Never enough with Brian Clough (Partie 2)

 


Brian Clough est considéré comme un des meilleurs entraîneurs britanniques de l’histoire. Symbole incontesté de l’élite footballistique d’outre-Manche, Clough a connu des hauts et des bas au cours d’une carrière riche en événements. Après un passage triomphant à Derby County, le plus célèbre adversaire de Leeds United rejoignit son ennemi juré en 1974. Une aventure vouée à l’échec avant même de la débuter.

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Une ambition débordante ?

Jeune entraîneur en vogue, auréolé d’un titre de champion d’Angleterre en 1972 avec Derby County, Brian Clough se rechignait à végéter en 3e division, à Brighton. Proche de devenir le nouveau sélectionneur des Three Lions, il annihila toutes ses chances en commentant de manière osée une rencontre de l’Angleterre face à la Pologne. La rivalité qui unissait Don Revie et lui poursuivit son chemin, puisque la gloire de Leeds United reprit les rênes de la sélection quelques semaines plus tard.

Érigé comme le meilleur jeune entraîneur du pays, l’ancien joueur de Sunderland aspirait à renouer avec le haut niveau. Aux commandes de Brighton, une tension éclata avec son fidèle acolyte Peter Taylor à ce sujet, et Brian Clough plia bagage, direction Leeds United. Peter Taylor resta fidèles à ses convictions, et devint le manager principal de Brighton.

Leeds United, une aventure au goût amer

Ce choix-là fit grand bruit au sein du royaume. Le directeur de Leeds United de l’époque, Many Cussins, voyait en Brian Clough, le successeur idéal de Don Revie. Un remplacement qui devait correspondre à un passage de flambeau. Hélas, le feu ne fut jamais allumé.

En effet, Brian Clough n’arrivait pas en terrain conquis, bien au contraire. Ce dernier avait remis en question les nombreux titres glanés et le style de jeu prôné par les troupes de Don Revie. Brian Clough voyait en Leeds United une équipe bien trop agressive, virulente et dénuée d’une volonté de pratiquer un football alléchant. Les deux entraîneurs étaient aux antipodes dans bien des domaines. Ainsi, des déclarations successives peu élogieuses créèrent une réelle animosité entre la ville de Leeds et Brian Clough. Il réclama par exemple la rétrogradation de Leeds en 2e division, estimant qu’ils n’avaient pas gagné leurs titres de façon sportive et juste : « Vous pouvez bien avoir gagné tous les titres en Europe, mais en ce qui me concerne, vous pouvez foutre toutes vos médailles à la poubelle parce que vous n’en avez gagné aucune honnêtement. »

Son entrée en matière sous ses nouvelles couleurs intervint en juillet 1974.
S’ensuivirent 44 jours à entretenir une relation orageuse avec les cadres du vestiaire. Au cours de ce laps de temps, Brian Clough fut bien plus disposé à vider toute sa rancœur à l’encontre de ses nouveaux protégés qu’à établir une réelle révolution de management. Eddie Gray, joueur majeur sous Don Revie, en prit pour son grade : « Si t’avais été un putain de cheval de course, ça fait longtemps que je t’aurais mis une balle dans la tête. »

(The Damned United, film sur les 44 jours de Clough à Leeds United, et son passage à Derby County)

Couplé à cela, une mise à l’écart de plusieurs hommes forts du vestiaire, et une incapacité totale pour les deux parties à faire un pas vers l’autre. Les résultats ne purent suivre sur le terrain, sans une harmonie totale en dehors du rectangle vert. Après une déconvenue en Community Shield contre Liverpool, et une petite victoire glanée après 5 matchs toutes compétitions confondues, le jeune technicien anglais fut remercié. Manieur d’exception de la langue de Shakespeare, il ne se fit pas prier pour tirer de ce licenciement une volonté de revenir en haut de l’affiche, avec une déclaration mythique : « C’est un jour terrible… pour Leeds United. » Néanmoins, celui qui ne cessait de gravir les échelons, vu son statut remis en cause. Des interrogations firent surface.

« 44 putains de jours. Mais c’est même pas suffisant pour arriver à savoir où est la putain de boucherie du quartier », pestait le principal intéressé. Mais Brian Clough était sûr de ses forces, il devait rebondir et ne pas rester sur cet échec cinglant.

