. La Bundesliga, avec sa fameuse règle du 50+1 (que nous vous avons expliqué ici), se prémunit d’une avarie d’un investisseur étranger.

L’écart entre la Premier League, la Bundesliga et la Ligue 1 va se creuser

Évidemment, le train de vie va se réduire, avec des transferts moins élevés, une augmentation des prêts et une augmentation de l’âge moyen des joueurs transférés. À ce titre, les clubs allemands continueront à lorgner sur les joueurs français, mais soit ils opteront pour des prospects un peu plus âgés, ou un peu plus jeunes pour optimiser leurs coûts d’acquisition. L’écart entre la Premier League, la Bundesliga et la Ligue 1 va se creuser, c’est une évidence.

La Liga et la Serie A sont pour leur part davantage fragilisées en attendant de savoir si CVC Partners réussira à entrer au capital de la ligue italienne. Les deux ligues n’auront pas les mêmes chances que la PL ou la Bundesliga tant que le public ne sera pas revenu dans les stades. Les investisseurs étrangers – les Chinois se désengageant – ne seront pas les recours espérés. Nombre des clubs de ces deux championnats risquent de ne pas avoir la surface financière nécessaire pour faire face à un redémarrage majeur du football anglo-saxon.

La très forte intensité compétitive des championnats du «Nord» et la relance du football européen se fera au détriment des autres championnats et creusera les inégalités entre clubs et entre championnats au profit des plus forts.

Les clubs de 2e et 3e division principales victimes de la crise

Cela devrait se traduire dans les faits par un retrait relatif sur l’échiquier européen des clubs comme le Barça et le Real Madrid. Jadis dominant l’Europe, ils devraient se faire plus discrets, minés par des dettes importantes. La fragilisation des comptes de ces clubs met ainsi du plomb dans l’aile aux rumeurs Haaland ou Mbappé.

Les clubs qui devraient payer le plus lourd tribu de l’après Covid-19 seront ceux de 2e et 3e division. Leurs business model est basé sur les revenus de billetterie et le transfert de jeunes espoirs, deux domaines fortement affectés par la pandémie. Face à la diminution drastique de ces postes de revenus, ces clubs vont se retrouver en très grande difficulté financière et de très rares iront peut-être jusqu’au dépôt de bilan. Pour retrouver une folie des mercatos comme nous l’avons connue ces dernières années avec en apothéose le big deal de Neymar, il faudra attendre 2 à 3 ans.

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La crise du Covid a fragilisé les visions classiques du football mais elle va amener tous les acteurs, des clubs aux instances, à se laisser tenter par une sorte d’aventurisme financier. Il leur faut trouver des revenus et à cet effet, toutes les options sont à l’étude. Plusieurs stratégies se dessinent. La stratégie italienne consiste par exemple à jouer avec les règles de la comptabilité (échange pour le moins croustillant entre Pjanic et Artur ou d’Aké et Tongya) afin d’éviter un dépôt de bilan et passer l’écueil de l’audition de la DNCG locale.

Répondre à l’appel aux sirènes des fonds d’investissements plus ou moins vautour est une autre option. Ces institutions financières savent qu’à moyen terme, le foot restera le sport dominant. Elles s’engageront, sachant qu’elles peuvent prétendre à de fortes retombées d’ici 3-4 ans. Seul écueil : ces fonds vont demander un fort retour sur investissement au risque de laisser de côté les fondements du football européen comme la formation ou la santé des joueurs.

Une troisième aventure est possible avec l’arrivée d’investisseurs de nature différente dans les compétitions, et non plus dans les clubs. Ils seraient rétribués sur les audiences des évènements et sur les retombées économiques associées. À l’instar du deal entre CVC Capital Partners et le Tournoi des Six Nations en rugby, les opportunités se multiplient dans le sport. On se souvient notamment que SoftBank (banque japonaise) avait initié l’hypothèse d’une Ligue mondiale il y a un an et demi avec
divers acteurs notamment saoudiens, une initiative vue d’un bon œil par la FIFA. On peut imaginer l’arrivée de ces nouveaux acteurs au sein des Ligues. À ce titre, la LFP, dans le cadre de la création d’une société commerciale, n’exclut pas d’accueillir un fond d’investissement comme la
Serie A l’a fait avec CVC Capital Partners.

On est aujourd’hui dans une nouvelle étape de la financiarisation du football, notamment en Europe, qui peut-être inquiète et qui va être accélérée de manière exponentielle par la pandémie. Les financiers et les décideurs du foot perdent de vue et minimisent un paramètre qui pourrait
déjouer tous leurs plans : la désaccoutumance du public.

@FCGeopolitics : Un boycott généralisé de la Coupe du monde 2022 au Qatar est-il crédible ?

Il n’y en aura pas. Il n’y a eu qu’un seul boycott dans le foot : un match qui a opposé le Chili et l’URSS en 1973 et il n’a débouché sur rien. Du point de vue des relations internationales, le boycott ne fonctionne pas. C’est une stratégie très «Guerre Froide», très années 80 qui a montré ses limites voire son incapacité à changer les choses. Il n’a qu’un intérêt, c’est mettre en avant ceux qui appellent au boycott et faire du bruit sans réellement considérer les enjeux et peser sur les acteurs. L’appel au boycott est aujourd’hui seulement profitable à ceux qui en parlent.

