L’Histoire à travers le foot : la colonisation, entre domination et émancipation

Deuxième épisode de notre série d’articles sur l’Histoire à travers le foot avec cette fois-ci un arrêt sur la période coloniale. Dans le premier épisode consacré aux origines du football, une question restait en suspens comme celle de l’œuf ou la poule : les pays colonisateurs ont-ils apporté le football dans les pays qu’ils ont dominés, ou bien l’ont-ils importé ? L’exemple des Indiens Guarani et des Anglais illustrait parfaitement ce duel au sommet toujours resté sans réponse. Mais ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que si le football s’est nourri de diverses cultures, il a été imposé dans sa forme institutionnelle par les puissances coloniales qui le pratiquaient souvent au détriment des peuples autochtones avant de finir par les intégrer au jeu. Pour ces derniers, au contraire, le football était un moyen d’opposition et d’émancipation, comme un porte-voix de leurs aspirations. C’est cette histoire d’une gigantesque opposition qui s’est servi du football comme terrain de jeu que nous racontons aujourd’hui.

Au cours du vingtième siècle, on a pu compter de nombreux cas où le sport a joué un rôle majeur dans les luttes pour l’indépendance des pays colonisés. En Inde par exemple, le peuple dominé a pu démontrer tout le ridicule de sa prétendue infériorité face aux anglais colonisateurs en s’imposant lors de grandes rencontres de cricket. Il en fut exactement de même avec le football qui a joué en quelque sorte un rôle de médiateur et qui s’est posé en vecteur de communication et d’affirmation.

Il y a toujours, dans les luttes coloniales, qu’elles visent à dominer ou à s’émanciper, un rapport de force très tendu entre deux puissances, l’une populaire, l’autre dirigeante, aux pouvoirs inégalement répartis. Au cœur de cet enjeu, un racisme presque darwinien qui soutient la supériorité des uns par rapport aux autres.

C’est ainsi qu’on a pu voir dans le Brésil des années 20 un joueur noir se recouvrir le visage de poudre de riz afin de participer à un match de football, alors réservé aux blancs, descendant des premiers colons. Ce fut là un point extrême de la politique de « blanchiment de la race » qui fut à l’œuvre dans ce Brésil là et dont l’abolition de l’esclavage en 1888 n’avait été qu’un moyen de fondre la population noire dans la population blanche. Il a finalement fallu attendre la démocratisation des rencontres ouvrières et la découverte du talent de joueurs de couleur pour que ces derniers fussent autorisés à prendre part aux rencontres de football.

L’héritage de certaines figures du football noir se ressent aujourd’hui encore. L’élément fondateur de cette aspiration à la réussite des jeunes footballeurs noirs a été l’hégémonie du football brésilien depuis 1950 jusqu’à 1970, mouvement auquel on peut ajouter la dimension populaire du football dont la retransmission en direct à la télévision a été essentielle.

Au sein de cette équipe véritablement métissée, les héros sont aussi bien noirs que blancs. Qu’ils s’appellent Garrincha, Tostao, Clodoaldo ou Carlos Alberto, ils représentent la diversité d’un pays qui titube encore sur le plan politique. Mais parmi eux, il en est un qui domine les autres. Le plus grand de tous, celui qui a rayonné au-delà des continents tant par son génie que par son talent pour la publicité. Le Roi Pelé. Ce que souligne Laurent Dubois dans son livre Le foot français ou l’héritage colonial, c’est que tous les jeunes footballeurs de ces années-là, notamment les Français, ont débuté le football avec le désir de ressembler à ces héros brésiliens et plus particulièrement au Roi Pelé.

Mais si au Brésil, l’émancipation des footballeurs noirs s’est faite depuis l’intérieur, il existe de nombreux exemples où le football servait de moyen d’opposition plutôt que d’intégration. Ce fut notamment le cas en Algérie française où dès le début du XXe siècle sont apparus des clubs délibérément musulmans, prémices du nationalisme à venir. On note par exemple le Mouloudia Club d’Alger qui est considéré comme l’un des premiers à faire partie de ces clubs musulmans avec sa fondation en 1921 et qui concourrait dans la Ligue de Constantine (qui succédait elle-même à la Ligue d’Alger), championnat visant à développer le football colonial.

Face à ces clubs qui revendiquaient leur identité musulmane existaient d’autres clubs dont la parenté avec la métropole leur donnait un rôle d’adversaire. Le plus célèbre d’entre eux est le Racing Universitaire d’Alger qui eut notamment pour gardien dans ses équipes de jeunes un certain Albert Camus qui tira de cette expérience sa fameuse phrase : « Tout ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois. »

Plus tard, c’est le FLN qui se servit du football comme un moyen d’action politique. Dans la lutte acharnée pour l’indépendance algérienne, le mouvement de libération national utilisa l’arme terroriste à de nombreuses reprises comme acte de révolte à fort retentissement. Ainsi, le Racing Universitaire d’Alger fut frappé pendant la Bataille d’Alger le 10 février 1957, tout comme quelques mois plus tard Ali Chekkal, considéré comme un traître par le FLN, fut assassiné à la sortie d’un match de Première Division française. Mais au-delà de ces événements où le football n’était qu’un support malheureux, c’est par un acte de résistance passive et spontanée que le FLN a fait parler de lui dans le monde du football.

En effet, à côté de la grande Equipe de France portée par Just Fontaine et Raymond Kopa qui s’apprêtait à disputer la Coupe du Monde 1958, s’est formé en 1958 le Onze de l’Indépendance, une sélection de joueur algérien favorable à l’indépendance de leur pays et dont certains étaient pourtant membres de l’Equipe de France. C’était depuis la Tunisie que le FLN avait annoncé sa création de l’Equipe du Front de libération nationale algérien en 1957 mais ça n’a véritablement été qu’en 1958 que l’équipe a pu se former et entamer des tournées mondiales pour accroître sa notoriété et soutenir sa cause. Au bilan de cette équipe éphémère qui cessa d’exister en 1962, laissant alors place à l’Equipe Nationale d’Algérie telle que nous la connaissons aujourd’hui, 83 matchs dont 57 victoires.

Plus généralement, l’apport du football dans les luttes coloniales a été de proposer un moyen détourné de s’inviter sur la scène internationale et de se faire reconnaître comme nation propre. C’est par exemple en 1956 qu’a été créée la Coupe d’Asie suivie en 1957 de la Coupe d’Afrique des Nations. C’est aussi au cours de cette période qu’une grande partie des pays africains obtiennent la création de leur propre sélection et, plus important encore, la reconnaissance de ces dernières par la FIFA. A travers ces admissions, c’était la reconnaissance du pays tout entier qui se faisait espérer.

Aujourd’hui, l’héritage de l’utilisation du football dans ces luttes coloniales n’est pas seulement sportif. Si certains ont pu être influencés par des modèles de mérites et de réussites, c’est pour d’autres la politique de manière générale qui a pris conscience de l’importance que pouvait revêtir le football dans la conquête d’une situation meilleure. Car même s’il ne s’agit plus désormais de décolonisation, les conflits internationaux qui continuent de joncher le globe demeurent dénués d’un remède, d’un médiateur, d’un élément fort et marquant, un rôle que le football peut saisir et mener de la plus belle des façons.

Crédit photo : France 24

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Quand les gens sont d'accords avec moi, j'ai toujours le sentiment que je dois me tromper.