Devenu une véritable machine à cash, Manchester United tente sous l’impulsion de ses propriétaires de développer sa popularité tous azimuts pour passer la barre symbolique des 600 millions de livres de revenus. Au cœur de cette stratégie se trouve nécessairement la dimension sportive qui à première vue semble plutôt en profiter, jouissant par exemple de la possibilité de faire venir n’importe quel joueur. Une financiarisation au service du spectacle donc, à moins que l’essentiel ne se trouve ailleurs…
La pelouse est la même, les travées aussi, le mur de brique qui entoure le banc des remplaçants ne s’est pas écroulé mais derrière lui le public a quelque peu changé. La tribune Nord autrefois appelée United Road porte depuis le 5 mai 2011 le nom de Sir Alex Ferguson dont les lettres marquées au fer rouge sur le toit du stade offrent à chaque visite le souvenir d’un temps qui semble déjà lointain. Depuis 2013 et le départ de son grand entraîneur, Manchester United a accéléré un processus, déjà enclenché plusieurs années avant avec l’arrivée à sa tête des frères Glazer. Sur les dix transferts les plus importants de son histoire, huit ont eu lieu après 2013 et seuls Rio Ferdinand et Juan Sebastian Veron résistent à une époque à laquelle ils n’appartiennent pas. Tout au sommet, on retrouve Di Maria, Lukaku et surtout Pogba, le golden boy venu prendre sa revanche dans un club qui ne lui avait pas suffisamment laissé sa chance. Une revanche à 120 millions d’euros. Le pouvoir financier de Manchester United est aujourd’hui infini et plus aucun joueur ne semble pouvoir résister à une offre du club du Nord de l’Angleterre. Mais derrière ces investissements massifs, se pose la question de savoir s’il se cache une ambition sportive, une ambition financière ou la jonction des deux.
Avec l’arrivée de David Moyes à l’été 2013, les Mancuniens veulent s’assurer d’une continuité pour rester dans le sillon de la victoire creusé par Ferguson. Et qui de mieux que le « chosen one », celui qui a été choisi par Ferguson pour mener à bien cette tâche. L’entraîneur d’Everton débarque donc sans que personne n’ait envie qu’il fasse beaucoup de bruit, le fantôme de Ferguson plane encore au-dessus d’Old Trafford. C’est peut-être pour cela que dès son arrivée, David Moyes décide de tout chambouler en licenciant le staff de Ferguson et en amenant ses propres hommes, un choix possiblement fatal car dans les mois qui suivent, Manchester casse tous ses records de défaitisme et peine à entrevoir le retour de la victoire. Alors, à l’hiver 2014, Manchester lance sa grande opération d’investissement en s’offrant Juan Mata pour 45 millions d’euros. Puis viendra Van Gaal avec Martial et Di Maria. Et puis Mourinho avec Matic ou Pogba ou Lukaku. Au fond, on ne peut pas vraiment reprocher au board mancunien d’avoir favorisé un recrutement marketing. Les achats de Matic ou de Fred l’été dernier n’ont par exemple qu’un impact faible si on les compare à l’achat de Paul Pogba, vraie démonstration de force sportive et marketing. Pourtant lorsque l’on regarde les montants investis et le résultat sur le terrain, on a l’impression que Manchester United est passé à côté de quelque chose.
Dans son ouvrage La Société du Spectacle, Guy Debord propose une critique du capitalisme que l’on peut étrangement rapprocher de la situation mancunienne. Dans la société de Debord, les individus ont des vies minables et on les abreuve de divertissement pour éviter qu’ils se révoltent et continuent de travailler pour le compte des capitalistes. Ces individus aux pauvres vies sont ici les supporters de Manchester United et pour qu’ils ne se révoltent pas face aux nombreuses désillusions que connaît leur club, les dirigeants mancuniens alignent les recrues pour faire miroiter l’existence d’un club qui n’a rien perdu de sa superbe. Mais là où se trompe le board de Manchester, c’est dans la définition même du spectacle. Car depuis 2013, rares sont les matchs qui transcendent le spectateur comme c’était le cas lors de l’époque Ferguson. Et si l’on serait tenté de dire que cela est corrélé à la victoire ou la beauté du jeu, il faut rappeler que le Manchester United de 2013, la dernière saison de Ferguson, était l’un des moins beaux à voir. Pourtant ce Manchester là animait encore les foules…
Ce qu’il y avait dans ce Manchester, ce n’était pas un fond de jeu ou le plaisir de gagner le championnat cinq journées avant la fin. Ce qu’il y avait dans ce Manchester là, c’était simplement des petits riens qui font tout un spectacle : le Fergie time en est un des plus parlants. Voir son entraîneur se mettre dans une colère noire pour que l’arbitre laisse quelques secondes de plus, cela donne l’impression que le technicien fait corps avec son équipe, avec son club, avec les supporters. Et si Mourinho ose quelques fois faire le show comme samedi dernier contre Chelsea où il a voulu se battre avec l’adjoint de Sarri avant de rappeler au public londonien que c’était grâce à lui que les Blues avaient gagné trois titres de champions, ses prédécesseurs l’ont peu fait sauf ce 28 février 2016 dans un match contre Arsenal qui reste comme l’un des plus spectaculaires depuis 2013. Ce jour-là, Old Trafford allait rencontrer le génie par deux fois. Déjà, lorsque Marcus Rashford mettra un doublé pour son premier match en Premier League et puis un peu plus tard quand Van Gaal imitera la simulation de Sanchez au quatrième arbitre devant un public hilare.
Il n’y a pas de grand ou de petit spectacle, seulement des détails qui animent les supporters et qui rendent plus joyeuse une équipe bien terne depuis plusieurs années. Les supporters de Manchester United demandent plus de doublé de l’ex futur star Januzaj contre Sunderland, plus de remontée incroyable à 3-2 après avoir été mené 2-0 contre Newcastle, plus de lob improbable de Di Maria contre Leicester, plus de buts d’Anthony Martial contre Liverpool. Tout cela ne nous ramènera ni les envolées de Ferguson, ni les volées de Van Persie, ni les courses folles de Wayne Rooney, mais elles amèneront au moins un peu de chaleur dans le cœur des supporters.
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