Aujourd’hui, ce qu’on voit se développer, c’est davantage le semi-boycott : on laisse les sportifs concentrés sur leur seul domaine de compétences, à savoir le terrain, et c’est aux personnalités politiques de construire un rapport de force en ne venant pas assister aux évènements. Une stratégie qui a eu lieu lors de la Coupe du monde 2018 et qui s’est avéré plus efficace car on montre sa désapprobation en tant qu’État, sans peser sur le destin des compétitions et des sportifs.

En effet, le boycott n’est pas une stratégie payante et surtout elle prend en otage les joueurs qui n’en connaissent pas les tenants et aboutissants, ni tous les enjeux. Par ailleurs, c’est un peu trop facile de jeter l’opprobre sur un footballeur qu’on accuse de cautionner un évènement comme la Coupe du monde ou de toujours cibler le football. Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas lui qui a permis au pays hôte d’organiser cette manifestation et encore moins lui qui est responsable des agissements dramatiques des constructeurs sur les chantiers.

Le boycott favorise l’instrumentalisation du sport

Quant au football, il sert de bouc émissaire idéal. Quelle différence entre la construction des stades à Doha et celle du Louvre Abu Dhabi ? Le football a bon dos et permet de s’acheter une conscience à peu de prix. Cette pratique du boycott a en outre tendance à déresponsabiliser les États et à favoriser l’instrumentalisation du sport. Elle fait porter la responsabilité sur des acteurs individuels ou institutionnels, alors que ce sont les États qui créent les rapports de force qui permettent éventuellement les changements.
En France, comme nous l’avons expliqué récemment, on a vu que ce n’était même pas une option envisagée par la fédération pour des raisons commerciales, politiques ou encore de gouvernance interne. Aller sur place et se faire entendre in situ serait plus efficace. Le boycott prive le pays qui reçoit et notamment sa population d’une rencontre avec l’extérieur qui est toujours profitable.

@U298103 : Selon vous, quelle sera l’évolution de la stratégie de soft power du Qatar via le sport après la Coupe du monde 2022 ?

Depuis près de 12 ans, la stratégie du Qatar est une réussite qui sera ponctuée par l’organisation de la Coupe du monde l’an prochain. Elle a empêché le Qatar d’être menacé voire envahi et lui a permis de gagner en visibilité, en rayonnement, de positiver son image tout en bénéficiant d’opportunités pour le présent et l’avenir. Cette stratégie lui a permis également de préparer l’après-pétrole en montant une industrie autour du sport avec Aspetar, Aspire, le PSG et toute l’offre autour de la SportTech.

À l’instar de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, Doha a pour objectif de diversifier son économie et de développer, via ces start-ups de la SportTech, une économie typique du XXIe siècle. Elle devrait permettre aux acteurs du Golfe de suppléer la baisse d’importance des ressources
gazières et pétrolières dans leurs budgets nationaux, et préparer l’après-rente énergétique. Un arrêt brutal après 2022 de l’engagement qatarien dans le football serait contre-productif et inimaginable vu leur stratégie de moyen et long terme.

QSI prêt à ouvrir le capital du PSG ?

Depuis quelques années, on note cependant une réduction des engagements financiers du Qatar sur le domaine du football. La diminution des montants investis par beIN Sports l’illustre. Le PSG est quasiment autonome, en tout cas autosuffisant, ce qui explique pourquoi il ne fera pas forcément de folie lors des deux prochains mercatos. Il faut donc s’attendre à des investissements plus modérés, plus maîtrisés. On est dans la phase où on crée un modèle économique plus solide et pérenne avec une inscription sur le moyen terme. Conjugué à cette évolution de stratégie, on note un apaisement des relations dans le Golfe. Ce qui ne favorise pas de nouvelles folies dans le football.

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Si derrière cette question sur le Qatar se pose l’hypothèse d’une vente du PSG, je ne vois pas pourquoi ils le feraient. En revanche, on peut imaginer qu’ils puissent ouvrir le capital. De surcroît si la nouvelle version de la Ligue des champions se confirme, une telle option serait très favorable aux nouveaux acteurs. D’autant qu’on n’est pas à l’abri d’une Super Ligue mondiale qui augmenterait encore les perspectives de revenus et de rentabilité d’un club comme le Paris Saint-Germain. On peut également espérer que le Qatar réfléchira à mettre en place un réseau international de clubs de sports et en particuliers de foot comme l’a fait le City Football Group.

Pour en revenir à la question de l’investissement qatarien dans le football, pour qu’il y ait un désengagement brutal, il faudrait qu’un changement de politique majeur se produise à la tête de l’État, une crise mondiale autre que le Covid ou une crise régionale qui affecterait durablement le Qatar. Or, ils ont surmonté un boycott sévère de 3 ans… Donc on peut résolument être optimiste. En partant brutalement, il serait très compliqué de le justifier sans retombées négatives catastrophiques. Ils perdraient tous les bénéfices économico-diplomatiques qu’ils ont mis des années à construire. Ils ont tout intérêt à rester en visant le statu quo, à investir a minima pour perdurer et à continuer à tirer les gains de leur folle stratégie d’investissement du début des années 2010.

On verra si d’autres acteurs surgissent. On note le retrait de la Chine, on voit que les Émirats arabes unis continuent à investir et s’en servent. Donc le Qatar ne devrait pas se retirer. Après 15 ans de soft power sportif, il serait d’ailleurs peut-être temps que nos États se rendent compte qu’il faut limiter ou encadrer les politiques d’investissements de tous ces États qui choisissent le sport comme d’un moyen d’influence.

Crédit photo : Bildbyran / Icon Sport

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Menottiste je dirais même plus Bielsiste bref l'amour m'a rayé comme le maillot de l'Argentine