Nottingham Forest, l’apogée d’une carrière

Après quelques mois de repos, Brian Clough reprit du service en janvier 1975. Ce poste était beaucoup moins gratifiant que Leeds United. Direction Nottingham Forest et le ventre mou de la 2e division anglaise. Un potentiel sentiment de régression à l’époque pour un coach champion d’Angleterre trois années auparavant. Un pas en arrière pour mieux avancer par la suite, pourra-t-on penser plus tard.

Encore une fois, Brian Clough dût composer sans son adjoint historique Peter Taylor, toujours à la tête de Brighton. Sans son associé, Clough n’était plus aussi spécial, et devenait quelconque. 16e en 75, 8e en 76 : Forest peinait à passer à la vitesse supérieure et à enthousiasmer les observateurs. Mais une arrivée changea radicalement l’histoire du club.

Peter Taylor, une arrivée cruciale

Le 16 juillet 1976, après un appel à l’aide de Brian Clough (« Peter, s’il te plait. Sans toi, je n’en suis pas capable. »), Taylor se décida à venir. Un apport non négligeable et porteur de succès immédiat. Bien meilleur dans l’aspect relationnel et le scouting, Taylor apaisa le vestiaire, et réitéra ses exploits précédents en matière de recrutement.

Les résultats ne se firent pas attendre. Dans un premier temps, le tandem Clough-Taylor remporta la Coupe anglo-écossaise contre Leyton Orient (5-1) avant de conclure l’exercice de 2e division à la 3e place, synonyme d’accession en D1. Une année pleine de succès qui en appelait d’autres.

Une équipe à perfectionner

Mais le duo connaissait l’ampleur de la tâche. La première division était une autre paire de manches, et pour survivre à cet étage, il fallait se donner les moyens de ses ambitions. Qui d’autre que Peter Taylor pour orchestrer cette partie de l’opération ? « Je suis la vitrine du magasin : Peter est tout ce qu’il y a à l’intérieur », disait Clough.

Tout d’abord en consolidant le noyau dur présent au club depuis des années, qui avait participé à la montée. Viv Anderson le premier joueur noir à évoluer en sélection anglaise, John Mc Govern, Frank Clark, Jon Robertson, Martin O’neill, Tony Woodcock ou encore Ian Bowyer. Ensuite, il fallait cibler des joueurs susceptibles de venir apporter un plus à cette équipe. Ainsi, Peter Shilton, gardien expérimenté et respecté, international anglais, fut recruté. Dans cette lignée, Kenny Burns et Archie Genmill posèrent également leur valise à Forest.

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Clough et Taylor avaient su redonner de l’allant à certains de leurs joueurs, comme Robertson, joueur prépondérant de l’équipe, considéré, sur la pente descendante avant l’arrivée de Clough. À l’instar de ce qu’il avait fait à Derby County, Peter Taylor avait l’audace de sélectionner des joueurs au parcours atypique. En atteste Kenny Burns, qui avait une réputation de bagarreur et alcoolique, et dont rien ne laissait présager une grande carrière. L’ancien président de Kenny Burns à Birmingham, David Wiseman avait d’ailleurs mis en garde Taylor et Clough, en signifiant que Burns avait des ennuis. Mais ce ne fut nullement un problème pour Taylor, qui le décrit plus tard comme le Bobby Moore écossais. L’art d’étonner son monde, et d’en récolter les succès.

Une saison inattendue

Fort d’un recrutement astucieux, d’un vestiaire uni, et de méthodes de travail révolutionnaires, Forest surprit peu à peu les pensionnaires de première division. Tout d’abord, en remportant au nez et à la barbe de Liverpool la Coupe de la Ligue anglaise à Old Trafford (1-0), ironie du sort pour les Reds. Mais surtout en imposant sa suprématie en championnat. Dotée d’une défense imperméable sous la houlette de Shilton, ils caracolèrent en tête à la trêve. « La dernière fois que Nottingham s’est retrouvé 5 points devant tout le monde, c’était dans un match de cricket », se vantait Clough.

Ils ne lâchèrent pas leur « précieux », et finirent champion d’Angleterre avec 7 points d’avance sur le double tenant du titre, Liverpool. Un record dans l’exploit, puisque les protégés de Clough ne perdirent aucun match entre mi-novembre et mai. Solide derrière avec seulement 24 buts encaissés en 42 journées, Nottingham Forest avait littéralement dominé la ligue. Fort d’une performance retentissante, Brian Clough fut nommé manager de l’année, et tiens donc, Kenny Burns, l’homme qu’il ne fallait surtout pas signer, fut joueur de l’année.

