Gunnar Andersson : la vie en jaune et bleu

Le 29 septembre dernier, Marseille rendait hommage au meilleur buteur de son histoire. Contrairement à ce que pourraient croire certains supporters marseillais, ce n’était pas Didier Drogba qui était honoré ce soir-là. Non, le buteur le plus prolifique de l’OM est né à Arvika en Suède, a claqué 194 buts en 249 matchs sous le maillot olympien, et est mort d’une crise cardiaque à seulement 41 ans dans l’indifférence la plus totale en 1969. Son nom est Gunnar Andersson et il peut se prévaloir d’être le meilleur buteur suédois du championnat de France, n’en déplaise à Zlatan.

Un Suédois en France

Nous sommes en 1950 lorsque Gunnar rejoint la Cannebière. Le jeune homme de 22 ans arrive de Göteborg, ville suédoise de 400.000 habitants, où il s’est déjà bâti une solide réputation de serial buteur du haut son mètre 75. Là-bas, alors qu’il est encore sous statut amateur et qu’il alterne entre football l’été et hockey sur glace l’hiver, il travaille également à côté comme plombier à la Compagnie des Chemins de Fer Suédois. Son talent (de footballeur) va éclabousser l’Europe à l’occasion d’un tournoi à Barcelone, où il va être repéré par le président marseillais de l’époque, Louis-Bernard Dancausse. Les conditions de son arrivée sont symptomatiques d’une autre époque et de la ferveur qui existe déjà au sein de la cité phocéenne. Lorsque le train Paris-Marseille du 8 décembre 1950 s’arrête en gare d’Avignon, deux journalistes du Soir se font passer pour les dirigeants de l’OM auprès du Suédois et le ramène jusqu’à Marseille en voiture pour obtenir la première interview de la nouvelle star, au nez et à la barbe du président Dancausse qui attendait le joueur à la gare Saint-Charles.

(source : om4ever.com)

Si Gunnar a – malgré lui – fait patienter ses dirigeants pour signer son contrat, il ne faudra pas plus de temps pour qu’il justifie les 4 millions francs dépensés (6.000 euros aujourd’hui) pour son arrivée. Sa première victime se nommera Abderrahmane Ibrir, gardien du Toulouse FC, un jour de Saint-Sylvestre 1950. L’histoire est en marche, et Gunnar décidera de l’écrire à coup de plus de 30 buts par saison. Alors qu’il se démarque auprès de tous ceux qui l’ont connu à l’époque pour son extrême gentillesse, le Suédois ne fait pas dans les sentiments lorsqu’il s’agit de faire trembler les filets adverses. Quoique… La légende dit qu’il était parfois tellement gêné par l’humiliation que provoquaient ses multiples buts qu’il en venait presque à s’excuser auprès de ses adversaires. C’était classe pour l’époque ; aujourd’hui ce serait une manière tellement plus badass d’humilier son adversaire que EA Sports s’empresserait d’en faire une célébration FIFA. Définitivement pas né à la bonne époque le Gunnar.

Un Français à Marseille

En compagnie de l’autre Gunnar de l’équipe – Gunnar Johansson, son compère en défense débarqué de Göteborg la même année que lui –, les saisons se suivent et se ressemblent pour le plombier suédois devenu artilleur marseillais. Monsieur 50 % continue de marquer la moitié des buts de son équipe : deux quadruplés, dix triplés et trente-quatre doublés, avec en point d’orgue deux titres de meilleur buteur du championnat de France en 1952 (31 buts) et en 1953 (35 buts). Pourtant, tous ces buts ne suffisent à remporter le championnat. Pire, durant tout le passage d’Andersson à Marseille (1950-1958), le club olympien s’engluera dans le ventre mou du championnat, ne faisant jamais mieux qu’une cinquième place en 1956, avant d’être relégué en 1959, un après le départ de sa légende pour Montpellier. Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. Le OM-ASSE du 16 septembre 1951 suffit à lui seul pour symboliser cette période : le club phocéen perd malgré un triplé de son buteur, parce que le gardien Armand Libérati blessé ne pouvait pas être remplacé selon les règlements de l’époque. Score final : 3-10. Réaction du Mister : « Oui, j’ai marqué les 3 buts, mais j’aurais dû en marquer onze…« . Sa gentillesse et sa bravoure ne se limitaient donc pas à humilier ses adversaires, mais aussi ses coéquipiers. A croire que Gunnar soit vraisemblablement un aïeul de N’Golo Kanté.

