Mister Nico et Docteur Anelka

Incompris, inclassable, Nicolas Anelka divise, et c’est un euphémisme. Tête d’affiche du PSG « made in banlieue » du début des années 2000, l’enfant terrible du football français est une véritable icône dans les quartiers populaires.

Résumer la carrière d’Anelka n’est pas une chose aisée. La caricature et le parti pris ne sont jamais loin et le chemin de l’objectivité est très étroit. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il fait partie de ces personnages clivants du football. Certains l’aiment, d’autres pas du tout. Mais il ne laisse personne indifférent. Une vision manichéenne pourrait schématiser la chose ainsi : glorifié par les quartiers, détesté par les autres. Mais la réalité est bien plus complexe que ça. Anelka fascine les uns par sa capacité à ne jamais se renier. Ce côté jusqu’au-boutiste et droit dans ses bottes lui octroie le statut de bonhomme, de mec loyal. Pour d’autres, ce même trait de caractère fait de lui un petit con immature qui n’en fait qu’à sa tête. La sortie du documentaire « Nicolas Anelka, l’incompris », le 5 août sur Netflix, pourrait apporter un éclairage sur ce joueur très talentueux mais également très caractériel.

Anelka = 39

Anelka, c’est d’abord un numéro. Le 39. Comme Zamorano est lié au 1+8 depuis son passage à l’Inter, Nicolas Anelka est associé à vie au 39. Pourquoi ce numéro ? Si les théories pleuvent sur Internet, il l’a porté pour la première lors de son arrivée à Manchester City en 2002-03. À l’époque, le 9 et le 19, ses deux anciens numéros, étaient déjà portés, comme le 29. À la manière de Mickael Sylvain dans le film « Trois Zéros », il voulait sans doute garder la présence du 9, cher à l’attaquant. Ce numéro l’a suivi toute sa carrière. Il n’a fait qu’une seule entorse, lors de ses six mois passés à la Juventus, puisqu’il était déjà porté par Luca Marrone. L’image est restée. Comme Thierry Henry et ses chaussettes remontées ou Eric Cantona et son col relevé, Nicolas Anelka va de pair avec le 39. Jérémy Ménez lui a même rendu hommage récemment. « Comme le 39 était encore libre et que j’aime beaucoup Nicolas Anelka, j’ai décidé de lui faire ce petit clin d’œil. J’aimais beaucoup son jeu et sa personnalité », avait expliqué l’ancien joueur du PSG sur le site de la LFP au moment de son arrivée au Paris FC.

 

Si son palmarès parle pour lui (4 championnats nationaux, 3 coupes nationales, 2 Ligue des champions, Euro 2000), l’image qui revient le plus souvent quand on parle d’Anelka, c’est celle d’une tête brûlée. Un mec qui ne se plie à aucune règle et qui n’en fait qu’à sa tête. Un portrait forcément caricatural, même si l’intéressé y est pour quelque chose avec notamment cet épisode de la Coupe du monde 2010, ou encore la quenelle effectuée comme célébration alors qu’il portait le maillot de West Brom.

«Il aurait pu être meilleur que Messi»

Mais Nicolas Anelka était un footballeur de grande classe. « Anelka aurait pu être meilleur que Messi. » Le compliment est à prendre avec des pincettes, surtout quand on connaît la carrière du petit Argentin, mais la phrase est véridique. Elle a été prononcée par Christoph Daum en 2012 dans une interview au magazine So Foot. Mais l’entraîneur allemand, qui a connu l’attaquant français à Fenerbahce, n’est pas le seul à dresser des louanges à son ancien joueur. Dans le teaser diffusé par Netflix, Thierry Henry parle d’Anelka avec les termes suivants : « On parle d’un des plus grands attaquants de l’histoire. »

Ce n’est pas seulement par amitié que ses anciens coéquipiers le couvrent de compliments. Nicolas Anelka était un numéro 9 racé. Félin, il avait une grosse qualité au niveau de ses appels de balle et de ses déplacements. Avec le temps, il a su étoffer sa palette, en se servant moins de ses qualités physiques mais en travaillant sur d’autres points comme le positionnement. Sa vitesse lui permettait de prendre la profondeur, son sens du but, sa spontanéité et son efficacité faisaient le reste. L’attaquant complet par excellence. Et c’est ce qui laisse ce désagréable arrière-goût de gâchis car il avait le talent pour aller encore plus haut, bien que sa carrière ait déjà été très bonne.

