Arsenal : Bukayo Saka, le diamant d’Arteta

Dans cette reprise sportivement mitigée, les dirigeants d’Arsenal doivent gérer deux dossiers contractuels prioritaires. Le premier concerne le destin de leur meilleur buteur depuis deux saisons, Pierre-Emerick Aubameyang. Le second est la prolongation de contrat d’un joueur de 18 ans, qui s’est frayé un chemin parmi les meilleurs de l’effectif. Mikel Arteta a pris en main ces deux dossiers, et si le statut d’Aubameyang est une évidence, voici pourquoi l’entraîneur espagnol tient Bukayo Saka en si haute estime.

Cap à gauche

Que ce soit lorsqu’il occupe le poste de piston gauche d’un 3-4-2-1 ou de latéral gauche dans un 4-3-3, la capacité de Bukayo Saka à changer de rythme n’a pas d’égal dans l’effectif des canonniers. Cela vaut d’abord pour les situations avec ballon, où il affectionne des courses vers l’intérieur qui lui permettent de s’ouvrir l’espace et solliciter des partenaires côté opposé. C’est une situation qu’on retrouve souvent sous Mikel Arteta, notamment grâce à la densité des courses vers le but d’Aubameyang et à la présence d’un autre attaquant dans la zone axiale, où Eddie Ntiekah s’approprie mieux ce rôle qu’Alexandre Lacazette. Tâche à l’entraîneur espagnol de trouver une formule aussi efficiente à droite, tant le binôme Pépé-Bellerin est aussi excitant que frustré par l’asymétrie de l’animation offensive.

Ce qui rend Saka si particulier, c’est sa compréhension tactique du jeu lorsque le ballon quitte ses pieds. La qualité de ses appels le long du couloir est indéniable, en particulier lorsque le porteur du ballon est un autre gaucher, à l’image de Granit Xhaka ou Kieran Tierney. La finesse de passe du premier convient à merveille aux déplacements du jeune Anglais, que ce soit par la précision des ballons ou par la profondeur des trajectoires qu’il peut atteindre.

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Les aptitudes de Xhaka impliquent que Saka puisse se positionner plus haut sur le terrain, condition essentielle à la relativement faible menace offensive que peuvent représenter les Gunners. Cette relation est encore jeune, mais sa courte démonstration sur le terrain de Southampton (0-2) va encourager Mikel Arteta à capitaliser dessus, tant les combinaisons entre deux joueurs performants, fiables et qui s’inscrivent dans le futur du club sont rares.

Scrutés de près, les débuts d’Arteta au poste d’entraîneur ont déjà démontré son désir de s’adapter, de tester au fil des matches, à contrario d’une attitude en cours de jeu encore assez prudente, même si le contexte actuel tend à la légitimer. L’utilisation de différents systèmes (4-3-3, 4-2-3-1 et 3-4-3) peut le démontrer, tout comme certains essais, tels que Tierney en central gauche d’une défense à trois ou Özil de retour dans son rôle de N°10. Néanmoins, rien n’est plus significatif que son utilisation de Saka, qu’il traite comme un joueur-clé de son Arsenal. Avec 18 matches et 1 425 minutes jouées sous son mandat, Saka est tout simplement son joueur le plus utilisé. Le gaucher ne doit ce statut qu’à ses performances, lui qui, sous Unai Emery, avait déjà éclaboussé de son talent la phase de groupes de la Ligue Europa, avec 2 buts et 4 passes décisives.

Formé à l’académie du club et habitué à occuper le côté gauche de l’attaque, Bukayo Saka s’est révélé en équipe première cette saison au poste de latéral gauche, en gratifiant les fans de dribbles courts, de centres précis et de courses incessantes. En prenant les rênes du club, Arteta avait connaissance de l’intelligence situationnelle du joueur, qu’il n’a cessé de tester depuis. Simple latéral gauche, piston gauche, ailier droit contre Manchester City ou encore relayeur à Brighton : le natif de Londres a relevé tous les défis avec brio, si l’on excepte le match de reprise à l’Etihad Stadium (3-0), avec tout ce que cela implique en terme de difficultés.