(source : om4ever.com)

Preuve de son intégration au sein de la ville, Gunnar se met même à apprécier la pétanque et le pastis, lui qui ne buvait que du lait avant son arrivée. Si cette « petite boisson distillée par le diable« , comme il aimait à l’appeler, finira par provoquer sa mort à petit feu, elle ne l’empêchera jamais d’enquiller les buts. Comme ce dimanche 5 septembre 1954, où avant de jouer face au CO Roubaix-Tourcoing, il pariera avec ses amis d’inscrire un triplé juste après s’être enfilé dix pastis. Vous connaissez la suite, et elle sera exécutée en moins de 13 minutes. Même Paul Gascoigne n’a jamais connu pareille réussite dans sa carrière.

Marseille est sa terre d’adoption et la France devient son pays d’accueil en 1955, lorsque Gunnar est naturalisé. Ses performances ne pouvaient pas rester inaperçues aux yeux de la Fédération française de football, lui qui n’a jamais joué pour la Suède. Alors qu’on pensait à l’époque que le départ de Raymond Kopa pour l’étranger et le Real Madrid laisserait vacante la place d’avant-centre de l’équipe de France, la sélection de Gunnar Andersson pour l’équipe de France B face à l’Italie en février 1956 au Vélodrome restera la seule et unique de sa carrière. Finalement, Kopa enfilera bien le maillot bleu pour la Coupe du Monde 1958 en Suède et Gunnar continuera à enfiler les petits jaunes sous le ciel bleu de Marseille. Tout est rentré dans l’ordre.

Un Marseillais au port

Après quelques piges ici et là aux Girondins de Bordeaux puis à Aix-en-Provence, Andersson raccroche définitivement les crampons au début des années 1960, pour devenir ensuite docker sur le port de Marseille. Quoi de plus logique finalement pour un Marseillais ? La suite sera moins heureuse, alors que la maladie commence à le ronger. Il sera également ouvrier sur des chantiers, agent d’entretien, gardien de nuit… Autant de petits boulots servant à subvenir à ses besoins, loin de ce que sa gloire d’antan du Vélodrome pouvait lui offrir. Pour autant, le nouveau président de l’OM Marcel Leclerc n’oubliera pas tout ce que Gunnar a apporté au club au moment des payer ses frais d’hospitalisation. Il restera aussi proche des supporters et des journalistes qui l’ont suivi durant toute sa carrière, n’hésitant pas à se rendre régulièrement chez ses copains du Provençal pour obtenir des billets aux matchs de l’OM. C’est d’ailleurs après être passé chez eux pour avoir le droit d’admirer la nouvelle pépite suédoise de Marseille, Roger Magnussen, que Gunnar succombe d’une crise cardiaque dans la rue, le 1er octobre 1969.

La boucle est bouclée, comme elle avait commencé avec les deux journalistes du Soir en 1950. Entre deux, Gunnar Andersson aura eu le temps de construire sa légende à Marseille, une ville qui vibrait déjà pour le football et ses idoles. Ne restent de lui que des photos, quelques rares vidéos, mais son empreinte est gravée à jamais à Marseille. Il s’était tellement bien intégré à sa ville qu’il était devenu étranger à son propre pays. Et parce que son portrait constitue toujours la photographie d’une époque, celle où les footballeurs s’enfilaient des pastis avant les matchs, mais surtout celle où le football ne définissait pas totalement la vie des hommes, souvenons-nous juste de Gunnar Andersson comme un mec sympa, plutôt doué au ballon et qui continuait d’aller au Vélodrome pour voir les joueurs qu’il admirait. Malheureusement pour lui, il n’aura jamais eu l’occasion de voir Steven Fletcher porter son numéro 9. Foutu pastis.

Photo crédits : om4ever

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