A la fois formidable théoricien et adepte d’un management autoritaire, Rinus Michels est un trait d’union entre l’ancien et le nouveau monde, à la fois dans ses comportements sociaux et dans son sport de prédilection, le football. Retour sur l’histoire d’un homme qui a révolutionné la discipline au point d’être considéré par certains comme le père du football moderne.
Il y a des hommes qui choisissent de voir différemment, d’entendre autrement. Souvent, ils ne sont que des marginaux incompris et incompréhensibles. Mais parfois, ils sont des génies dont le l’intelligence parvient à faire de la marginalité une normalité. Parmi eux, Rinus Michels, un attaquant fidèle à son club qui, comme d’autres, a connu son heure de gloire en tant qu’entraîneur. À ce poste-là, il a agi comme un général avec son armée, dur sur l’homme, fin sur la stratégie.
Au départ, il est embauché par un club en difficulté qui lutte pour le maintien dans son championnat national et qui n’a plus gagné de trophée majeur depuis quatre ans. Mais ce club n’est pas n’importe lequel, il s’agit pour Rinus Michels de son club de cœur, celui dans lequel il a effectué les 269 matchs professionnels qui ont formé l’intégralité de sa carrière : l’Ajax Amsterdam.
Là-bas, il fait de la discipline son mot d’ordre et fait du football un véritable métier de professionnels avec des règles strictes et des obligations. Et cela n’est pas un hasard, car Rinus Michels a compris que pour mettre en place le football qu’il a en tête il faut que le physique de ses hommes ne soit pas un obstacle. Aussitôt, la préparation physique devient un élément essentiel de la formation de ses joueurs. C’est peut-être la première chose qui en fait le père du football moderne.
Et cette rigueur imposée, Rinus Michels l’expliquera par cette phrase célèbre : « Le football professionnel est en quelque sorte la guerre. Celui qui se comporte trop bien est perdu ». Mais derrière cette volonté d’une condition physique impeccable se cache surtout l’espoir de voir ses joueurs capables de se saisir des espaces, d’appliquer un pressing fort et même de se déplacer rapidement. En fait, la philosophie de jeu de Rinus Michels est guidée par un dogme absolu, celui de voir tous ses joueurs capables de jouer à tous les postes.
Les défenseurs peuvent être attaquants, les attaquants défenseurs. Les milieux savent aussi bien défendre que créer, les gardiens peuvent participer à la construction balle au pied du jeu. Rinus Michels vient d’inventer le football total.
Très vite, les résultats permettent de constater l’impact de la philosophie Michels au sein de l’Ajax Amsterdam : trois saisons après l’arrivée du technicien hollandais, le club a remporté trois titres de champion, du jamais vu au Pays-Bas depuis 1910. Lors de la deuxième saison, le club fait même le doublé coupe-championnat. Et puis, en 1969, année où les joueurs de l’Ajax concèdent leur titre, le club de la capitale atteint la finale de le Coupe d’Europe des Clubs Champions où il s’incline contre le grand Milan AC. Il faudra alors attendre deux ans, en 1971, avant de voir les hommes de Michels s’imposer en Coupe d’Europe, succès final d’une aventure hors du commun.
Après cela, Rinus Michels signe au FC Barcelone. Là aussi, le club est en difficulté. Il doit faire face à l’écrasante domination du Real Madrid alors que son dernier titre de Champion d’Espagne remonte à 1960. Au départ, Michels a quelques difficultés à faire appliquer ses principes de professionnalisme dans un club habitué à une relative liberté. Il faudra attendre 1973 et l’arrivée de Johan Cruijff, ballon d’or en 71, pour que les espoirs barcelonais renaissent. Cette année-là, les Barcelonais enchaînent les victoires avec en point d’orgue cette humiliation du club rival le 17 février 1974 : une victoire 5-0 contre le Real Madrid. Le club finit premier du championnat avec la meilleure attaque et la meilleure défense.
Après une épopée en Coupe du Monde 1974 avec les Pays-Bas et un retour express d’une saison à Amsterdam, Michels s’en va de Barcelone en 1978 avec un bilan très mitigé : le seul championnat de 74 et la Coupe du Roi en 1978. Des résultats moyens, un peu à l’image du reste de sa carrière, mais l’essentiel est ailleurs : ce que Rinus Michels a le mieux réussi, c’est l’héritage qu’il a laissé.
Aujourd’hui, plus que jamais, le football est enfant de Rinus Michels. Les joueurs sont plus athlétiques qu’avant, ils couvrent plus de terrain, le jeu est tourné vers l’offensif, les latéraux jouent à la fois défenseurs et ailiers. Le fameux 4-3-3 a longtemps fait figure de système idéal.
Certains ont beaucoup participé à la transmission de cet héritage. Parmi eux, le plus connu et aussi le joueur le plus cher aux yeux de Rinus Michels, Johan Cruijff. Lui de qui Michels disait que son équipe n’était rien en son absence, a fait perdurer une certaine idée du football lorsqu’il entrainait le FC Barcelone. On retrouve d’ailleurs dans certaines de ses phrases des mots qu’aurait pu prononcer Rinus Michels : « Vous jouez au football avec votre tête et vos jambes sont là pour vous aider », « Dans mon équipe, le gardien est le premier attaquant et l’attaquant le premier défenseur »…
Rinus Michels restera un théoricien monumental du football. Véritable génie qui a créé sa propre pensée, il a inscrit son empreinte sur l’histoire du football et mérite sa place dans le Panthéon des grands hommes de ce sport.
CREDITS PHOTO : ANP