L’Europe en ligne de mire

Pour compléter un effectif victorieux, Nottingham fit une folie sur le marché des transferts en s’octroyant les services de Trevor Francis pour 1 million de livres, un record pour l’époque. Pour le reste, le groupe s’inscrivait dans une politique de continuité après le doublé. Afin de bien commencer la saison, Forest ne fit qu’une bouchée d’Ipswich en Community Shield (5-0) avant de défier Liverpool, en Coupe d’Europe des clubs champions dans le cadre des 16es de finale.

Une compétition que Brian Clough connaissait bien puisqu’il avait atteint les demi-finales avec Derby quelques années auparavant. Un sentiment d’amertume, puisque de forts soupçons de corruption planèrent autour de cette confrontation face à la Juventus. Gagnant invétéré, Brian Clough ne voulait pas faire de la figuration en coupe d’Europe. Pour cet affrontement anglo-anglais, Forest créa une nouvelle fois la sensation, en l’emportant 2-0 sur l’ensemble des deux matches. Une prestation XXL due en partie au but et à la passe décisive de Gary Birtles arrivé en 1976, en provenance du monde amateur.

En championnat Forest sema la terreur et poursuivit sa série d’invincibilité jusqu’en décembre 1978 et une défaite à Anfield. 42 matchs sans défaite, un record qui sera battu par les Invincibles d’Arsenal, ou plus récemment Liverpool.

Une saison plus complexe en championnat avec un Liverpool qui redoubla d’efforts pour retrouver son trône. Le duel fit rage. Mais à l’arrivée Liverpool fut plus régulier et fut sacré champion d’Angleterre avec 8 points d’avance sur Nottingham. Un beau dauphin, ayant concédé seulement 3 défaites en 42 journées. Bien que déchu en championnat, Forest conserva sa Coupe de la Ligue aux dépens de Southampton. Mais les hommes de Clough n’entendaient pas se contenter d’un titre, et aspiraient à réaliser un second doublé consécutif.

En 8es et quart de finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, Forest terrassa respectivement 7-2 et 5-2 l’AEK Athènes et le Grasshopper Zurich.

3 matches pour rêver

En demi-finale, les rouges et blancs durent faire face à un club d’un tout autre calibre : Cologne, tenant en titre du championnat d’Allemagne et de la Coupe d’Allemagne. Le 11 avril 1979, match aller au City Ground face à Cologne. Le rêve tourna au cauchemar et les Allemands menèrent 0-2 au bout de 20 minutes. La tâche se compliquait sérieusement, et l’espoir de dominer l’Europe s’éloignait peu à peu. Mais Birtles remit Forest sur de bons rails avant qu’Iwan Bowyer inscrivit le second but. Robertson donnait l’avantage à l’heure de jeu. Le rêve était de nouveau possible. Avant que Yasuhiko Okudera, entré à la 80e, n’égalise en moins de 60 secondes. Fin du match, 3-3, la déception fut de mise, il fallait créer l’exploit au retour.

Dominé dans tous les compartiments à Cologne, Forest tenait bon. Amorphe offensivement, Forest dût attendre l’heure de jeu, et une tête de Ian Bowyer pour se montrer dangereux. Ce fut suffisant puisqu’il inscrivit le seul but de la rencontre, et envoya les siens en finale de Coupe d’Europe. Une performance historique, où une équipe méconnue du grand public venait bousculer la hiérarchie européenne, en témoigne les propos de Gunter Netzer, milieu historique de Cologne après la rencontre (« Qui est ce Mc Govern ? ») ou encore ceux d’un journaliste néerlandais à Peter Shilton : « De toute votre équipe, votre nom est le seul que je connaisse. » Réponse de Shilton : « Désormais, vous nous connaissez tous. »

La finale prit place à Munich le 30 mai 1979 face à Malmö. Trevor Francis, recruté lors du mercato estival, pour un montant record se montra décisif et marqua le but tant attendu. Victoire 1-0, Forest était sur le toit de l’Europe. Une saison remarquable, où Forest avait déjoué tous les pronostics. Mais ce que Clough et Taylor ne savaient pas, était que la partie n’était pas encore totalement finie.

Bis repetita ?

On évoque fréquemment les 3 années de règne de Mourinho dans un club, mais la méthode Clough avait également une date de péremption. L’avant-saison ne fut pas un long fleuve tranquille. Une ambiance qui ne fut pas au beau fixe, symbolisée par des brouilles avec certains joueurs qui provoquèrent plusieurs départs.

