[Histoire] Quand les clubs algériens créaient l’exploit en Coupe de France

Après la colonisation de l’Algérie en 1837, la France va intégrer littéralement le territoire algérien à son pays en divisant l’Algérie en trois départements : l’Alger (ex-91), l’Oran (ex-92) et le département de Constantine (ex-93). Des modifications segmentaires seront mises en place par la suite mais on est là pour parler ballon et désaliénation et pas géographie. Ainsi, les clubs algériens jouaient naturellement la Coupe de France et certains d’entre eux ont parfois accompli des exploits à leur échelle en battant des clubs emblématiques de la métropole ou en effectuant un parcours honorable. Parmi eux, l’Histoire retient et retiendra deux clubs algérois : le Gallia Sport d’Alger (GSA) et El Biar.

Pour le GS Alger, devenir le vengeur de tout un peuple

Parler du GSA, c’est avant tout parler du foot à Alger et notamment ce 64ème de finale de Coupe de France saison 1957-1958 entre le Racing universitaire d’Alger (RUA) et le Stade rennais. Le RUA subit effectivement une cuisante défaite 8-0 contre les Rennais et laver l’affront devient dès lors indispensable, presque existentiel pour un autre club d’Alger : le GS. Avec un écusson bien gaulois (un ballon porté par un coq bleu et rouge) qui semble atypique mais finalement assez commun durant ces temps de colonisation, c’est une revanche sur l’occupant qui peut s’effectuer pour les joueurs du Gallia. D’autant qu’un certain Marcel Salva, descendant de colons français en Algérie, est alors entraîneur-joueur. Salva est une personnalité emblématique car, comme de nombreux fils de colons, il est plus attaché à sa terre natale qu’à la France.

Pour certains Algériens, il est même considéré comme le meilleur latéral gauche que l’Algérie ait jamais vu passer. Il en fait donc lui aussi une affaire personnelle à une période où il voit son pays se déchirer en raison de la xénophobie et du conservatisme ambiant en métropole. En résumé, le GSA se doit de venger son voisin algérois tout en honorant l’étendard algérien. Petit retour dans le temps : le GS est déjà en route vers son destin après avoir éliminé le CA Paris (pensionnaire de D2 à l’époque) en 64èmes.

Narrer le fil du match aurait été extrêmement intéressant tant la ferveur et l’envie des joueurs se lite simplement au vu du contexte de l’époque mais il n’existe malheureusement que trop peu de sources pour cela. L’unique archive de ce match est une bribe de feuille de match qui atteste d’un but de Nicolas Imbernon pour Rennes à la 63ème minute qui permet au Stade rennais d’égaliser (ou d’ouvrir le score ?). Anciennement en Coupe, les tirs au but n’existaient pas et en cas d’égalité à l’issue des prolongations, un match retour a lieu. Après donc un match nul 1-1 à l’aller à Alger, Rennes va finir par s’imposer 1-0 au retour en territoire algérien. Oui, le GSA n’a pas fait l’exploit, mais oui, le GSA a donné de l’espoir et fait croire tout un peuple. Et en ces temps difficiles, quoi de mieux que l’espérance ? Ainsi, le GSA a fait songer toute une population malgré l’élimination. Peu de documentation existe également sur le devenir du GS Alger hormis le résultat de quelques match contre des équipes situées en métropole. Les uniques sources existantes s’arrêtent en 1962, date des Accords d’Evian, première étape vers l’indépendance de l’Algérie, ce qui pourrait être une corrélation avec, peut-être, une dissolution des clubs créés par des colons suite à l’Indépendance.

El Biar, bourreau de la meilleure équipe française

Il en est d’ailleurs de même avec le club du Sporting Club Union d’El Biar (SCUEB) qui, lui aussi, arbore un écusson aux couleurs du drapeau tricolore français avec, petite originalité (ou pas, justement) les contours de l’écusson du FC Barcelone. Le club de la banlieue d’Alger évolue toujours mais en sixième division algérienne, un downgrade dans les règles de l’art lorsque l’on voit l’impact de leur exploit. Car c’est en effet un exploit qui a été accompli par le SCUEB contre un club mythique français en quarts de finale de Coupe de France : le Stade de Reims à une époque où le Stade était dans le top 3 des clubs européens avec des championnats remportés à la pelle et de très bonnes performances en Coupe des clubs champions européens (l’ancêtre de la Ligue des Champions).

Tout comme le Gallia Sport d’Alger, un autre entraîneur-joueur, Guy Buffard, est du côté du club algérien. Bien qu’il soit lui-même supporter de Reims, il n’est pas moins motivé par l’odeur de l’exploit que le SCUEB ne peut pas encore sentir tant l’écart entre les deux formations est important, presque abyssal. Guy Buffard a lui-même servi pour l’armée française et vivre la guerre d’Algérie est un nouveau traumatisme pour lui. Il doit, par cette victoire, lutter contre la guerre et ses horreurs plus que contre l’occupant français. El Biar mène à la pause et tous les témoignages affirment que l’ambiance était surréaliste. D’abord, car le match se joue à Toulouse en raison de complications liées au conflit et il n’y a donc que très peu de supporters dans le stade.

Finalement, El Biar va s’imposer 2-0. Cette victoire d’El Biar est considérée comme précurseur de la dite « France black, blanc, beur » car ses joueurs étaient constitués de pieds-noirs, d’Algériens et d’autres joueurs maghrébins notamment des Tunisiens. Au retour de l’équipe, l’avion du SCUEB manque d’être renversé par les supporters en liesse qui sont euphoriques après la victoire de leur équipe sur la meilleure équipe française. La joie sera de courte durée puisqu’El Biar perdra ensuite contre Lille en huitièmes. Et comme si la guerre était toujours là, pour hanter Guy Buffard et ses hommes, une explosion a lieu une semaine et demi après le match contre le SDR causant une dizaine de morts et une vingtaine de blessés. Quoiqu’il en soit, El Biar a aussi apporté du bonheur au peuple algérien durant la guerre et a même concrétisé l’espérance de cette population, ce que le GS Alger n’était pas parvenu à faire.

Crédit photo : gallica.bnf.fr / [photographie de presse] / [Agence Rol]

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4-4-2 losange et presunto comme exutoires.