Un talent précoce

En club, sa trajectoire est semblable à celle des montagnes russes. Des hauts très tôt, puis des bas. Mais Anelka a toujours su rebondir. Un premier match chez les professionnels à seulement 16 ans, un premier but à 17 ans avant un premier transfert quelques mois plus tard. Pas encore majeur, il quitte son club formateur, le Paris Saint-Germain, pour signer son premier contrat professionnel à Arsenal. Le début de carrière d’Anelka est un copié-collé de ses qualités footballistiques : vif, insaisissable et imprévisible.

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Après une demi-saison d’adaptation chez les Gunners, il s’impose comme un élément important du doublé coupe-championnat réalisé par les hommes d’Arsène Wenger. En finale de la Cup contre Newcastle, il parachève le succès des siens en inscrivant le deuxième but de la rencontre (2-0). S’ensuit un exercice 1998-99 de haute volée : auteur de 17 réalisations en Premier League, il échoue à un but du titre de meilleur buteur. Il se rattrape en étant élu meilleur jeune du championnat et en figurant dans l’équipe type de la saison.

Au Real Madrid pour une somme astronomique

Mais Anelka a la bougeotte et ses deux saisons réussies avec Arsenal lui donnent envie de changer d’air. Sûr de lui, le Français déclare : « Il est impossible que je reste en Angleterre. Je ne plais pas au public anglais et le public anglais commence à me déplaire. » Il s’en prend également à David Dein, alors vice-président du club londonien, qu’il accuse de penser « à l’argent, à l’argent, et encore l’argent ». Suivi par la Juventus et la Lazio, il reproche à Arsenal de faire traîner l’affaire.

Emmanuel Petit, coéquipier chez les Bleus et les Gunners, est revenu sur cet épisode dans l’émission Le Vestiaire sur RMC Sport : « Les supporters ont pris parti contre Nico […] Quand tu lui tapes dessus, il se referme et, au bout d’un moment, il n’y a plus de communication possible. C’est le peu qu’il laisse entrevoir qui est interprété de différentes façons. » Il rejoint, au terme d’un feuilleton estival, le Real Madrid pour 35 millions d’euros. Si cette somme peut sembler dérisoire aujourd’hui, elle représente le deuxième plus gros transfert de l’histoire du football à l’époque. Seul Christian Vieri, passé quelques semaines plus tôt de la Lazio à l’Inter pour 45 millions d’euros, a coûté plus cher.

«Il a oublié que je venais de Trappes»

Par ces mots, Emmanuel Petit met le doigt sur un souci récurrent dans la carrière du Trappiste. Comme beaucoup de footballeurs, Anelka marche à l’affect. Il a besoin de sentir qu’on l’aime. Le moindre petit accroc peut le bloquer complètement. L’exemple le plus marquant est, très certainement, son embrouille avec son vice-président lors de sa seule saison au Real Madrid. Vexé par un temps de jeu qu’il estime trop faible, il demande des explications et finit par sécher l’entraînement devant l’absence de réponse de son entraîneur et de ses dirigeants.

S’il revient dans le groupe pour la fin de saison après une lettre d’excuses et finit par remporter la Ligue des champions, son histoire avec le club merengue est bel et bien terminée. « Il n’a pas voulu m’écouter, il a voulu jouer la force mais il a oublié que je venais de Trappes », avait glissé, à propos de son vice-président, Nicolas Anelka dans le reportage « Inclassable », qui lui avait été consacré il y a une dizaine d’années.

Anelka, symbole de la street

Trappes, point de départ mais également point de repère de la carrière d’Anelka. Il n’a jamais cessé de revendiquer son appartenance au quartier. Au point que le Paris Saint-Germain s’en serve, lors de l’été 2000, comme tête d’affiche de son mercato « jeunes de cité ». À l’époque, le PSG avait tenté de séduire un public issu de la banlieue avec le recrutement de cinq jeunes promesses, âgées de 18 à 22 ans lors de leur signature (Mendy, Dalmat, Luccin, Anelka, Distin). C’est un échec puisque quatre d’entre eux resteront moins de deux saisons sous les couleurs parisiennes.