Comme évoqué auparavant, Saka a totalement transformé le côté gauche de son équipe, jusqu’à en faire la grande satisfaction de cette saison. Et pourtant, c’est bien dans un autre rôle que Saka pourrait continuer de stimuler son potentiel.

Saka, l’homme libre

Disciple de Pep Guardiola pendant 3 ans et demi, Mikel Arteta vit au quotidien avec les attentes nées de cette collaboration à succès. S’il est trop tôt pour comparer le travail des deux entraîneurs, le casse-tête offensif auquel fait face Arteta prend racine dans un principe bien connu du génie catalan : la recherche du troisième homme. Dans une configuration de jeu de position, la recherche du troisième homme répond à des principes simples.

Lors de la sortie de balle, le joueur en possession du ballon doit jouer au loin, pas forcément en profondeur, vers un premier appui, qui peut être l’avant-centre. Lorsque ce dernier reçoit le ballon, il doit disposer d’une première solution, d’une suivante et enfin d’une troisième solution, dénommée « l’homme libre » car libre de marquage grâce à la disponibilité des deux premières solutions. Cela permet d’être plus imprévisible qu’avec une approche basée sur les une-deux, mais également plus solide défensivement avec pas moins de 7 joueurs prêts à annihiler une éventuelle contre-attaque adverse.

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Cette recherche de l’homme libre est sans doute l’une des principales raisons de l’incapacité d’Arsenal à se montrer dangereux. Un constat malheureusement relégué au second plan au profit du secteur défensif, comme si posséder la 8e attaque de Premier League n’était pas inquiétant pour une équipe aux talents individuels tels qu’Aubameyang, Pépé, Özil ou Lacazette, entre autres. En terme d’expected goals, les Gunners ont atteint plusieurs fois cette année les profondeurs de cette statistique, et ce peu importe l’entraîneur en charge.

Lors des 13 matches d’Unai Emery en Premier League, la moyenne par match d’expected goals était de 1,37. Après 13 matchs, la moyenne de Mikel Arteta s’élève à 1,40 expected goals, ce qui témoigne d’un statu quo face au problème. Un obstacle rédhibitoire pour postuler au top 4 de Premier League car, si l’on excepte l’indécent réalisme de Leicester, les moyennes d’xG par match de Liverpool, Manchester City, Chelsea et Manchester United s’élèvent respectivement à 2.1, 2.5, 1.97 et 1.75.

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Pour en revenir à cette recherche du troisième homme, il est important de rappeler que des variables de l’effectif ont changé depuis la reprise. Lors de sa série d’invincibilité de 8 matches entre le 1er janvier et le 7 mars, une dynamique intéressante, sans être flamboyante, s’était mise en place à Arsenal. Elle comprenait notamment les titularisations de David Luiz en charnière et de Mesut Özil dans le rôle qu’il a majestueusement incarné depuis des années. L’Allemand était donc ce fameux « homme libre », fluidifiant le jeu malgré un déclin physique qui altère son aptitude à créer des différences sur 90 minutes. Entre suspensions et mise au banc, les deux joueurs expérimentés ont récemment cédé leurs places dans le onze d’Arteta, ce qui a modifié l’approche offensive de l’équipe.

C’est là que nous en revenons à Bukayo Saka, avec en exergue la 30e journée de Premier League face à Brighton (défaite 1-2). Les Gunners étaient organisés en 4-3-3 avec Saka en position de relayeur aux côtés de Dani Ceballos. Malgré le score, la prestation de Saka fut impressionnante de maturité, dans une rencontre hachée par les joueurs de Brighton. Disponible comme à l’accoutumée, il a fait les bons choix dans une zone axiale où les joueurs à fort potentiel s’y éteignent plus qu’ils ne s’y révèlent. Passeur décisif pour Nicolas Pépé, il a également servi Aubameyang pour un but sévèrement refusé.

