De Ligt: Qui de la raison ou de la passion… ?

Tout juste un an après son idole Cristiano Ronaldo, Matthijs De Ligt a posé le pied sur le tarmac de l’aéroport de Turin-Caselle avant de s’engager avec la Juventus. Issue logique pour le défenseur néerlandais malgré les appels du pied du PSG et du FC Barcelone ou simple lubie ? Choix sportif logique ou désir de joyaux plus rutilants de la Vieille Dame ?

19 ans, un visage presque enfantin mais un corps de colosse et une force mentale écrasante. Cette saison, De Ligt a déboulé dans la cour des grands et de la Ligue des champions en défonçant la porte, suivi par ses coéquipiers de l’Ajax. Demi-finalistes malheureux, les Bataves auront bien évidemment attiré tous les regards sur eux, et le fait que cette équipe d’une insouciance n’ayant d’égale que sa jeunesse et son potentiel se ferait dépouiller l’été venu est vite apparu comme une évidence.

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Le premier à céder aux sirènes étrangères aura été Frenkie De Jong, direction un Barça au portefeuille apparemment sans fond ou presque. Aussi, les Catalans ont immédiatement tenté d’attirer son compère. Une occasion de plus de mettre à contribution le pont construit par Johan Cruyff entre Amsterdam et Barcelone. La chose relève de l’évidence avec le pote Frenkie attendant déjà de l’autre côté. Raté pour la bande à Bartomeu, faute de certaines garanties sportives notamment. Quel rôle exactement pour le nouveau venu quand on connaît l’importance d’un Gérard Piqué, son principal concurrent pour le poste, dans le vestiaire ?

Difficile à dire, donc c’est non pour Matthijs, qui repousse également le PSG. Un projet aux contours à redéfinir encore trop flou pour s’engager à long terme au moment des négociations entamées par Antero Henrique, débarqué en cours de route. Finalement, l’arrivée de la Juventus dans le dossier aura mis fin à tout suspense : Le joueur ne veut pas revêtir d’autre maillot que celui du club turinois.

Quelque chose de Stendhal

Un choix qui fait grincer des dents chez nombre d’observateurs. Rejoindre un club sorti en quarts de finale de Champions’ par ses propres soins, une équipe moins forte qu’un FC Barcelone et un rôle moins important qu’au PSG ? Pourquoi alors ? L’argent sans doute. Un salaire entre 12 et 15 millions annuels nets annoncé, un club avec lequel Mino Raiola aime traiter, rapport à ses émoluments personnels…

Le salaire net sera de 7,5 millions. Bien moins que prévu, bien moins qu’ailleurs. Quant à l’influence de Raiola dans ce choix, elle est, selon le joueur, nulle : « C’est ridicule de penser ça. Je choisis mon club, point. Mino Raiola s’occupe du salaire. »

Alors quoi ? Pour trouver l’explication, il faut commencer par chercher dans le passé du joueur. Car petit, Matthijs est très tôt séduit par la science de la défense inculquée par les professeurs italiens que sont Cannavaro, Maldini, Baresi, Scirea ou Nesta ; comme il l’explique des étoiles dans les yeux dès décembre dernier lors de la remise du trophée de Golden Boy. Et souligne alors quelle source d’inspiration représente la plus contemporaine BBC d’une Juventus qu’il a toujours étrangement affectionnée. Quelques mots chuchotés à son oreille par Cristiano Ronaldo en finale de la Ligue des nations, il n’en faudrait pas plus pour faire définitivement pencher le cœur du natif de Leiderdorp vers les Bianconeri.

Seulement, ce choix ne se résume pas à un bête coup de foudre non plus, et le garçon a la tête bien faite. Rejoindre la Juve aurait pu être une décision bien moins enthousiasmante sans l’un des tournants majeurs opérés du côté de Turin. La décision de se séparer de Max Allegri et d’embaucher un certain Maurizio Sarri. Oui, la Juventus gagnait. Gagnait beaucoup même, quand elle était dirigée par le Toscan. Or, De Ligt aurait sans doute eu bien du mal à se fondre dans le moule d’une équipe que le Mister bridait beaucoup dans ses envies de pressing et enjoignait à utiliser Leonardo Bonucci comme lanceur de longs ballons.

Avec Sarri, la donne change complètement. Et de l’aveu du joueur, ce sont plus les mots de celui-ci au téléphone que ceux de CR7 un peu plus tard qui l’ont convaincu de rallier le Piémont. Le sarrismo jusque-là, c’est entre autres aller presser haut, avoir des défenseurs centraux forts physiquement capables de proprement relancer les actions par du jeu court ou par des courses vers l’avant. Un plan de modernisation du jeu des champions d’Italie qui convient bien plus au Néerlandais. Une place de titulaire quasi assurée dans les grands rendez-vous, une rotation à prévoir en championnat avec ceux dont il veut apprendre le plus possible. Le tout dans un club qui peut très légitimement ambitionner de remporter la Ligue des champions à très court terme. Tout ce qu’il aurait pu souhaiter sur le plan sportif, Matthijs va l’avoir.