Depuis, Nicolas Anelka a conservé cette image de « symbole de la street » grâce à son attitude, ses provocations et ses déclarations incendiaires. Il fait notamment partie des footballeurs les plus cités par les rappeurs. Le site RapGenius recense plus de 100 références au Trappiste faites par différents artistes (Booba, Rohff, REDK, Gradur, La Fouine…), toutes dans des termes vantant son talent ou son caractère.

«Je passe mon permis»

Nicolas Anelka est revenu, indirectement, dans l’actualité ces dernières semaines par l’intermédiaire d’Olivier Giroud. Le joueur de Chelsea est devenu le troisième meilleur buteur français de l’histoire de la Premier League avec 86 réalisations. Seuls deux Tricolores le dépassent désormais : Thierry Henry (175) et Nicolas Anelka (125). S’ils ont tous les trois fait les beaux jours d’Arsenal, ces trois joueurs ont également un autre point commun : ils n’ont pas toujours fait l’unanimité dans leur pays, pour des raisons diverses.

 

En revanche, contrairement à ses deux compatriotes, NA39 n’est pas champion du monde. Il aurait pourtant pu l’être, en 1998. Présent dans la liste élargie de 28 dévoilée par Aimé Jacquet, il fait partie des six bannis qui n’auront pas la chance de participer à la Coupe du monde en France. Âgé de 19 ans à l’époque, il ne se montre pas marqué par la nouvelle : « Je reviendrais en équipe de France et je m’imposerais comme titulaire. » Discours de façade ou véritable capacité à tourner rapidement la page ? Lui seul le sait. Mais il ajoute une petite phrase qui contribuera à démontrer son caractère affirmé : « Lundi, j’ai une leçon de conduite. Je passe mon permis. » À l’inverse des cinq autres « exclus » (Letizi, Lamouchi, Laigle, Djetou, Ba), qui comptent 38 sélections en A cumulées, Anelka continuera, pendant plusieurs années, son aventure en Bleu, accumulant 69 capes. Un total honorable qui ne reflète pas son histoire tronquée avec la sélection.

Privé de Coupe(s) du monde

Tout avait pourtant si bien commencé avec un titre de champion d’Europe U19 en 1996, appelé junior à l’époque. Surclassé, il était le seul représentant de la génération 1979 dans la sélection, côtoyant des joueurs âgés d’un ou deux ans de plus que lui. Son principal fait d’armes en sélection restera, sans doute, son doublé sur la pelouse de Wembley en février 1999. Pas encore âgé de 20 ans à l’époque, il avait refroidi l’Angleterre à domicile et éclaboussé le monde de sa classe. Mais Anelka et l’équipe de France, c’est surtout l’histoire de rendez-vous manqués. Cette Coupe du monde 1998 qui lui échappe sur le fil, d’abord, puis la suivante, en 2002, pour laquelle il n’est pas sélectionné.

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Quatre ans plus tard, il rate un troisième Mondial malgré son retour sous le maillot tricolore quelques mois plus tôt. Même son plus gros succès en sélection, l’Euro 2000, se termine sur une note plutôt amère. Il joue les cinq matches qui mènent les Bleus en finale, en étant titulaire à trois reprises. Passeur décisif pour Thierry Henry en demi-finale, il assiste, du banc, au succès des siens et au but en or de David Trezeguet.

Une bien triste fin…

Il doit attendre 2010 et ses 31 ans pour, enfin, goûter à une Coupe du monde. Mais, même présent, ce sera un rendez-vous manqué pour Anelka. Exclu du groupe pour une altercation avec Domenech à la mi-temps du deuxième match, il finit son histoire internationale de la pire des façons. Tout le monde garde en mémoire la Une du journal L’Équipe du lendemain avec les insultes qu’il aurait lancées à son sélectionneur.

Huit ans plus tard, dans un documentaire réalisé par Canal +, Raymond Domenech lui-même a dédouané son ancien joueur en affirmant qu’il n’avait jamais prononcé ces termes. Mais le mal était fait. Suspendu 18 matches ferme par la commission de discipline, il réagit en déclarant être « mort de rire ». On ne verra plus Nicolas Anelka sous le maillot bleu et la dernière image de l’enfant de Trappes en sélection restera cette Une et ces insultes qui ont choqué tout un pays.

Crédit photo : SPI / Icon Sport

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