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Ce match est un indicateur pertinent de la faculté de Saka à assurer ce rôle de troisième homme à l’avenir, car ses qualités n’ont pas subi le contrecoup lié à densité de joueurs et à l’agressivité adverse. Au contraire, son centre de gravité bas et son réflexe à se positionner de trois-quarts au moment de recevoir le ballon ont accentué la menace qu’il représente.

Une impression confirmée par son apport sur le but de Dani Ceballos qui a envoyé les Gunners à Wembley, dimanche dernier à Sheffield (2-1) en quarts de finale de F.A. Cup. Double contact, dribble précis et appel dans le bon espace-temps à un moment clé d’un match couperet : la panoplie ne cesse de s’agrandir. Et si l’efficacité de sa frappe de balle et de sa dernière passe relèvent encore du mystère sur une saison complète, sa qualité de pied au service d’un rôle axial et plus avancé contribuerait à combler une partie du déficit offensif d’Arsenal.

Saka « d’autant plus méritant » pour Arteta

À court-terme, il n’est pas toutefois pas certain que le destin de Saka se situe dans ce rôle libre. Son activité côté gauche est pour le moment indispensable à son équipe, à moins que Kieran Tierney ne puisse enchaîner les rencontres. Il ne faut pas non plus écarter l’hypothèse d’un retour d’Özil, dont le contrat arrive, comme Saka, à échéance le 30 juin 2021. La seule certitude, c’est que Bukayo Saka sera un élément déterminant, peu importe sa position sur le terrain. Avec lui, le risque de la polyvalence exacerbée n’est pas à l’ordre du jour car son niveau de performance n’a jamais pâti de la transition d’une responsabilité à une autre.

6 mois après ses débuts et la victoire à Southampton (2-0), Mikel Arteta a confié qu’il n’était pas encore satisfait de la flexibilité tactique de son équipe. C’est un processus complexe, mais dont les progrès accomplis doivent déjà beaucoup à un jeune gamin du quartier de Greenford.

En conférence de presse, Arteta s’est exprimé sur ce qui faisait de Saka un joueur différent : « Je suis très heureux des jeunes joueurs que nous possédons. Ils ont juste besoin d’un contexte favorable pour exploser, et Bukayo le fait malgré des circonstances difficiles pour lui, ce qui le rend d’autant plus méritant. » Si les résultats sont encore en dents de scie, le management d’Arteta apparaît idéal pour les jeunes têtes de l’effectif. De fait, pour les novices de l’équipe première et de l’académie, pouvoir s’identifier à la trajectoire d’un joueur comme Saka est capital dans la vocation à s’inscrire dans la durée au club. C’est ce type d’environnement sain que Mikel Arteta souhaite construire, et s’il aura forcément besoin de cadres expérimentés, l’évolution de Saka démontre que la performance et la mentalité seront les principaux déterminants.

La frustration des fans envers l’exécutif, l’absence de Ligue des champions et l’irrégularité des résultats font désormais d’Arsenal un club où tout est dramatisé. Pour autant, l’arrivée d’Arteta est un pas ambitieux vers un retour au tout premier plan, mais cela demande du temps. L’avantage du temps, c’est qu’il offre de l’espace pour s’évader et penser à autre chose. Dans le cas d’Arsenal, il s’agit d’une armée de jeunes joueurs doués, vaillants et polyvalents, prêts à incarner le club plus que quiconque. Saliba, Nketiah, Martinelli, Smith-Rowe, Nelson, Willock et Maitland-Niles ne sont pas des certitudes. Ce sont des promesses. Arsenal et Mikel Arteta sont heureux de vivre avec, et parmi elles, Bukayo Saka est la plus brillante qui soit. 

 

 

 

Credit photo: Icon Sport

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