Intraitables à domicile, désastreux à l’extérieur, Forest finit à la 5ème place du classement et à 12 points de Liverpool, qui avait su restaurer un règne. Forest manqua la passe de trois en Coupe de la Ligue anglaise en s’inclinant en finale face à Wolverhampton. Une saison ratée sur le plan national. Mais Forest était champion d’Europe en titre, et pouvait naturellement réitérer pareille performance.

Conserver sa couronne européenne

Sur la scène européenne, Forest évoluait à un autre niveau. En début d’année 1980, Forest remporta la Supercoupe d’Europe contre le Barça. Ils soulevèrent le trophée au Camp Nou. Une progression phénoménale, puisque Forest figurait en seconde division 4 années auparavant, comme le rappelait Sir Alex Ferguson : « Ils l’ont fait avec cinq joueurs Anderson, Martin O’Neill, Ian Bowyer, Tony Woodcock et John Robertson, qui étaient là depuis le début et le voyage commençait à cinq points des places relégables en 3e division avec 8.000 supporters, et là ils sont au Camp Nou, affrontant Barcelone pour la Supercoupe. »

Une prise de dimension reconnue dans toute l’Europe, en atteste les applaudissements des supporters de Barcelone en direction de l’équipe après le match. En ce qui concerne la Coupe d’Europe des clubs champions, Forest se défit facilement de Osters IF, Fc Arges Pitesti et du BFC Dynamo pour accéder au dernier carré. Pour disputer une nouvelle finale, il fallait s’opposer à l’Ajax d’Amsterdam. Pas une mince affaire, mais encore une fois, Forest crut en ses chances. Victoire 2-1 sur l’ensemble des deux matches, la finale à Madrid était dans la poche.

Cette fois-ci ce fut Hambourg qui essaya de se mettre sur le chemin de Clough et ses hommes. Une équipe redoutable, emmenée par Kevin Keegan et Felix Magath. Devant plus de 50000 supporters, les Tricky Trees pouvaient entrer un peu plus dans l’histoire de ce sport, en soulevant une seconde Coupe des clubs champions en deux saisons. John Robertson, l’homme du club, entra dans la légende en marquant le seul but du match.

Un joueur métamorphosé par l’arrivée de Clough et Taylor : « Il a fallu que Taylor et Clough arrivent pour que je prenne conscience de mon talent. », expliquait John Robertson dans les colonnes du Guardian.

Surnommé le « Picasso de notre jeu » par son entraîneur, John Robertson était grandement estimé, comme le soulignait le capitaine McGovern dans le livre de Daniel Taylor « I Believe In Miracles: The Remarkable Story of Brian Clough’s European Cup-Winning Team » : « C’est dur d’expliquer aux gens comment il était bon, car cela remonte à plus de 30 ans. Donc je dis généralement, il y a quelques années vous savez il y avait un joueur qui s’appelait Ryan Giggs, qui est considéré comme un des meilleurs ailiers gauches de tous les temps ? Bien, John Robertson était comme Ryan Giggs mais avec de bons pieds, pas un seul. On avait Robin des bois, Brian Clough et Nottingham Forest. »

Victoire 1-0, Forest conservait sa couronne européenne deux années d’affilée, une performance plus jamais établie par une équipe anglaise. Un club qui présente la particularité d’avoir plus de Coupe d’Europe des clubs champions que de championnats domestiques à son actif.

La fin d’une époque

Le début de la fin pour Clough et Forest. Quelque temps après les festivités, Brian et Peter ne furent plus sur la même longueur d’onde, et prirent un chemin différent. Ils ne s’adressèrent plus la parole, et Clough n’arrivait plus à tirer le meilleur de ses équipes. En régression permanente, il quitta le club quelques années plus tard, après que les supporters eurent longuement demandé de le licencier. Forest suivit le pas, et le club végéta en 2e division à partir de 1999.

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Fruit d’une amitié et d’une collaboration prolifiques, Brian Clough et Peter Taylor auront accompli bien des miracles au cours de leur carrière. De l’époque où ils furent coéquipiers à Sunderland, en passant par Derby County, et en atteignant le sommet de l’Europe, les deux comparses connurent bien des succès ensemble. Hélas, la fin de leur relation ternie quelque peu, une des plus belles pages du football anglais et européen. Mais leurs exploits resteront à jamais gravés dans les mémoires du football.

Crédit photo : PA Images / Icon Sport

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Sinon, c'est si cool que ça d’être champions ?