Juve Impératrice : des bijoux et du pouvoir ?

La Vieille Dame, elle, réalise un second coup d’éclat en deux ans sur le mercato. Ceux qui ont pu s’interroger sur le choix du joueur peuvent également être dubitatifs quant au réel objectif turinois derrière cette transaction. Le joueur serait-il moins une réelle plus-value sportive pour l’équipe qu’un trophée dans la chasse au pouvoir de l’image sur la scène internationale ?

Ce qui est certain, c’est que ce transfert permet effectivement à la Juventus de continuer d’étaler son image dans tous les coins du monde. Si l’effet CR7 a dopé une stratégie globale toute neuve, la signature d’un des jeunes joueurs les plus prisés du moment accentue encore la force du double J. De plus, le principal intéressé et son nouvel employeur n’ont pas hésité à appuyer leur communication post-signature sur le fait qu’il est un amoureux du club de la première heure, photos à l’appui où l’on voit le tout jeune blondinet arborer un maillot noir et blanc. Histoire de rappeler que la Juve était déjà grande il y a 15 ans, qu’elle l’est aujourd’hui tout autant que ses concurrents, et donc pas moins légitime pour s’offrir les potentiels grands joueurs de demain.

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Potentiel grand seulement, oui, car dans les faits De Ligt fait partie de ces joueurs attendus depuis très jeunes mais qui se retrouvent confrontés à un choix de carrière aussi précoce qu’inéluctable dès le premier exercice marquant réalisé. Au-delà du footballeur, si l’on creuse plus, on découvre couplé au phénomène de précocité sportive un garçon d’une maturité impressionnante pour son âge.

Capitaine à 18 ans d’un club à l’histoire centenaire, il est le leader incontesté d’un groupe qui écoute quand il parle, ordonne et distribue les consignes ; des coéquipiers de sa génération aux Daley Blind ou Dusan Tadic d’une décennie ses aînés et internationaux depuis des années. Un comportement de grand qui impressionne même ses illustres prédécesseurs et aujourd’hui dirigeants Edwin Van Der Sar et Marc Overmars… Et comme le rôle de leader ne se limite pas qu’au rectangle vert, le néo-juventino ne se cache pas en conférence de presse, enchaînant les réponses sans langue de bois. Il n’est pas non plus rare de le voir lancer les chants de supporters ou se saisir du micro devant une foule fêtant un titre avec une voix emplissant tout l’espace. A peine majeur. Savoir s’assumer voire assumer pour les autres, voilà qui aidera Matthijs à apprendre, à progresser comme il en exprime le souhait. Car si le leader De Ligt est déjà aguerri, le joueur est lui encore perfectible.

Fort au duel, capable de multiplier les gestes défensifs de classe dans la zone de vérité, relancer adroitement des deux pieds ou à grandes enjambées si besoin, et une arme létale à la réception des coups de pied arrêtés. Chose qui lui aura par ailleurs permis de devenir le second plus jeune buteur de l’histoire des rouge-et-blanc derrière Clarence Seedorf, ou encore… d’éjecter la Juventus de la Ligue des Champions en allant smasher sur les têtes de Bonucci, Rugani et Alex Sandro en même temps.

Une base solide que l’achèvement de sa formation en Italie viendra consolider là où c’est nécessaire : La demi-finale malheureuse face à Tottenham illustre parfaitement certains points encore améliorables chez lui : Etant le digne représentant du tempérament de feu de son équipe, il peut se laisser embarquer par l’action et oublier de regarder derrière lui. Ou encore se sentir obligé d’aller affronter des adversaires sur un terrain où il peut être désavantagé malgré sa polyvalence. Nul doute qu’avec Chiellini et consorts comme professeurs, il sera bientôt intraitable ou à défaut saura ranger sa fierté et se montrer le plus malin.

Non, la Juventus ne s’est pas jetée au dépourvu sur un nom clinquant. Pour 70M€ (payables en 5 ans) c’est une affaire. Le club se dote d’une nouvelle arme dans ses ambitions européennes à court terme, voire plus. Certaines informations évoquaient une prime libératoire de 150M€. Certes, mais qui ne sera effective qu’à sa 3e saison. Après quoi, le joueur partira, son apprentissage terminé et laissant le club les poches pleines. Ou aura entre-temps ployé le genou devant une Vieille Dame dont il deviendra le principal chevalier défenseur de la décennie à venir. Passionnant, et à raison.

Crédit photo : Olaf Kraak / ANP / AFP

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